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1961. Charte sociale européenne
Violaine Hacker : « Les chartes sociales consistent en le rassemblement de parties prenantes, à la manière de la soft law, c’est-à-dire la loi douce. Comme l’AFNOR qui fait des normes NF. Au niveau global on parle plutôt d’ISO.
Il s’agit de rassembler les parties prenantes et de voir ce que les gens veulent, ce qui est possible et envisageable pour qu’une norme – qui, à la différence d’une loi ou d’un règlement, n’est pas obligatoire – soit de facto applicable, parce que le corps social et les citoyens en ont envie. Cela permet de voir comment une règle peut transcrire les contradictions internes à la société. »
La Charte sociale européenne est une convention du Conseil de l’Europe, signée en 1961 à Turin (Italie) et révisée en 1996, qui énonce des droits et libertés et établit un système de contrôle qui garantit leur respect par les États parties. La Charte révisée est entrée en vigueur en 1999, et remplace progressivement le traité initial de 1961. Le protocole de 1995 prévoyant un système de réclamations collectives (entré en vigueur en 1998) permet de saisir le Comité européen des droits sociaux (CEDS) de recours alléguant de violations de la Charte.
Cette Charte est établie de manière à améliorer la Convention européenne des droits de l’homme qui s’occupe principalement des droits civiques. Les droits fondamentaux énoncés dans la Charte sont des droits sociaux : le logement, la santé, l’éducation, l’emploi, les conditions de travail, la réduction du temps de travail, le droit de grève, la convention collective, la rémunération égale à travail équivalent, l’allocation de maternité, la protection juridique et sociale, l’aide sociale, la circulation des personnes, la non-discrimination, la protection contre la pauvreté et contre l’exclusion sociale ainsi que les droits des travailleurs migrants et des personnes handicapées.
Les États parties soumettent un rapport chaque année, dans lequel ils indiquent comment ils mettent en œuvre la Charte en droit et en pratique.
Source : Wikipédia
1994. Charte de la Terre
Violaine Hacker : « La Charte de la Terre a été initié en 1994, par Mikhaïl Gorbatchev et Maurice Strong avec pour volonté de travailler sur le développement durable au niveau mondial.
Il y a 15 ans, le développement durable était une notion relativement abstraite et élitiste. Et pourtant, pendant 15 ans, l’ensemble des parties prenantes ont été réunies : les décideurs, l’ONU ou la puissance publique, c’est-à-dire les états membres, le secteur business et corporate, les ONG et les leaders spirituels.
Malgré la complexité d’un processus qui se donnait pour intention de réunir autour d’une même table des acteurs aux orientations très divergentes, l’ensemble de ces parties prenantes ont travaillé ensemble pour définir cette charte comportant 15 principes éthiques. Ce sont de grandes lignes de travail, qu’il faut différencier de principes moraux.
À l’heure d’aujourd’hui, 14 articles sont réunis sur des thèmes aussi multiples que les animaux ou le big data.
Par ailleurs, cette charte a pour qualité de ne pas être un texte complètement abstrait et de révéler un consensus au niveau global. À l’heure d’aujourd’hui, le travail qui s’inscrit dans la continuité de cette charte consiste à s’intéresser au rapport entre le global et le local, que l’on appelle le glocal. Il s’agit de voir comment, à partir d’un consensus qui a été trouvé au niveau global, on peut mettre en œuvre des applications au niveau local, dans un large spectre de domaines comme l’éducation ou le business.
Une des principales qualités de ce texte réside dans sa flexibilité, car celui-ci n’impose pas de grands principes descendants et rigides mais propose plutôt un questionnement et engage une réflexion.
Prenant acte de l’état de globalisation du monde, il s’agit de s’interroger sur des méthodes pour gérer des ressources en tenant compte de la diversité des systèmes de pensée, pour gérer éventuellement la conflictualité. C’est ce que Elinor Ostrom et le néo-institutionnalisme étudient : comment prendre des décisions en tenant compte de situations données, de temporalités, de cultures et d’histoires singulières. »
2001. 5 principes fondateurs de Wikipédia
Adrienne Alix : « Il y a quelque chose de très simple qui m’a beaucoup marqué, c’est la page qui liste les cinq principes fondateurs de Wikipédia. Il est dit que Wikipédia est une encyclopédie produite sous licence libre, écrite collaborativement avec des règles de savoir vivre, et qui produit un contenu vérifiable. Il n’y a pas d’autres règles. C’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué. »
2008. Charte de la compassion
En France, le terme compassion renvoie à quelque chose de spirituel voire de religieux. Aussi, dans le contexte laïc, il peut paraître étrange ou tabou de parler de compassion.
La notion de compassion me parait pourtant intéressante. J’en reviens au Manifeste convivialiste, qui aborde l’homme sous l’angle de l’altérité. À nouveau cette charte n’est pas une injonction à penser.
La compassion, ici, est à comprendre au sens bouddhiste ou taoïste, c’est-à-dire traduit le fait d’être inséré dans la société. On fait partie d’une communauté mondiale, même si l’on apprécie pas l’autre ou si l’on ne partage pas les même visions. Cela implique qu’il faille gérer un certain nombre de contradictions.
La Charte de la compassion fonctionne selon le même principe, défini par le secteur business. Il existe maintenant des programme, dans trois secteurs : éducation, business, ville.
La charte permet de poser une certain nombre de questions. Par exemple dans le secteur business, la charte pose la question de la compassion dans le monde de l’entreprise. Comment fait-on pour vivre ensemble ? De plus en plus, les entreprises mènent des programmes de collaboration, pour développer le bien-être, la qualité de travail et d’innovation. Cela concerne un peu tout ce qui est « co » c’est-à-dire le collaboratif ou le co-working. Les gens n’ont plus envie de travailler en indépendants chez eux. Les tiers-lieux permettent de se retrouver avec d’autres personnes. Un individu n’est jamais isolé socialement. Il a besoin de l’autre pour évoluer.
2009. Rencontres Mondiales du Logiciel Libre
Adrienne Alix : « Ce qui m’a également beaucoup marqué dans l’apprentissage de ce milieu là, est une conférence de Richard Stallman aux Rencontres Mondiales du logiciel libre en 2009, où il explique ce qu’est le libre, au sens logiciel. »
2009. Manifeste pour la récupération des biens communs
Frédéric Sultan : « À Bélem, à l’occasion du Forum mondial Science et démocratie en 2009, j’ai eu l’occasion d’être l’un des principaux rédacteurs du Manifeste pour la récupération des biens communs. Ce qui me semble intéressant, de mon point de vue, réside en ce que ce manifeste soit né des mouvements sociaux, et non pas des gens qui sont des spécialistes des biens communs. Et du coup, le sujet même de ce manifeste était tout à fait intéressant parce que cela engageait à s’interroger sur la signification de la notion de « récupération » des biens communs. Pour moi, cela signifie récupération au sens presque physique du terme, pouvoir reprendre possession de l’objet même. C’est aussi récupérer au sens de se réapproprier l’idée et ce que cela sous-entend.
De là, est né, notamment sous l’impulsion d’Alain Ambrosi – qui vit au Québec et qui était la personne qui filmait le Forum Science et Démocratie – l’idée d’un projet nommé Remix the Commons et qui consiste à se dire, peut-on remixer les biens communs et les documents sur les biens communs, qui représente un peu l’aventure de ces dernières années. »
2010. Manifeste pour le domaine public
Lionel Maurel : « Le Manifeste pour le domaine public, rédigé par Communia, est un texte qui n’est pas très connu du grand public, mais qui joue un rôle très important.
Communia est un réseau que la Commission Européenne a financé et animé pendant plusieurs années, et qui avait pour but de réfléchir à ce que l’on appelle le domaine public et à son évolution dans l’environnement numérique.
En Europe, les œuvres sont protégées 70 ans après la mort de l’auteur, et une fois cette période terminée, l’œuvre entre dans ce que l’on appelle le domaine public, et peut ainsi être réutilisée, copiée, représentée de n’importe quelle façon. L’œuvre peut être exploitée commercialement, librement, sans être soumise aux contraintes du droit d’auteur.
Ce champ des œuvres de notre patrimoine forme une sorte de grand réservoir dans lequel on peut puiser pour s’inspirer, pour faire renaître des œuvres. Cela a un rôle très fort dans la dynamique de la création et dans la diffusion du savoir et de la connaissance.
Cependant, un problème demeure du fait que cette notion de domaine public soit extrêmement fragilisée dans l’environnement numérique. En effet, à l’occasion de la numérisation des œuvres apparaissent de multiples stratégies pour faire renaître des droits sur ce qui devrait rester libre.
La numérisation du patrimoine devrait être la grande chance pour le domaine public, pour que ce patrimoine devienne vraiment accessible, pour qu’il puisse être vraiment réutilisé et diffusé.
Le réseau Communia avait eu pour rôle de réfléchir, de rassembler des acteurs de la société civile, des acteurs industriels, des chercheurs de toute l’Union Européenne, pour faire un manifeste. Ils ont abouti à ce texte, Le Manifeste pour le domaine public, qui est vraiment très important car il est le premier à renverser la perspective. Normalement, dans le droit d’auteur, le domaine public est une sorte de résidu. C’est ce qui arrive une fois que le droit d’auteur est écoulé. C’est quelque chose qui se situe aux marges de la réflexion. Communia a renversé ce principe en désignant le domaine public comme l’état naturel de la connaissance. Et c’est au contraire la protection par le droit d’auteur qui constitue une exception temporaire, mais qui ne doit pas nous faire oublier que la connaissance doit être libérée. La création doit être disponible et réutilisable. Les membres de Communia ont ainsi listé un certain nombre de principes, dont un me parait particulièrement important : le domaine public doit le rester constamment, et le passage au numérique ne doit jamais être une occasion de ré-appropriation ce qui était devenu disponible pour tous.
C’est un texte qui m’a beaucoup aidé dans ma réflexion, parce que j’essaie de le traduire juridiquement en proposition de loi. Puisqu’un manifeste tel que celui-ci n’est pas directement applicable juridiquement, je m’en suis inspiré pour proposer une modification de la loi française, et faire une loi pour le domaine public en France. C’est une des actions que SavoirsCom1 essaie de porter en ce moment. »
Adrienne Alix : « Il y a également le Manifeste pour le domaine public, initié par Creative Commons et par le réseau Communia au niveau européen. manifeste signé par beaucoup d’institutions et d’associations dont Wikimédia France. J’étais présidente de l’association à l’époque. J’avais beaucoup poussé pour qu’on le signe. »
2010. Manifeste des Digital Humanities
Lionel Maurel : « Le Manifeste des Digital Humanities est un texte produit par des communautés de chercheurs. Ces communautés s’intéressent, d’une part, à l’impact du développement des outils numériques, d’internet et de la numérisation sur la production du savoir. D’autre part, ces chercheurs tentent de créer une discipline sur l’étude du numérique et d’internet.
Ce sont deux mouvements croisés, dont est issu ce manifeste qui constitue une tentative de création d’un champ dans le paysage académique. Ce manifeste est constitué de tout un ensemble de points.
Ce qui m’avait beaucoup intéressé dans ce manifeste était de voir si ces chercheurs qui s’intéressent au numérique et à l’impact du numérique sur leurs pratiques, étaient aussi intéressés par les questions de propriété de la connaissance. Sont-ils en faveur de la diffusion libre du savoir ? Considèrent-il que la connaissance est un bien commun ou pas ? À la lecture de ce manifeste, on s’aperçoit que ces notions apparaissent en filigrane. Pour moi, leurs positions n’est pas nettement affirmée, et cela reflète une sorte d’ambiguité chez les chercheurs dans leur rapport à la connaissance. J’ai déjà eu l’occasion d’intervenir dans des journées sur ces questions. On sent bien que la posture du chercheur est celle de quelqu’un tiraillé entre la volonté de diffuser la connaissance, de partager ses résultats avec sa communauté, mais aussi celle de quelqu’un très soucieux qu’on lui attribue et reconnaisse ses découvertes, et qui peut aussi rentrer dans des logiques d’appropriation assez fortes de la connaissance. On perçoit donc un tiraillement.
Ce qui m’intéresse, dans le mouvement des Digital Humanities, est de dépasser le cadre institutionnel de la science pour l’ouvrir à la société civile et au chercheur amateur. Le souhait de connecter recherche institutionnelle et science citoyenne. »
2012. Appel pour la constitution d’un réseau francophone des Biens Communs
Lionel Maurel : « VECAM est une association qui a un rôle central dans les biens communs en France. VECAM regroupe un certain nombre de personnes qui on travaillé cette notion, qui l’ont introduite, qui l’on popularisée en France.
La différence entre VECAM et SavoirsCom1 se situe dans l’entendu de leur champ d’action, qui est plus large dans le cas de VECAM. Celui-ci couvre l’ensemble du champ des biens communs. Biens communs de la nature et biens communs de la connaissance sont rassemblés dans VECAM. Ils sont plus proches des chercheurs qui, historiquement, ont construit cette notion, comme Elinor Ostrom, en constituant un corpus scientifique autour de cette notion.
Le manifeste de VECAM, SavoirsCom1 s’en est inspiré pour son propre manifeste. VECAM est aussi l’association pivot qui porte ce que l’on appelle le réseau francophone autour des biens communs, qui a vocation au niveau international à rassembler aussi bien les acteurs français que québécois, africain aussi, puisque la question des biens communs est aussi très présente dans les pays du sud. »
Réseau francophone des biens communs.
Depuis sa création, VECAM, structure composée d’une dizaine de membres actifs, agit en réseau. Le fonctionnement de l’association doit contribuer à encourager les logiques coopératives pour faire mouvement avec les autres. VECAM s’est inscrite, au fil du temps, au sein de plusieurs réseaux, à l’échelle nationale ou internationale. Aujourd’hui, différents collectifs formels ou informels composent le Réseau francophone autour des biens communs. Des structures autour du logiciel libre, comme l’APRIL ou Parinux, très structurées et organisées. Plusieurs structures gravitant dans la sphère des documentalistes et des bibliothécaires comme le collectif informel et très actif SavoirsCom1, ou l’ADBS. L’Institut Momentum, qui travaille sur le développement durable, les logiques de décroissance et les biens communs globaux.
L’enjeu de cette diversité est de montrer leur potentiel à se fédérer autour de problématiques communes, concernant les communautés numériques et non numériques.
Nous avions organisé en 2005, une rencontre à Telecom ParisTech sur la thématique « Biens communs et développement », au sens développement Nord-Sud.
Ce fut la première rencontre marquant une tentative de décloisonnement de ces communautés, associant autour de la table des personnes travaillant sur les semences d’Indes, des gens travaillant sur le logiciel libre en Afrique, des personnes travaillant sur la science ouverte au Maghreb. Des personnes travaillant sur la propriété intellectuelle en France, sur le médicament avec les actions autour des génériques.
Nous essayions de faire comprendre aux différents acteurs de ces communautés qu’il y avait un dénominateur commun à leurs luttes.
Ce dénominateur commun est l’information contenue dans la ressource, et que ces acteurs tentent de gérer autrement que par la propriété intellectuelle.
Cette information peut être le code génétique d’une plante, le code d’un logiciel, le contenu d’une publication scientifique. Ces informations comme élément premier qui circule et sur lequel on se pose tous cette question de savoir comment les faire circuler, les partager, les donner à manipuler de manière à ce que cela ne soit pas l’objet d’une prédation par quelques uns, et que cela puisse servir les intérêts de destinataires finaux, que ce soit les malades du Sida, les paysans, ou les développeurs de logiciels.
Amorcé en 2005, nous avons creusé le sillon amorcé autour du concept des biens communs, qui nous a paru particulièrement fertile.
Et je ne parle pas ici « du » bien commun, qui intègre une notion normative et auquel je préfère le terme d’intérêt général. Au travers la notion de biens communs, nous cherchons à nous éloigner d’une vision normative. Nous exprimons l’idée qu’il y a des ressources, pouvant être de nature complètement différente, naturelles ou immatérielles, et que ces ressources peuvent être gérées en commun par des communautés qui s’auto-organisent pour les partager, soit au sein de la communauté, soit à l’extérieur. Le choix de ces modes d’organisation dépend de la ressource et du contexte.
Il s’agit dans tous les cas de développer des logiques de gouvernances coopératives permettant de proposer une alternative aux modèles classiques de gestion par le marché ou par la puissance publique.
Nous nous sommes emparés du concept de biens communs dans une période où l’on sent un énorme désarroi des citoyens par rapport à la politique, et cela dans un nombre de pays assez large. Même si les citoyens continuent d’avoir une appétence pour le politique, pour la vie de leur pays, de leur quartier. Il y a une sorte de grand écart. D’un côté, un épuisement face à l’action politique habituelle, les partis, les syndicats, les structures intermédiaires classiques. Et de l’autre côté, une envie, un besoin de faire bouger les choses, car depuis 2007 nous nous enfonçons chaque jour un peu plus dans une crise économique et financière qui croise une crise écologique, une crise qu’Edgar Morin qualifie de cvilisationnelle, culturelle. Cette crise multi-facettes, nous n’en sortirons que si une énergie collective se met en place, qui ne se contente pas d’attendre le marché, soit l’État.
Nous avons besoin de pluralité, à la fois dans les visions du monde que l’on veut porter, et dans les moyens de l’action collective.
C’est cette perspective là qu’offre à nos yeux les biens communs.
Réseau international des biens communs.
Villes en Biens communs est une démarche initiée par la Ville de Brest et entre autre par Michel Briand, élu à la Ville de Brest et membre de VECAM.
Nous nous sommes inspirés de cette initiative pour la reproduire mais de manière un peu différente, dans la mesure où la mobilisation est portée par des collectifs, formels ou informels, et pas par les municipalités.
Des ponts et des partenariats peuvent se mettre en place avec les municipalités, cependant, l’essentiel de la mobilisation repose sur des logiques d’auto-organisation par les acteurs de terrain. C’est la source d’inspiration du modèle Villes en Biens communs.
Cette mobilisation s’inscrit au sein d’un mouvement international des biens communs. Il y a eut précédemment deux rencontres à Berlin. La première s’est tenue en novembre 2010 et l’autre en mai 2013.
Ces rencontres visent à réunir un certain nombre d’acteurs provenant de domaines très différents, de tous les continents.
Tous les champs de l’activité humaine qui appellent une transformation sont revisités. Il s’agit d’analyser en quoi cette notion de biens communs peut aider à penser un monde qui se développe différemment, avec une implication beaucoup plus forte des citoyens de manière à leur redonner confiance dans leurs capacités transformatrices.
Structuration du réseau des Biens Communs.
Je pense que le mouvement des biens communs a besoin aujourd’hui de fertilisation croisée avec d’autres univers qui se préoccupent de l’intérêt général. Je pense à l’économie sociale et solidaire, je pense au monde associatif.
L’économie sociale et solidaire a beaucoup à nous apprendre sur la manière dont, depuis maintenant quasiment un siècle et demi, se repense les questions de rapport au capital, à la propriété des moyens de production. Je pense notamment beaucoup au modèle des scoops, qui représente toute une inventivité documentée, outillée, sur la gestion du commun, et qui est très intéressante. Mais pour autant, ces modèles n’ont pas forcément intégré les logiques de partage, de circulation dont nous pouvons être porteurs. Il y a donc un premier croisement à organiser entre nous. Une partie du monde associatif, je pense notamment au Collectif Pouvoir d’agir, qui réfléchit beaucoup sur des formes d’auto-organisation citoyenne très proches de la pensée des biens communs. Même si eux n’ont pas une ressource à gérer, pour autant, ils étudient des démarches ascendantes très proches de celles que portent les acteurs des biens communs. On a des choses à se dire, à se raconter sur les manières de faire. Ces rencontres peuvent être sources d’inspiration croisées, d’un côté comme de l’autre.
2012. Manifeste SavoirsCom1
Lionel Maurel : « Nous avons eu plusieurs objectifs en faisant le manifeste de SavoirsCom1. C’est un texte fondateur. Nous avons considéré que pour lancer le collectif, il faillait s’appuyer sur un texte qui fixe les principes de notre action.
L’idée était dans un premier temps d’essayer de donner une définition de ce qu’est un « bien commun » de la connaissance, ce qui est, en-soi, un exercice redoutable. la En effet, la question des définitions est une des plus grandes difficultés de ce champ des « biens communs », celles-ci sont très débattues dans la communauté et donnent lieu à des discussions parfois complexes. Nous voulions également proposer une définition des « biens communs » de la connaissance. Nous ne l’avons pas complètement sortie de nulle-part. Nous avons synthétisé à partir de choses que nous avions déjà vu.
Nous intervenons dans le champ des biens communs informationnels, des biens communs de la connaissance. Le paysage des biens communs est complexe et très varié. Des gens traîtent dans les biens communs de la nature. Ils protègent des ressources naturelles. D’autres se situent dans des champs d’investigation liés à biens communs qui seront plutôt d’ordre sociaux, dans le domaine de la santé, sous certaines formes de solidarités locales qui peuvent exister, ou d’innovation sociale.
Les membres de SavoirsCom1 sont, pour beaucoup d’entre eux, issus de l’univers des bibliothèques. C’est pourquoi nous étions plus portés à nous intéresser aux biens communs informationnels.
L’idée principale consiste à « se rendre compte » que la connaissance ou l’information ont une nature particulière, qui font que l’on peut concevoir leur gestion autrement que sous la forme de l’appropriation exclusive privée, parce que la connaissance a cette capacité, cette caractéristique de ne pas être « rivale » – c’est-à-dire que quand je détiens une connaissance, un autre peut très bien avoir la même information sans me m’enlever. Cette caractéristique de base de « non rivalité » des biens communs informationnels fait que l’on peut envisager des formes de partage de la propriété sans appropriation exclusive. À l’inverse, on constate généralement ce phénomène pour les biens physiques qui eux sont rivaux et qui sont la plupart du temps gérés sous forme d’appropriation privée.
Nous voulions donc mettre en avant cette dimension là, et à partir de ce postulat, décliner des éléments, des domaines dans lesquels on allait pouvoir mettre en action et illustrer cette nature particulière des biens communs de la connaissance.
Nous en avons listé plusieurs. Il y a par exemple l’ouverture aux résultats de la recherche scientifique. La recherche scientifique est souvent gérée par l’origine de la propriété privée. Les grands éditeurs scientifiques s’accaparent des résultats de la recherche, et les monétisent, les revendent ensuite. Il y a d’autres façon de concevoir l’accès aux résultats de la recherche scientifique, de manière ouverte, ce que l’on appelle des « archives ouvertes » et cela est un point concret d’action possible.
Il y a le fait d’utiliser des licences libres pour mettre en partage les œuvres, les créations, artistiques ou intellectuelles, plutôt que de les mettre sous copyright ou droit d’auteur, et cela peut se décliner dans plusieurs domaines différents. Il y a ce que l’on appelle l’Open Data, l’ouverture des données publiques, des informations produites par l’administration, qui est un grand mouvement en ce moment, souvent sous les feux de l’actualité. Cela aussi c’est une manière de gérer autrement la propriété de ces informations. Il y a la question du logiciel libre. Il y a aussi une question qui moi me tient particulièrement à cœur et qui recoupe mon engagement à la Quadrature du Net, c’est celle du partage en ligne. Le piratage, ce qui est souvent décrit comme étant du piratage et que nous préférons appeler comme du partage. Nous réfléchissons aux moyens par lesquels on pourrait le légaliser tout en maintenant des financements pour les créateurs. C’est un des champs qui m’intéresse le plus, la question du domaine public, qui renvoie au patrimoine aussi, aux œuvres anciennes.
Nous avons listé tous ces points, qui sont pour nous les points d’action. Cela nous sert aussi à arbitrer au sein du collectif, ce que l’on traite et ce que l’on ne traite pas. Jusqu’à présent cela a été un cadre extrêmement précieux pour entre nous gérer les oppositions, les désaccords et trancher. Ce manifeste nous sert un peu comme table d’orientation qui nous permet d’agir. »
2013. Manifeste convivialiste
Violaine Hacker : « Le Manifeste convivialiste est un texte français, proposé par un collectif de praticiens et d’intellectuels engagés dans un collectif ou centre de recherche qui s’appelle le MAUS, Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales. L’anti-utilitarisme est à la fois une vision et une manière d’étudier l’économie. Il s’agit de ne pas considérer que l’individu est rationnel et isolé, il n’est pas un Homo œconomicus, mais plutôt de tenir compte des aspects culturels, non mesurables et prenant en compte un certain nombre de facteurs explicité dans la pensée de l’économie hétérodoxe. »
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