Bataville. 14 septembre 2014.

Bataville, 14 septembre 2014. Enquête par Hakim Benchekroun, Adrien Malguy, Sylvia Fredriksson, Nicolas Loubet, Philippe Schiesser (APEDEC ÉcoDesign Fab Lab).

Bataville
Ancien site industriel de Bataville. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson

Le 27 août 2014, le groupe rencontre Phillippe Schiesser sur le site de Mozinor à Montreuil. Phillippe Schiesser est président de l’APEDEC (Association des Professionnels de l’Éco-Design et de l’Éco-Conception) et fondateur de l’ÉcoDesign Fab Lab. Suite à son expérience francilienne, Phillippe Schiesser a pour projet l’aménagement d’un Fablab en Moselle, au sein d’un espace de 1400 m2 situé dans un des anciens bâtiments du site industriel de Bataville, aujourd’hui sans activité. Cette initiative est née de sa rencontre avec Ghislain Gad, entrepreneur et propriétaire d’une partie du site depuis 2008.
Bataville, cité ouvrière de production de chaussures totalement isolée de toute agglomération, a connu son déclin à la fermeture des usines Bata en 2002. Le site industriel, laissé à l’abandon, a été progressivement racheté par Ghislain Gad qui œuvre depuis 6 ans à sa réhabilitation.

À l’invitation de Phillippe Schiesser, le groupe s’est rendu à Bataville le 14 septembre 2014.

EcoDesign Fab Lab
Adrien Malguy, Hakim Benchekroun, Phillippe Schiesser à l’ÉcoDesign Fab Lab. CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 

Histoire du site

Bataville est un ensemble industriel et urbain, situé en région Lorraine (France).La cité ouvrière s’étale administrativement sur le territoire de trois communes différentes: Moussey, Maizières-lès-Vic, Réchicourt-le-Château. Cet ensemble, inscrit au Patrimoine du XXe siècle a été construit à partir de 1931 dans la mouvance du Bauhaus pour le compte de Tomáš Baťa (1876 – 1932), fondateur de la marque Bata et premier producteur mondial de chaussures. Bataville s’est surtout développée dans les années 1950 et en a hérité une architecture de pavillons et d’équipements soignée à l’esthétique emblématique bien que modeste. La multinationale a décidé la cessation d’activité sur le site de Bataville en janvier 2002. En 2001, la fermeture de l’usine qui employait 840 salariés a soulevé un important conflit social et une vive émotion dans l’opinion. Cet épisode à notamment donné lieu à une émission, Carnets secrets d’un dépôt de bilan, diffusée sur France 3 dans le cadre du magazine Pièces à conviction (no 16, mai 2002) et à un film documentaire, Pas un pas sans Bata, de Jérôme Champion (2003). La plate-forme logistique est toujours en activité sur le site avec plusieurs entreprises : une entreprise indépendante de fabrication de bottes isothermes, une fabrique de carton, une société d’archivage et une société de conception de structures pour le monde du spectacle. Source : Wikipédia
Bataville
Affichage d’anciennes publicités Bata au centre de formation. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 

Acteurs locaux

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Nicolas Loubet, Phillippe Schiesser, Adrien Malguy, Ghislain Gad, Hakim Benchekroun. CC BY-SA Sylvia Fredriksson.

Dialogue avec Ghislain Gad

Ghislain Gad
Ghislain Gad, Hakim Benchekroun. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson.
 

Ghislain Gad est Président de l’association La chaussure Bataville et propriétaire d’une partie des biens immobiliers de Bataville. Entretien réalisé le 14 septembre 2014 à Bataville.

Genèse du projet à Bataville

Hakim Benchekroun : Ghislain Gad, pouvez-vous nous raconter la genèse du projet de réhabilitation de Bataville ?

Ghislain Gad : Je suis arrivé il y a 6 ans à Bataville. Je viens de la frontière luxembourgeoise, du Pays-Haut et des mines de fer. J’ai certainement hérité d’une sensibilité pour le patrimoine industriel et minier.J’ai atterri ici car je faisais de l’immobilier. Je cherchais une petite maison à retaper. Je suis arrivé ici suite à une annonce de Moselis, bailleur HLM, qui revendait des petites maisons. Cela ne m’a pas trop plu, mais j’ai vu en face la cité en briques rouges. J’ai trouvé cet endroit incroyable.
J’ai fait le tour, j’ai remonté l’avenue. Quand on remonte l’avenue, on voit les quatre bâtiments de l’usine sortir de terre, on a l’impression qu’ils sont en train de se construire sous nos yeux. Cela a vraiment attiré ma curiosité. L’ancien bâtiment, qui constitue l’ancienne cantine, entre la cité et l’usine, était ouvert et tagué. Les vitres étaient brisées. Il pleuvait à l’intérieur. Je suis rentré et j’ai immédiatement pensé qu’il était fou de laisser un bâtiment de ce type à l’abandon. Je me suis donc renseigné pour avoir connaissance du propriétaire. Je l’ai contacté pour savoir s’il était susceptible de vendre son bien. On s’est rencontré dans un café et on a signé. Voilà, ça s’est passé comme cela. Ce fut le premier achat.

J’arrive sur place et je passe 6 mois, non pas à réhabiliter, mais seulement à nettoyer. Changer les vitres, enlever les mousses sur les toitures (il y avait 30 cm de mousse sur les toitures dont la surface représente à peu près 1400 m2), balayer les cailloux, identifier les déchirures et zones d’infiltration d’eau. Durant ces 6 premiers mois, mon amie et moi habitions sur place. La cantine n’était ni alimentée, ni raccordée en électricité. Nous n’avions que de l’eau froide. Et nous étions à la sortie de l’hiver, au début du printemps. Nous habitions là-bas. C’était rude. Au bout de 6 mois j’ai pu faire connecter électriquement ce bâtiment en faisant tirer 300 mètres linéaires de câbles.

Dans l’intervalle de ces 6 mois, l’autre bâtiment administratif a été vendu a une société qui suit les sites de Center Parc. Il y avait un projet immobilier sur la moitié de ce bâtiment là, mais sur la moitié avant seulement, car la moitié arrière était protégée. Dans la partie du bâtiment appartenant à Moussey, il était envisagé de concevoir des logements avec des balcons arrondis, ce qui aurait détruit l’harmonie architecturale du lieu. Heureusement, ce projet n’a pu aboutir, sûrement pour des questions de budget – C’était alors le début de la crise. De mon côté j’ai également eu des difficultés financières. J’ai fait une vingtaine de banques avant de réussir à trouver un emprunt – Aussi, suite à l’annulation du projet de logement, un panneau « à vendre » a été reposé, un peu plus tard, sur la façade du bâtiment. Ce bâtiment était en meilleur état, car il était dans l’enceinte de l’usine. Nous avons alors tout fait pour acheter.

En six mois de temps j’ai donc pu faire l’acquisition de ces deux bâtiments. Cela représente 5000 m2 pour la cantine et 7000 m2 pour le bâtiment administratif. Et j’ai commencé tout cela sans aucun projet. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire ici.
Pour les banquiers, Bataville était un lieu mort où il n’y avait plus rien à y faire. C’était perte et profit. Une banque a tout de même accepté de me suivre, mais en me mettant une sorte de couteau sous la gorge. Entre temps, j’ai dû revendre des biens, me désendetter sur certaines parties. Tout s’est fait au bon moment. J’aurais pu tout perdre et ne plus être ici aujourd’hui, si cela s’était mal passé. 

Lorsque l’on est arrivé, même si cela a été dur sous certains aspects, nous avons eu un très bon accueil des locaux. Et notamment d’un gestionnaire responsable d’un grande partie de la Cité (seulement quelques maisons sont privées). Cette personne nous a notamment proposé de bénéficier de l’eau et de l’électricité de l’ancien Hôtel du centre de formation. La découverte de ce bâtiment m’a donné l’idée de réhabiliter un lieu d’hébergement pour accueillir des artistes en résidences, ou des privés. Je me disais que cela permettrait de faire vivre la structure. Nous avons donc racheté de troisième bâtiment, ce qui nous permet de faire venir des gens, pour montrer qu’il y a moyen de démarrer quelque chose ici, car il y a ,avant toute chose, possibilité de se loger. Cela m’a permis de faire redécouvrir Bataville.

Intentions

Hakim Benchekroun : En 6 ans, quelles ont été les grandes étapes de la mise en œuvre du projet de réhabilitation de Bataville ?

Ghislain Gad Comme je l’indiquais précédemment, cette initiative de rachat d’un patrimoine industriel à l’abandon à Bataville s’est faite sans projet au départ.

Pendant la première année, j’ai fouillé, discuté avec le Maire, et me suis replongé dans l’Histoire du site, notamment au travers un ouvrage de 500 pages écrit par Alain Gatti sur la fermeture en 2001-2002. (Alain Gatti, Chausser les hommes qui vont pieds nus, Bata-Hellocourt, 1931-2001 : enquête sur la mémoire industrielle et sociale. Metz, Serpenoise, 2004).
J’ai redécouvert toute l’épopée mondiale de Bata, depuis Zlín en République tchèque jusqu’à la fermeture à Bataville. C’est grandiose. On y apprend notamment que l’architecture est de la mouvance de l’architecture moderne des années 1920-1930.

Ensuite j’ai été invité par le Parc naturel à visiter un autre site en Moselle, Meisenthal, où ont été créés des lieux d’exposition et de création, valorisant les métiers de l’artisanat, et notamment du verre. Dans ce contexte, des designers viennent et réalisent des pièces. La Halle Verrière organise des expositions, de gros concerts et d’autres associations qui gravitent également autour de ce lieu. Bien que le site soit géographiquement totalement isolé en Moselle, à l’image de Bataville (il faut une heure de route pour venir d’une grande ville), c’est un endroit où il se passe des choses. Selon moi, c’est de cette façon que l’on crée une économie locale. 
Pour moi, en tout cas, ce fut le déclic. Je me suis dit : « c’est cela qu’il faut pour Bataville ».
Depuis ces 6 dernières années, nous travaillons dans cette direction, étape par étape. D’abord, une première œuvre avec le Parc. Puis, nous avons lancé une étude globale sur le site, qui devrait démarrer et donner les pistes de développement du lieu. Et entre temps, suite à ma demande, les deux bâtiments – la cantine et le bâtiment administratif – ont été inscrits aux Monuments historiques. Cela a permis de protéger le site sous le Label « Patrimoine du 20ème siècle ».
C’est également une belle carte d’entrée pour le lieu.

Ghislain Gad, collectionneur

Hakim Benchekroun : Ghislain Gad, n’êtes-vous pas en quelque sorte un collectionneur ? 

Ghislain Gad : C’est ce que l’on me dit. Un collectionneur un peu spécial. J’ai eu la chance de trouver ce lieu. La vie est faite de rencontres et d’opportunités. Nous ne maîtrisons pas totalement les chemins que nous empruntons. C’est assez sympathique.

Histoire de Bataville


Ghislain Gad : Je suis propriétaire de trois bâtiments sur le site de Bataville. Deux bâtiments industriels et un troisième, moins grand, qui avait pour vocation d’accueillir les personnes en formation venues du monde entier. L’épopée Bata a démarré en République Tchèque. Mais, avec la Guerre Froide, Bata a été interdit de revenir dans son pays, phénomène qui fit du site industriel français une plaque centrale de l’organisation Bata. Les gens venaient du monde entier pour se former en management, gestion de magasins, et certainement d’autres formations.
Si le siège social de l’entreprise était au Canada et en Suisse, on peut en quelque sorte considérer que le siège « technique était bien en France à Bataville.
Jusqu’en 2001 se sont fabriquées des chaussures sur le site, et même un peu après, car d’anciens salariés de Bata, notamment des cadres, ont repris l’activité après la fermeture de Bata. Cela représentait environ 350 personnes, qui travaillaient sous l’enseigne d’une autre société qui avait son propre label. Cela s’est arrêté trois ans après.

Activité du site de Bataville

Hakim Benchekroun : Aujourd’hui, nous savons qu’environ 80 personnes travaillent toujours sur le site de Bataville. Qui sont-ils ? Quelles sont leurs activités ? Quels sont les cadres et les réseaux qui structurent ces activités ? 

Ghislain Gad : Il y a une société qui fait des scènes de spectacles, qui emploie environ 10 personnes et recrute des intermittents pendant les périodes de festival. À côté, il y a une société qui fait des bottes en caoutchouc, avec une ancienne machine Bata. Cela représente une quinzaine de personnes. Un peu plus loin, il y a le bâtiment logistique, d’une surface de 12m2, qui fait encore de la logistique pour les magasins Bata en France. Elle réceptionne les camions, trie, envoie. En face il y a une société qui fait du cartonnage, des protections en carton pour des cuisinistes ou des marchands de literie. En face, deux grands bâtiments : ArchiveEco, qui est une société d’archivage, qui loue des surfaces pour stocker du carton d’archive à des sociétés publiques ou privées. Il y a également une imprimerie, un grossiste en matériel de chauffage, et bientôt d’isolation, installé dans le rez-de-chaussée du bâtiment de l’ancienne cantine, que je lui loue.
Il y a donc encore une activité sur place, mais celle-ci est fragile et peut se voire décliner rapidement. Par exemple, l’entreprise qui vendait des bottes, exclusivement en Suède, a connu une baisse de son activité de par le recentrement de la Suède suite à un contrecoût économique du pays. Par ailleurs, des anciens de Bata se sont également installés en Suède. Face à cette concurrence directe, le delta est, il me semble, trop important pour qu’ils réussissent. C’est peut-être une société, qui à terme, va fermer.

Perspectives pour Bataville

Hakim Benchekroun : Comment imaginez-vous le site dans 5 ans ?

Ghislain Gad : 5 ans c’est peut-être un peu juste, mais disons dans 7 à 10 ans. De mon point de vue, 5 ans c’est juste le temps de démarrer quelque chose d’intéressant. Ce que j’observe, c’est qu’il faut se saisir de cette hyper opportunité qu’incarne cette nouvelle économie, et cette possibilité offerte à tous de fabriquer n’importe quel objet soi-même en impression 3D ou en découpe laser. Je pense qu’il y a vraiment moyen de recréer une nouvelle économie sur le site. Et notamment, pourquoi pas, dans la chaussure. Imprimer de la chaussure. À l’heure actuelle, quand j’en parle aux locaux, cela les fait sourire. Parce qu’ils ne suivent pas l’actualité et ce qui se passe aujourd’hui dans le monde industriel et dans l’univers de l’artisanat connecté. Ce phénomène constitue un axe de travail dont il faut s’emparer.
Le tourisme est également une voix de développement sur laquelle on pourrait travailler. Le site bénéficie d’une inscription aux Monuments historiques, Patrimoine du 20ème siècle. 
Enfin, il y a l’axe du développement durable, et toute autre possibilité avec d’autres projets.
L’ensemble du site fait 50 000 m2. Il y a de quoi faire.

Hakim Benchekroun : Vous êtes propriétaire de combien de m2 ? 

Ghislain Gad : À l’heure d’aujourd’hui, je suis propriétaire de 12 000m2.

Agir localement

Adrien Malguy : Parmi vos préoccupations, vous semblez réellement vouloir prendre en compte les modèles et le patrimoine existant pour redynamiser le site.

Ghislain Gad : Je ne souhaite par forcement assurer une continuité par rapport à l’activité antérieure du site. Personnellement, j’ai une sensibilité pour tout ce qui concerne le mobilier. Parler à la population locale de l’idée d’imprimer de la chaussure constitue de manière de donner à voir un champ des possibles. Même s’ils sourient aujourd’hui, lorsque l’on disposera de deux ou trois machines pour imprimer des baskets, nous les inviterons et ils verront que c’est possible. Mais aujourd’hui les locaux n’ont pas l’information. Il y a un déficit d’information concernant ces nouvelles émergences. 

Adrien Malguy : Vous identifiez donc qu’un vrai travail de sensibilisation est à mener auprès des acteurs locaux. 

Ghislain Gad : Oui. Et peut-être que, non pas dans 10 ans mais d’ici trois ou quatre ans, on pourra produire des chaussures. Même si c’est de façon très artisanale au départ. Rappelons nous que dans l’histoire de l’épopée Bata, le premier de la lignée était un cordonnier, qui a dû commencer avec une machine, son atelier, son marteau. 
Il s’agit de se nourrir de l’Histoire et de penser un vrai redémarrage de cycle. À Toronto, Bata a un musée de la chaussure.

Adrien Malguy : Bata connait encore un rayonnement international. Il y a probablement un vrai réseau à réactiver.

Acteurs locaux

Ghislain Gad : Bataville est un lieu-dit. Les acteurs principaux, en local, sont les Mairies de Moussey et de Réchicourt-le-Château. Nous n’avons à l’heure actuelle pas établi les même connections avec Maizières-lès-Vic qui appartient à une autre communauté de communes. Moussey et de Réchicourt-le-Château appartiennent à la Communauté de communes du Pays des Étangs, qui gère une douzaine de petites mairies rurales aux alentours. Au-dessus de cela, il y a le Conseil Général, la Région Lorraine.

Tabula rasa

Ghislain Gad : En fait, Bata a acheté des terrains et a appelé cela Bataville.

Hakim Benchekroun : Y avait-il une signalétique qui matérialisait cette zone ?

Ghislain Gad : Oui, à un moment donné ils ont voulu le supprimer. Mais comme j’ai retravaillé sur l’Histoire et le classement, le but maintenant est de refaire valider les panneaux et les remettre. Reposer ce qui a été démonté. En fait, ce qu’ils ont voulu faire ici, c’est la même chose que dans les pays miniers d’où je viens. C’est-à-dire que pour passer à autre chose, ils ont pensé faire table rase, effacer le passé et dire, voilà, nous avons des locaux à disposition. Sauf que cela ne fonctionne pas comme cela. On le sait maintenant. Quand ils l’ont fait, on ne savait pas.

Communauté

Ghislain Gad : Maintenant, avec ces Labels Patrimoine du 20ème siècle, il faut remettre Bataville au centre. C’est ce qui va faire venir les acteurs, qui seront intéressés par l’aspect historique et architectural du site. Et par ailleurs, en effet, les lieux sont grands et permettent d’imaginer plein de choses.
Il y a une cité qui existe, qui a été rénovée et est encore habitée. Mais à l’heure d’aujourd’hui, 20 % de ces logements sont vacants. C’est pourquoi il est réellement possible de s’installer pour peu de coût sur ce site et démarrer une communauté. C’est vraiment possible. Et on pourrait le faire, non pas dans trois ou cinq ans, mais bien aujourd’hui. On prend le téléphone, on a l’hébergement. Les locaux sont là. Il y a tout.

Depuis les 6 ans que l’on travaille sur ce projet, avec l’aide notamment du Parc naturel et la Fondation de France, les élus locaux ont pris conscience que c’était peut-être le bon chemin. D’autres doivent suivre, valider et créer un comité de pilotage pour cet ensemble. L’étude qui arrive va être une manière de valider des projets pour Bataville. Il en va ensuite aux institutions de prendre leurs responsabilités.

Moyens

Hakim Benchekroun : Nous en avons parlé, l’échelle du projet risque de finir par vous échapper.

Ghislain Gad : En effet. 12 000 m2 c’est déjà beaucoup à gérer. Surtout quand il a fallu rénover, la Cantine notamment. Le bâtiment entier fait 5000 m2, qu’il a fallut entièrement réhabiliter. J’ai eu la chance que l’entreprise prenne le rez-de-chaussez. C’est elle qui a remis en ordre cette partie. Mais j’ai dû prendre en charge seul les deux autres étages. Il y a des choses que j’ai commencé à construire il y a trois ou quatre ans, que je n’ai pas pu finir pour l’instant. Réhabiliter, c’est ce poser la question de la construction, la sauvegarde. Il faut gérer les contacts à l’extérieur au niveau de différents projets, avec le Parc naturel, l’École d’Art, le FabLab de Montreuil, et d’autres. Tout cela, il faut le gérer.

Vers une nouvelle Économie

Ghislain Gad : Nous avons une grande chance à l’heure actuelle. Il y a un tournant au niveau de l’économie, avec tout ce qui tourne autour de l’impression 3D notamment. Une nouvelle économie est en train d’apparaître. Si nous manquons ce tournant là, dans les deux ans qui viennent, nous serons derrière à nouveau. Et Bataville se ré-endormira. Il ne se passera plus rien, si ce n’est du tourisme.

Dialogue avec Philippe Schiesser

Philippe Schiesser
Phillippe Schiesser, Adrien Malguy. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 

Phillippe Schiesser est fondateur de l’ÉcoDesign Fab Lab à Montreuil et président de l’Association des Professsionnels de l’Éco-Design et de l’Éco-Conception. Entretien réalisé le 14 septembre 2014 à Bataville.

Portrait

Hakim Benchekroun : Phillippe Schiesser, vous êtes fondateur de l’ÉcoDesign Fab Lab de Montreuil.  Pouvez-vous nous présenter ce lieu ? 

Phillippe Schiesser : L’ÉcoDesign Fab Lab est un projet porté par l’association que je préside, nommée l’APEDEC (Association des Professsionnels de l’Éco-Design et de l’Éco-Conception) Cette association existe depuis 2001 et a lancé en 2014 sont premier fablab sur la zone industrielle de Mozinor, zone construite à la verticale et qui, d’ailleurs a un équivalent en m2 du site de Bataville. En effet, il y a à peu prêt 45 000 m2 de locaux, aujourd’hui pleins à 95%, puisqu’il y a 500 salariés, 50 entreprises qui sont sur le site. La vision pour ce lieu était de créer une cité industrielle dans la ville. À contrario de Bataville situé en plein milieu rural, il y a des enjeux tout à fait différents, mais pas en opposition. L’idée était de densifier et de créer un pôle de forte concentration d’emplois. Ce site a toujours connu une activité de nature industrielle, avec un peu de stockage puisque ce sont des activités qui créent moins d’emplois au m2.

L’ÉcoDesign Fab Lab est quand à lui situé dans une soucoupe volante sur la terrasse du bâtiment, au milieu de deux hectares d’espaces verts, ce qui est évidemment unique à 4km du périphérique parisien. Un espace est dédié à un Fablab et à des pratiques d’upcycling, c’est-à-dire de détournement de déchets de la zone industrielle. Il est très facile, étant donné la densification de l’activité, de collecter des déchets divers et variés (bois, plastique…) Ces pratiques sont facilitées par une possibilité de collecte, notamment de par la verticalité du lieu et de par ces quatre étages. Une voies large au milieu du site permet aux 38 tonnes de venir jusqu’au 4ème étage desservir tous les bâtiments.

De Mozinor à Bataville

Hakim Benchekroun : Suite à votre première expérience de création de l’ÉcoDesign Fab Lab à Montreuil, vous portez actuellement le projet de création d’un nouveau FabLab sur le site industriel de Bataville. Quels parallèles identifiez-vous entre ces deux sites ? Quelle est votre vision pour le site de Bataville ?

Phillippe Schiesser : Mozinor aujourd’hui, c’est de l’industrie dans un bâtiment communiste. Bataville, c’est l’absence d’industrie dans un bâtiment capitaliste. C’est à peu prêt cela le parallèle. Est-ce que le communisme est meilleur que le capitalisme ? 
Au niveau architectural, Mozinor fait parti du Brutalisme, c’est-à-dire en quelque sorte la beauté du béton pour le béton. À Bataville, je parlerais davantage d’un bâtiment à l’américaine, en briques apparentes, un peu plus ancien tout de même au niveau architectural. Si Bataville semble tout de même plus classique, il y a cette même vision et volonté de densité de l’activité sur un lieu de production. C’est à peu près le même sujet. Cependant, Mozinor a toujours été un projet collectiviste, dans le sens où il n’a jamais existé de « M. Mozinor » qui détenait tout le bâtiment. Mozinor signifie en fait « Montreuil Zone Industrielle Nord ». Ce nom crée une identité au bâtiment. 
Le FabLab semble être un concept assez évident pour Montreuil – c’est comme une sorte de DiscoSoupe – c’est-à-dire que l’on détourne les résidus pour en faire autre chose. Nous avons également apporté la dimension design, puisque c’est un designer qui pilote le FabLab. Nous faisons des Masterclass avec différentes écoles de design et exposons dans plusieurs lieux de design aujourd’hui à Paris. 
À Bataville, il y a probablement moins de déchets d’activité à proximité, et moins de designer également. Mais peut-être avons nous l’idée de les faire venir ? Il n’y a pas encore toutes les machines numériques qu’il faudrait avoir, mais c’est à construire également. Ce que l’on a, à Bataville, ce sont des m2, de l’espace. 
C’est en ce sens un site propice au développement d’un Fablab, à plus grande échelle que celui de Montreuil. Le projet porté sur 120 m2 à Mozinor devrait à terme s’étendre sur 1000m2. 
On estime que pour un bon fablab c’est à peut-prêt la surface minimum. Je suis allée à Barcelone. J’ai vu effectivement comment les lieux étaient construits, notamment le Green FabLab, site qui pourrait avoir une connexion avec Bataville. Il y a de l’hébergement, de l’agriculture, du prototypage. Il y a cette idée d’avoir un lieu plus conséquent pour une activité de FabLab qui peut s’envisager au-delà du prototypage. Qui peut-être effectivement lié à la transition écologique, à l’agriculture, à la dimension autonome du site. Et l’on retrouve peut-être dans l’ADN de la communauté de Bataville un projet identique, mais revu et revisité, numérisé, et avec d’autres acteurs, effectivement.

Pratiques et mémoire

Hakim Benchekroun : Ce n’est sûrement pas un hasard si vous êtes ici aujourd’hui à Bataville, Phillippe Schiesser. Êtes-vous de la région ?

Phillippe Schiesser : Je suis en effet issu de la région. Mon grand-père a travaillé dans ce bâtiment. J’avais deux grands-pères très étonnants. L’un était menuisier, l’autre a travaillé à Bataville. Alors que j’ai ouvert un premier FabLab dédié au bois, peut-être le second sera-t-il dédié à la chaussure ?
Selon moi, cette idée est intéressante. Il y a en effet une connexion entre les lieux et ce que l’on peut ré-inventer en terme d’activité. Je pense qu’il faut peut-être ré-inventer des choses un peu plus anciennes que simplement ce qui existait il y a 20 ou 30 ans. Il nous faut peut-être revenir sur des choses plus lointaines dans le temps et les ré-inventer. Il y a vraiment des connexions qui permettent, grâce aux nouvelles technologies, de faire des choses beaucoup plus facilement.

Repenser les modèles de rentabilité

Phillippe Schiesser : Nous ne sommes plus obligés, aujourd’hui, d’acheter un moule à 1 million d’euros pour faire une pièce. On peut même être rentable avec une seule pièce, ce qui est quand même une vraie révolution. Il y a aussi la question de la rentabilité et c’est je pense quelque chose sur lequel il faudrait travailler. Notre société et nous, citoyens, avons de faux aprioris sur ce qui est rentable ou ne l’est pas. Nous avons encore des idées de seuils de rentabilité qui sont liés à des taux de croissance extrêmement élevés d’économie. Je pense qu’il faut requestionner ce qu’est la rentabilité et la croissance. C’est-à-dire que l’on peut très bien vivre avec des taux de croissance plus faibles. 
C’est un peu un enjeu des débats que l’on peut avoir. Même aujourd’hui dans la population moyenne, nous vivons encore avec une « idéologie » de la croissance et de l’activité, de la richesse et de l’opulence, qu’effectivement la société a connu dans les années 50 et 60. Bata est complètement empreinte de cela. On est, en 70-80, à l’apogée de la société de consommation. Ce temps là est révolu. Soit on reste dans la nostalgie totale en cherchant à revenir à des taux de croissance de 5, 10 que, selon moi, nous n’aurons plus jamais. Soit l’on peut vivre d’une croissance faible, quasi-nulle, et nous-même requestionner nos modèles de rentabilité. Qu’est-ce qu’une activité rentable ? Comment définit-on la rentabilité ? Et peut-être pourra-t-on créer de nouveaux modèles économiques sur cette vision.

Écosystème local

Hakim Benchekroun : Pouvez-vous décrire l’écosystème de Bataville ? Voyez-vous des dynamiques possibles ? 
Phillippe Schiesser : Il existe en Lorraine une dynamique sur les makers et les fablabs. On a des créateurs de machines 3D qui existent non loin d’ici. On peut également avoir une dynamique avec les écoles d’ingénieurs, puisqu’il y a des projets intéressant de fablabs mobiles par camion ou par voies fluviales. Un péniche, notamment, est en cours de conception. On voit bien pour la Lorraine et plus largement pour Grand Est que Bataville peut être un point intéressant. On a déjà des expérience de Fablab en milieux rural, en Meuse notamment avec du coworking qui existe. On voit cette dimension aussi, en lien avec des mairies très dynamiques, que l’on peut très bien mettre dans le milieu rural des fablabs. Il faut cependant après toujours avoir des utilisateurs et une animation. C’est cela le point essentiel. Il ne faut pas uniquement réfléchir en terme de parc machine, mais aussi en communauté, en animateur, en projet. C’est une connexion à avoir sur ces deux piliers.

Expédition

Ancien site industiel de Bataville

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Ancienne cantine et premier des trois bâtiments racheté par Ghislain GadCrédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Façade de l’ancienne cantine de BatavilleCrédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Intérieur de l’ancienne cantine de BatavilleCrédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Plateau de 1400 m2 dans l’ancien bâtiment industiel de Bataville. Espace pressenti par Phillippe Schiesser en vue de l’implantation d’un FabLab. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Adrien Malguy. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Usine Bata. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Ghislain Gad, Philippe Schiesser et Nicolas Loubet. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Ghislain GadCrédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson 
 
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Site industriel de BatavilleCrédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Intérieur de l’ancien bâtiment dédié à la formation du personnel de BataCrédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Anciennes publicités Bata. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Affichage dans l’ancien centre de formation Bata. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Bureau du centre de formation Bata. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Salle d’exposition dans le centre de formation Bata. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Nicolas Loubet et Adrien Malguy. Exploration des archives de Bataville. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Vitrine d’exposition des chaussures Bata. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Hakim Benchekroun. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Signalétique au centre de formation. Carte mondiale de l’entreprise Bata . Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Nicolas Loubet. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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Décomptes de stock. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson
 
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DVD du film de François Caillat en salle de conférence. Crédit photo : CC BY-SA Sylvia Fredriksson

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