Définition(s) des communs

Thomas Landrain. Le vivant

Thomas Landrain est chercheur en biologie synthétique. Il est co-fondateur et président de La Paillasse, premier laboratoire citoyen dédié aux biotechnologies en France. Interview de Thomas Landrain enregistrée le 14 août 2013.

Si je devais parler du bien le plus commun qui puisse exister à mes yeux, pour les humains entre autres, ce serait la biologie, ce serait la vie. Tout simplement parce que l’on peut très facilement s’y relier, puisque l’on en fait partie.

Nous sommes inscrits, en-soi, dans un système complexe que l’on ne maîtrise pas, mais dont on tire tous parti. Et je pense que notre appartenance à cet écosystème fait du vivant un bien commun.

On considère la nature comme étant un objet gratuit, dans lequel tout le monde peut puiser. Une législation entoure bien-sûr l’utilisation de cette ressource, mais il ne faut pas oublier que pendant très longtemps, il suffisait de s’installer quelque part, de demander un lot de terre pour que l’on puisse l’exploiter. Donc, en-soi, la nature est un bien commun. Et je pense que l’on peut étendre cette dimension à la vie en générale.

Irène Favero. La dignité humaine

Spécialisée en économie et gestion des arts et des activités culturelles, Irene Favero est chargée de mission auprès du Réseau Culture 21. Spécialisée dans les processus participatifs et la gestion de projets multi-partenariaux, elle contribue notamment à la mise en réseau des opérateurs culturels français qui par leur pratique contribuent à l’exploration du lien entre culture et développement durable. Interview de Irène Favero enregistrée le 10 septembre 2013.

Ce qui a fait que je me suis intéressée à la question des biens communs, c’est la définition qu’en donne Stefano Rodotà. Juriste italien, Stefano Rodotà, qui a par ailleurs manqué de peu de remporter les dernières élections à la présidence en Italie, a été chargé par le Ministère italien de la Justice de mettre en place une commission qui travaille autour de la question des biens communs et de la façon dont ces problématiques peuvent rentrer dans le code civil italien.
Cette définition, qui me parait pertinente et avec laquelle je me trouve en accord, et qui rentre également en résonance avec la démarche du réseau Culture 21, consiste à affirmer que les biens communs sont les biens utiles à l’exercice des droits fondamentaux de la personne.

Tout comme les droits culturels, les biens communs désignent selon moi des leviers pour le respect des droits de l’homme et se posent comme une sorte de prémisse au respect de la dignité humaine.

C’est à cette définition des biens communs que j’adhère principalement.

Benjamin Coriat. Les droits

Benjamin Coriat est économiste et professeur d’économie, membre du CA du collectif des Économistes Atterrés. Interview de Benjamin Coriat enregistrée le 17 juin 2015.

Ma définition des communs est issue d’un important projet de recherche ANR intitulé PROPICE, que j’ai dirigé, réunissant 25 chercheurs et qui a duré 42 mois. L’ouvrage Le retour des communs constitue un des aboutissements de cette recherche. Nous avons par ce travail aboutit à une définition des communs qui, je le pense très honnêtement, est très robuste. Je définis les communs au carrefour de trois choses :

Une ressource, tangible ou intangible (une pêcherie, des données…),

Un collectif d’acteurs, individuels ou collectifs, qui disposent de droits et d’obligations vis-à-vis de cette ressource. Ici, la notion de faisceau de droits est fondamentale.
Il n’y a pas de communs s’il n’y a pas un faisceau de droits, formels ou informels, c’est-à-dire des règles d’usage émises par des autorités, mais qui distribuent les droits d’accès, de prélèvement, d’exploitation.

Une structure de gouvernance. Lorsque ces droits sont enfreints ou dépassés, une structure de gouvernance met de l’ordre, par des pressions amicales, et le cas échéant, par sanctions. Par exemple, Il y a des communs en Indes dans lesquels on partage l’accès à des champs. Or, certains jouent les free-rider (problème du passager clandestin), et en réaction, les membres des communautés ont décidé d’acheter les services de gardes armés.

Les communs, ce n’est pas le monde des Bisounous.

Valérie Peugeot. La diversité

Valérie Peugeot est chercheuse à Orange Labs, en charge des questions de prospective au sein du laboratoire de sciences humaines et sociales. Présidente de l’association VECAM, Valérie Peugeot a rejoint en janvier 2013 le Conseil National du Numérique, en tant que vice-président. Interview de Valérie Peugeot enregistrée le 09 juillet 2013.

Une des particularités du mouvement des biens communs est que l’on ne se situe pas dans un dogme. Il n’existe pas une vision unique de ce que sont les biens communs. D’une part, tout est en train de se construire. D’autre part, comme le souligne Elinor Ostrom, Prix Nobel d’économie en 2009, il n’existe pas un modèle de communs, car ceux-ci se réinventent à chaque fois en fonction du contexte local, de ceux qui les portent, de la ressource à gérer, etc… Ce processus demande beaucoup plus d’efforts que d’appliquer un modèle tout fait.

Le processus permanent de réinvention des communs est infiniment satisfaisant parce qu’il laisse l’espace à la diversité dans l’action, à la diversité des acteurs, et surtout, il évite de tendre vers des formes idéologiques totalisantes et donc excluantes.

Frank Adebiaye. Le temps

Issu d’une formation professionnelle en gestion et en comptabilité, Frank Adebiaye est aujourd’hui spécialiste du document numérique d’entreprise et de gestion. Il est par ailleurs auteur, typographe et à l’initiative de la fonderie libre Velvetyne. Interview de Frank Adebiaye enregistré le 19 septembre 2013.

Il y a pour moi un bien commun tout à fait essentiel et dont on parle trop peu, à mon sens, c’est le temps. C’est à la fois un bien commun et un mal commun puisque c’est notre condition humaine. Nous sommes des créatures mortelles, enchâssées dans un temps. Un temps indéfini, mais bien limité.

On aura beau faire beaucoup de projets, il est avant tout nécessaire d’inscrire ces projets dans un temps commun, dans un agenda. Ce qu’il faut faire, on le met dans un agenda, et cet agenda s’inscrit dans un temps.
Il faut prendre le temps de faire les choses, de les mettre au programme au sens informatique du terme, c’est-à-dire de poser les choses et de les inscrire dans un horizon temporel commun, et ne pas les repousser. C’est la condition pour faire exister un espace commun, pour être ensemble. Si on est ensemble, alors on peut commencer à faire des choses ensemble. Des choses qui vont concerner beaucoup de monde, et peut-être même tout le monde. De mon point de vue, il ne peut y avoir de biens communs s’il n’y a pas de temps commun.
Ce temps commun, c’est par exemple le temps de fonder une famille. C’est un temps.
En finance, le temps est une notion très importante. Je parlais tout à l’heure de capitalisation, qui consiste à prendre la valeur d’un bien et de la projeter dans le temps. La notion inverse, c’est l’actualisation. C’est-à-dire prendre la valeur futur d’un bien et la ramener aujourd’hui.
Beaucoup de nos contemporains ont tendance à actualiser, c’est-à-dire à beaucoup ramener les choses au jour d’aujourd’hui, à l’instant même, et à ne pas capitaliser, c’est-à-dire construire des choses pour demain.

Le court-termisme, les choses faites à la hâte, les projets décousus, les intentions inachevées, incarnent un mal de notre temps qui fait pièce à toute volonté de biens communs.

Après moi, le déluge. C’est ce qu’il se passe. Par exemple en politique, parce que les hommes politiques sont dans un temps électoral, les municipales, les rapports financiers semestriels voir trimestriels. C’est ce temps là. Nous sommes enchâssés dans cette nasse. Et tant que l’on ne fixe pas les choses dans le temps, tant que l’on ne prend pas date, on ne peut pas dire que l’on va faire des choses communes.

Rendre les choses communes signifie prendre du temps pour les autres.

Si l’on ne prend pas de temps pour les autres, il n’y a pas de bien commun.

Prendre conscience du bien commun, c’est aussi prendre conscience de nos limites. C’est prendre conscience que l’on ne peut pas démultiplier les initiatives et les propriétés privées.
Ce morcellement de nos existences a des impacts énormes.

Il faut savoir prendre conscience que l’on ne peut accorder une telle importance à la volonté d’accaparement de chacun. Certaines choses doivent être mises en commun. Si on connait aujourd’hui une crise du logement, c’est parce que les gens ne vivent plus ensemble. Au lieu d’avoir un F2 il faut deux F1, etc…

Frédéric Sultan. La gouvernance

Frédéric Sultan est fondateur de Gazibo, société coopérative spécialisée dans le conseil, la formation et l’animation de projets collaboratifs reposant sur l’utilisation d’outils numériques. Membre de VECAM, Frédéric Sultan est également à l’initiative du projet multimédia collaboratif Remix the Commons. Interview de Frédéric Sultan enregistrée le 17 juillet 2013.

Il y a une définition que j’aime bien actuellement, c’est l’idée que les biens communs sont un laboratoire de gouvernance.

L’auteur qui m’a inspiré cette phrase c’est Philippe Aigrain. J’ai entendu cette phrase lors d’une rencontre informelle il y a quelques semaines. Je trouve que cette idée là résume beaucoup de choses.

Cela implique que c’est d’abord un processus, que c’est quelque chose de vivant et que cela nécessite des expérimentations. C’est une définition qui me parait très ouverte.

Je pense également qu’il est important de préciser que cette définition est datée. À travers Remix the Commons, une des premières choses que l’on a fait c’est de collectionner des définitions sur les biens communs. Interroger les gens, en leur demandant de résumer en quelques phrases ce que sont les biens communs.
Je me suis plié moi-même à cette question en 2010, et j’avais à l’époque surtout insisté sur le fait que l’on ne pouvait pas donner une seule définition des biens communs, mais ce qui était intéressant était d’en donner plusieurs, et surtout de regarder comment elles étaient situées culturellement, historiquement, économiquement, socialement. La définition que peut donner le membre d’une coopérative à Paris ne sera pas la même que celle que va donner quelqu’un en Amazonie ou quelqu’un dans un village au sud marocain en parlant de l’eau. Il y a une forte incidence du lieu d’où l’on vient et de qui l’on est, et qu’il est très intéressant de conserver cette incidence là et cette richesse. Ce corpus de définitions, à côté des définitions académiques, me parait être un socle intéressant.

Primavera De Filippi. La régulation

Primavera de Filippi est chercheuse rattachée au CERSA où elle traite des enjeux juridiques liés aux nouvelles technologies sur internet. Elle est également experte légale au sein de Creative Commons France et a rejoint l’Open Knowledge Foundation, où elle coordonne les groupes de travail sur l’Open design et sur le domaine public. Interview de Primavera De Filippi enregistrée le 29 août 2013.

Un bien commun est quelque chose que plusieurs propriétaires ont en commun. La propriété est partagée entre ces personnes.
De manière générale, la problématique des biens communs est que, lorsqu’une ressource est partagée en commun, il faut théoriquement des règles pour s’assurer que cette ressource ne soit pas, soit abusée, soit épuisée.
Cela change dans le monde numérique puisque la notion de rivalité n’existe plus. En consultant une œuvre numérique, je n’empêche personne de l’utiliser, je ne l’abîme pas, il n’y a plus les risques que l’on désigne par la »Tragédie des communs ».
Avec le numérique, on transpose donc la question à d’autres problématiques : Comment protéger les communs, comment empêcher l’exploitation injuste, l’abus, comment les préserver, les promouvoir et en créer davantage.

Enfin, si je pouvais donner une définition plus personnelle, je dirais qu’un bien commun est simplement quelque chose qui appartient à tous, sans compter nécessairement le régime juridique.
Par exemple pour une œuvre, cela ne signifie pas que celle-ci appartienne à tout le monde, cela signifie que chacun a le droit de l’exploiter.

Une œuvre en bien commun n’est pas une œuvre qui appartient à tous, c’est une œuvre que tout le monde peut librement utiliser, réutiliser, etc… sous certaines conditions, relativement à la licence.

Bruno Carballa. L’organisation de la production

Bruno Carballa est doctorant en économie à Paris 13 sous la direction de Benjamin Coriat. Interview de Bruno Carballa enregistrée le 04 avril 2016.

Les communs sont une forme de gestion des ressources dans laquelle une communauté s’engage à un partage sous la forme d’une propriété non exclusive. C’est la communauté qui gouverne la ressource et crée les règles de gouvernance. À mon avis, ce qui distingue le plus les communs notamment dans le champ de l’économie, c’est cette dimension de propriété non exclusive.
La propriété de la ressource n’implique pas d’avoir tous les droits sur la ressource.

Étienne Hayem. Les échanges

Étienne Hayem est entrepreneur, consultant, conférencier et écrit sur le sujet des monnaies complémentaires et de la monnaie de façon plus large. Interview de Étienne Hayem enregistrée le 6 décembre 2013.

Je me suis documenté sur la question des communs. Il demeure pour moi compliqué d’en donner une définition, et en même temps, c’est bien de cela qu’il s’agit.

Définir une monnaie revient à se demander quel est notre plus grand dénominateur commun.

Il s’agit de nous demander ce qui nous relie tous, malgré nos différences de croyances, d’opinions politiques, d’intérêts économiques, etc.. .

Bien que nous ayons des intérêts économiques individuels différents ou divergents, nous faisons partie de quelque chose qui est plus grand que nous. C’est peut-être cela les communs.

C’est peut-être cet enjeu là que je place au centre de la question de la monnaie, et pour moi justement, les monnaies sont des biens communs qui nous relient tous et nous concernent, nous impactent tous.
En effet, dans le cas où une seule personne décide d’une monnaie pour un réseau, alors c’est une communauté entière qui joue un jeu établi par une seule personne. Alors que si nous travaillons ensemble pour créer une monnaie qui réponde aux intérêts et besoins de tous, sans faire de mal à personne, je pense que nous constituons du commun.
Aussi je pense qu’un commun désigne à la fois la manière de faire ensemble pour nourrir quelque chose, et quelque chose qui nourrit un ensemble. Je crois que c’est cela un commun pour moi.
Je peux aller un peu plus loin, au regard de ma dernière lecture. Tolstoï dit qu’il il y a la terre, l’outil de travail et le travailleur.
Selon le système actuel et le code de propriété, les biens matériels et, par exemple, les terres appartiennent à une personne déterminée. Pourtant, si l’on prend du recul, selon moi, la terre est un commun. Elle ne nous appartient pas. Nous faisons partie de la Terre. Nous faisons partie des vivants.
Du point de vue de notre système économique à caractère propriétaire, les biens matériels appartiennent temporairement à des personnes désignées.

Mais si l’on retourne vraiment à la définition des communs, au sens des communs le plus page, je crois qu’à un moment donné, il va nous falloir faire sauter pas mal des choses qui régissent aujourd’hui notre société et notamment ce qui définit la propriété, la répartition des richesses, le capital, etc…

La terre ne nous appartient pas. Nous avons la responsabilité d’en prendre soin. Nous avons la responsabilité de la transformer pour pouvoir aménager les écosystèmes comme la permaculture le fait, par exemple. L’appartenance est une invention humaine.
À propos de l’outil de travail, c’est la même chose. Finalement quand on regarde un outil de travail, une invention est possible parce qu’il y a un milieu social propice, à l’image de l’invention de l’écriture, de l’organisation de la connaissance, de Wikipédia.
Selon moi, la notion de propriété sur les idées, la notion de brevet ne fait plus sens aujourd’hui à l’échelle de l’humanité. La propriété est éphémère, c’est une invention de l’homme, une forme d’organisation humaine instaurée pendant un temps, et qui me semble aujourd’hui obsolète.

Je pense qu’une idée a plus de valeur lorsqu’elle est partagée. Pour moi, les idées, les concepts, les projets font partis du commun au sens large.

Et finalement il reste le travail, il reste l’individu. Et sa liberté – si tant est qu’il a accès au moyen de travail et à la terre, ce qui n’est déjà plus le cas aujourd’hui – il reste à l’individu sa liberté de décider ce qu’il fait de son travail. C’est peut-être là que se situe la limite du commun : cette liberté individuelle de choisir à quoi nous consacrons notre travail.
Beaucoup de formes d’organisation du travail existent déjà : les coopératives, etc…
À ce jour, le domaine public est n’est définit nulle part. Il est décrit par son absence. C’est quand le domaine privé termine que le domaine public commence à exister.
Donc, de mon point de vue, le bien commun est partout, jusqu’à l’individu. Je définis le commun comme tout ce qui dépasse ma liberté personnelle. Et j’espère, j’ai profondément fois que nous passerons un certain nombre de coopérations.

Cette coopération là, c’est faire sauter les verrous de la propriété, aussi bien sur les inventions que sur les biens ou les terrains. Cela pose des milliers d’autres questions sur la gestion et la responsabilité, qui travaille et comment on partage le travail. Mais je crois que de cette société de la propriété, il faut que l’on passe à autre chose.

Pierre Carl Langlais. L’accès ouvert

Doctorant en sciences de l’information et de la communication, les principaux domaines de recherche de Pierre Carl Langlais sont l’information financière, le datajournalisme (projet Jourdain), Wikipedia et l’e-learning. Administrateur de Wikipedia depuis 2012, il publie régulièrement sur la connaissance ouverte sur Hôtel Wikipedia et travaille actuellement sur la création de Wikilogie. Interview de Pierre Carl Langlais enregistée le 01 juillet 2013.

La notion de biens communs porte l’idée de s’inscrire en faux contre un sentiment d’appropriation généralisé par le régime de la marchandise. La démarche des communs consiste à mettre à disposition des biens librement accessibles, financés par la communauté ou autofinancés, selon une logique de libre approvisionnement.

Silvère Mercier. L’appropriabilité

Silvère Mercier est chargé de la médiation et des innovations numériques à la Bibliothèque Publique d’Information à Paris. Bibliothécaire engagé pour la libre dissémination des savoirs, il est co-fondateur du collectif SavoirsCom1. Interview de Silvère Mercier enregistrée le 23 juillet 2013.

Dans la manière dont nous envisageons la notion de biens communs, nous avons pour intention de dépasser la dimension d’accès à l’information pour investir la question son appropriation et de son appropriabilité.

Louis-David Benyayer. La coordination

Louis-David Benyayer est entrepreneur et conseiller en stratégie. Il mène en parallèle une activité d’enseignement et de recherche. Il est co-fondateur et développe depuis 2012 Without Model, organisation dont la mission est de contribuer à généraliser les modèles économiques collaboratifs, ouverts et responsables. Interview de Louis-David Benyayer enregistrée le 11 octobre 2013.

De mont point de vue, les biens communs sont ces efforts produits par des communautés d’individus, qui se coordonnent et mettent à disposition le résultat de leurs efforts à la communauté sans en attendre une contrepartie directe et référencée.

Yann Heurtaux. L’amélioration

Passionné par la mobilité et les processus de co-création, Yann Heurtaux est consultant spécialisé en dynamiques communautaires, à Lausanne en Suisse. Il participe activement au projet Medialab Session. Interview de Yann Hertaux enregistrée le 11 août 2013.

Je ne suis pas un spécialiste de la définition. Cependant, je suis très attaché à tout ce qui est lié au libre accès à la connaissance.

J’entends, en employant le terme « connaissance », la somme de savoirs acquis par l’Humanité. Par définition, c’est quelque chose qui doit être disponible pour tout le monde.

Je peux en parler au travers certains événements qui m’ont particulièrement touchés. Ce qui est arrivé à Aaron Swartz, par exemple, m’a beaucoup fait réfléchir.
J’ai toujours été – il y a un terme à la mode en ce moment à propos de cela – un slacktiviste. Je suis capable de « liker » quelque chose sur facebook, de dire « ah c’est cool ce que vous faites », mais arrive un moment où il faut prendre une part active à la chose.
Le libre accès à la connaissance est quelque chose qui doit se défendre, dans un monde où, je le pense, c’est loin d’être acquis dans les faits. On peut même parler de danger en quelque sorte, car il existe de forts groupes d’influence qui n’ont aucun intérêt à ce que la connaissance soit libre et accessible à tous. D’une part parce qu’ils veulent la monétiser – ce qui peut se défendre – mais en l’occurrence je ne crois pas que cela soit une bonne chose en ce qui concerne la connaissance. Ce n’est pas souhaitable pour l’humanité. C’est quelque chose qui risque de nous bloquer plutôt que d’avancer.
Et à côté de cela, je fréquente beaucoup de journalistes, beaucoup de chercheurs, notamment des gens portés sur les Digital Humanities. Parmi mes amis à Lausanne, il y a un historien, Martin Grandjean, qui joue beaucoup avec cela. Sur son blog personnel, Martin demande aux gens s’ils contribuent à Wikipédia. Un jour il m’a dit : « Wikipédia c’est la façon de sortir des vieux tiroirs poussiéreux les fiches des générations précédentes de vieux chercheurs en Histoire, et d’éviter que la génération suivante ne reparte de zéro sur certains sujets, et puisse construire sur une base de connaissance commune, mise en ligne et à disposition ».
Il y a un historien qui a eu une bonne idée à Hong Kong. Il a mis le début de sa réflexion en ligne, pour que son travail puisse être poursuivi, augmenté.

C’est le concept de « remix » and « reuse », très cher au web. On ne repart jamais de zéro. On prend ce qu’a fait l’autre et on l’améliore.

Pour moi c’est un des éléments de définition des biens communs. Quelque chose que l’on a tous à disposition, et on l’améliore.

Julien Breitfeld. Le public

Julien Breitfeld a travaillé dans le domaine des médias et de la radio. Il est co-fondateur et ancien PDG de Libsum, librairie en ligne permettant de lire et de partager ses expériences de lecture. Interview de Julien Breitfeld enregistrée le 28 août 2013.

À mon sens, un bien commun, informationnel ou pas, est censé appartenir à tous le monde, dès lors que l’on a défini que dans une société existe des biens patrimoniaux, qui appartiennent au public et sont non appropriables, et des biens privés avec lesquels on fait un peu ce que l’on veut.

Ma réflexion personnelle porte davantage sur les biens informationnels et interroge en ce sens la notion de biens publics.

Félix Tréguer. La société civile

Félix Tréguer est doctorant en études politiques à l’EHESS et membre fondateur de l’association La Quadrature du Net. Il mène depuis 2011 une thèse relative aux enjeux démocratiques de la protection de la liberté d’expression sur Internet. Interview de Félix Treguer enregistrée le 20 août 2013.

Le bien commun, de mon point de vue, s’inscrit dans un triptyque État, marché et société. Le bien commun est un ensemble de ressources dont la gouvernance est entre les mains de la société civile, et donc pas de l’État et pas du marché, même si ces derniers peuvent y contribuer.

Émeline Brulé. La conflictualité

Émeline Brulé est designer. Interview enregistrée le 10 décembre 2013.

Je pense que les communs se définissent surtout par opposition. Le commun est ce qui n’est pas privé.
De ma même manière que le domaine public se définit par défaut, comme ce qui n’est pas sous copyright, les communs sont des espaces qui n’ont pas été légiférés ou ordonnancés.
Les pâtures, les prés communs ou les territoires communs comme les communs sur internet sont des espaces interstitiels entre des domaines privés.
Je n’irai pas jusqu’à dire que les communs échappent à la loi, car l’on détermine aussi ce qui relève du bien commun comme ce qui est chargé de protéger l’État. Au sein des communs, on légifère, on met en place des règles et des lois, pour définir cet espace et de sorte que les droits des uns n’empiètent pas sur ceux des autres.

Cependant, je dirais qu’au travers l’Histoire, les communs sont des espaces qui échappent à des systématisations.
Les communs sont des zones d’autonomie temporaires, pour reprendre les termes de Hakim Bey, des espaces autonomes circonscrits dans le temps et géographiquement.

Les communs sont ce qui échappe aux corps constitués, et permettent d’en créer des nouveaux. Des espaces de liberté qui sont constitués par des communautés, et qui deviennent des communs. Internet en est un exemple.

Je pense également que la question de l’échelle est importante. À l’échelle d’un État, les choses ne peuvent pas bouger aussi vite qu’elles ne peuvent le faire à un niveau local, voire familiale. Il y plein d’échelles de communs, qui entrainent plein de définitions différentes.

Louise Merzeau. Le politique

Louise Merzeau est maître de conférences HDR à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense et membre du laboratoire Tactic. Ses travaux de recherche portent essentiellement sur trois domaines : Mémoire et information, Médiation (approche médiologique) et Image et information. Interview de Louise Merzeau enregistrée le 27 mai 2013.

La notion de biens communs informationnels pose la question des ressources et des modalités de partage de ces ressources. Notamment parce que les ressources numériques posent un problème particulier, dans la mesure où celles-ci sont constitutivement partageables, de par leur reproductibilité et leur viralité.
La notion de biens communs induit également la notion de communauté, cette dernière manifestant une certaine intention et volonté de partager ces ressources.
Il s’agit donc d’interroger le lien entre ressources et communauté, en tant qu’elles servent pour une communauté à définir un cadre d’échange, de partage et finalement, à terme, à se définir elle-même.

Ce qui fait de la question des « biens communs » une question politique, et soulève des enjeux de gouvernance.

Lionel Maurel. Le collectif

Lionel Maurel est un blogueur, juriste et bibliothécaire de formation. Ses analyses portent sur une re-définition du droit d’auteur à l’ère du numérique. Il est co-fondateur de l’association La Quadrature du Net pour la défense des libertés citoyennes sur l’Internet et du collectif Savoirscom1. Interview de Lionel Maurel enregistrée le 25 juillet 2013.

« Pour moi, l’angle le plus simple par lequel j’appréhende les biens communs, c’est à travers les questions de propriété. On est dans une optique de biens communs à partir du moment où l’on est un groupe.

La notion de biens communs est pour moi éminemment liée à la dimension collective, à l’action collective, à des communautés concrètes qui se rassemblent autour d’un intérêt ou de pratiques qu’elles ont en commun.

Et l’on est dans une approche des biens communs à partir du moment où l’on est dans une forme de partage de la propriété plutôt que dans une forme d’appropriation exclusive, c’est-à-dire quand on met en partage quelque chose, que cela puisse être une encyclopédie collaborative, des œuvres de l’esprit, ou des lieux, ou des projets ou des formes sur lesquelles on pourrait avoir une propriété. Quand on les met en partage, on rentre dans la logique des biens communs.

Et pour qu’il y ait biens communs, normalement, dans la définition – et c’est un point sur lequel Elinor Ostrom insiste beaucoup et je pense que c’est très important – il faut qu’il y ait une gouvernance, c’est-à-dire des règles qui soient définies pour gérer cette ressource et faire en sorte de la protéger.

D’une part, la protéger contre l’extérieur, c’est-à-dire des personnes qui voudraient se la ré-approprier de manière exclusive – il y a donc là un aspect défensif dans les biens communs. Et d’autre part, les communautés des biens communs essaient aussi de se protéger d’elles-mêmes en quelque sorte, c’est-à-dire de se donner des règles de décision et d’action qui garantissent toujours l’ouverture et qui garantissent qu’il n’y ait pas réapparition d’un schéma hiérarchique.
Je pense que l’on retrouve toujours ces éléments-là, avec des dosages différents, dans toutes les choses que l’on estampille biens communs. »

Sylvie Dalbin. La relation

Documentaliste scientifique entre 1984 et 1989, Sylvie Dalbin est consultante en organisation et ingénierie documentaires depuis 1989 au sein d’Assistance & Techniques Documentaires. Sylvie Dalbin travaille sur les questions d’indexation automatique et de recherche sur les contenus. Interview de Sylvie Dalbin enregistrée le 29 octobre 2013.

Dès lors que l’on décide de travailler avec une communauté, cela implique un temps consacré à la relation entre les gens. Ce temps ne peux pas être que du productivisme de travail. Ce temps d’attente, qu’il soit électronique ou physique, est un temps d’appropriation nécessaire.

Samuel Goëta. L’implication

Doctorant à Télécom ParisTech, Samuel Goëta étudie les implications politiques des technologies numériques. Spécialisé dans les questions touchant à la production et la libération de données publiques, il est également co-fondateur d’Open Knowledge Foundation France. Interview de Samuel Goëta enregistrée le 10 juillet 2013.

Un bien commun est un bien soumis à une gestion collective. C’est à mon avis un des aspects les plus importants.

Cette gestion à plusieurs n’induit pas forcément l’absence d’une organisation, d’une structure ou d’une hiérarchie, mais implique une implication collective, c’est-à-dire l’idée que chacun a un droit de participer à la prise de décisions.

Ce bien est géré de manière collective, même s’il peut y avoir un président ou un directeur. Si c’est le cas, cette hiérarchie doit rendre des comptes, et doit également inclure un maximum de personnes dans toutes les décisions et le fonctionnement de l’objet qu’elle anime. La gestion collective est donc, à mon avis, un aspect très important. En cela, j’associe beaucoup ce fonctionnement avec celui des coopératives.
Une autre dimension importante me semble se situer en la vigilance à ce qu’il n’y ait pas de discriminations pour les personnes qui utilisent ce bien commun.
N’importe qui peut entrer dans la communauté du moment qu’il respecte cette logique, qu’il contribue et qu’il participe au maintien de ce bien commun.

Bastien Guerry. L’esprit critique

Bastien Guerry est développeur et enseignant indépendant, passionné de culture libre. Il a travaillé pour One Laptop Per Child, Wikimédia France et le musée des Arts et Métiers et a contribué à l’éditeur de texte GNU Emacs en développant Org-mode. Interview de Bastien Guerry enregistré le 29 juillet 2013.

Je reprends à mon compte la définition de l’Open Knowledge Foundation, pour ce que j’en ai compris :

Les biens communs sont des biens, soit du Domaine Public, soit libres, qui sont gérés par une communauté.

Adrienne Alix. La collaboration

Auparavant enseignante en histoire, puis dans le marketing et le e-commerce, Adrienne Alix est depuis juillet 2011 directrice des programmes de Wikimedia France. Interview de Adrienne Alix enregistré le 20 août 2013.

Pour moi, il y a différentes échelles dans les biens communs.
Il y a les biens communs dont on a décidé qu’ils seraient communs, c’est-à-dire les contenus, les objets, et tout ce qui est, de manière délibérée, placé sous un régime juridique qui permette de le rendre commun. En l’occurrence et plus globalement, le régime des licences libres. Je donnerais pour exemple des projets comme Wikipédia, Gutenberg, ou des projets d’Open Data.
Et, de manière plus englobante, il y a ce que je considère comme « devant » faire partie des communs, de par une position philosophique, politique, etc…
Dans ces communs, pour moi, devrait figurer le patrimoine national. Par exemple, lorsque l’on s’occupe de monuments historiques, on s’occupe des biens communs français, car ce sont des biens qui ont été reconnus comme étant d’importance patrimoniale par l’État. Tous ne sont pas publics, mais cela fait partie d’un bien commun national dont on doit prendre soin.
Ensuite, d’un point de vue plus politique, pour moi, la production humaine et notamment toute sa production artistique et intellectuelle, a vocation à être, au bout d’un moment, dans les communs. Il existe le domaine public, qui est quelque chose de très important pour moi.

Et pour aller au bout des choses, j’ai tendance à considérer que le droit d’auteur est une exception temporaire au domaine public.

C’est-à-dire qu’au lieu de dire que le domaine public advient quand le droit d’auteur tombe, de mon point de vue, une production intellectuelle, artistique ou même industrielle fait partie des biens communs de l’humanité et n’est que temporairement restreinte par des législations sur le droit d’auteur.
Les brevets fonctionnent comme cela. Pourquoi le droit d’auteur ne fonctionnerait-il pas comme les brevets ? Les brevets sont une exception temporaire à la libre circulation des idées et des inventions. Aussi je pense que le droit d’auteur fonctionne selon la même logique.
Il y a différents niveaux dans les communs. Il est important de travailler sur ceux dont on décidé qu’ils sont des biens communs et d’essayer de faire grandir un peu ce champ tout en étant respectueux du désir de propriété des autres.

L’idée n’est pas de tout mettre en commun, mais de convaincre les gens qu’il est important de mettre leur travail en commun.

Vincent Calame. L’intégration

Vincent Calame est concepteur codeur de logiciels libres en particulier pour la Fondation Charles Léopold Mayer. Militant au sein de l’APRIL, structure pour la promotion du logiciel libre à l’échelle internationale, Vincent Calame est également membre de Parinux, groupe local des utilisateurs de logiciels libres pour la région de Paris-Ile-de-France. Interview de Vincent Calame enregistré le 5 septembre 2013.

En parlant de biens communs, je ne suis pas sûr que nous ayons, au sein de la communauté du logiciel libre, une définition commune des choses.
Ce qui est sûr, c’est que très vite. nous avons parlé de communauté. Et c’est un terme qui est parfois galvaudé, car pour certains logiciels libres, la communauté se réduit à quelques personnes.

Je pense que l’un des enjeux de réussite se situe dans la capacité à faire vivre une communauté au sein de laquelle chacun puisse trouver sa place.

J’identifie un risque de domination de ceux qui codent par rapport à ceux qui utilisent. Ceux qui codent ont le pouvoir de changer les lignes, et peuvent imposer des directions dans l’évolution des logiciels. Or un logiciel, à la différence des autres biens communs, est en évolution et mutation permanente. Il n’a d’intérêt que si il est mis à jour. C’est pourquoi je pense, au fond, que la question de la gouvernance et de la prise de décision au sein des communautés du logiciel libre est un enjeu central.

Au sein des communautés du libre, il y a des séparations, que l’on désigne par fork. Certaines sont amicales, mais d’autres peuvent détruire la communauté, parce qu’en se séparant, ces communautés perdent de l’énergie. À titre d’exemple, on observe en ce moment des cas, dans les communauté des gros logiciels, où les utilisateurs ne sont pas contents des évolutions qui sont donnés par les codeurs.

C’est pourquoi je pense que les communautés qui réfléchissent sur les communs ont a apprendre de l’écosystème du logiciel libre qui a une dizaine d’années d’expérience. Et inversement, il y aurait sans doute des réflexions des biens communs à apporter au logiciel libre en ce qui concerne les questions de gouvernance. Comment gère-t-on des communautés aux profils disparates ? Comment s’organise-t-on pour que le pouvoir ne reste pas uniquement aux mains des sachants ? Ces questions restent ouvertes.

Sophie Ricard. L’hospitalité

Sophie Ricard est architecte, coordinatrice de l’Hôtel Pasteur et co-fondatrice de l’association collégiale l’Hôtel Pasteur à Rennes. Interview enregistré le 24 juin 2017.


Au travers l’expérience de l’Hôtel Pasteur, nous interrogeons la notion de communs. Philippe Le Ferrand y a d’ailleurs fait un travail sur la question du nous, de ce qui fait communauté ou pas, et sur la question du vocabulaire.

À l’Hôtel Pasteur, nous sommes tous hôtes.
Chacun accueille et est accueilli.

Ce double sens me semble important, et nous souhaitons le conserver. C’est pour cela que nous avons décidé de nous appeler L’Hôtel.
Et, au début, c’était vraiment l’hôtel particulier, au sens de singulier, au sens où chacun vient avec ce qu’il est. Les gens se retrouvent juste parce qu’ils viennent avec ce qu’ils sont.

Le premier enjeu de l’Hôtel Pasteur n’est pas de faire communauté parce que l’on travaille sur les mêmes sujets.
L’Hôtel Pasteur existe, bien au contraire, parce que l’on sait que l’on peut exister à l’instant t pour quelque chose qui nous paraît essentiel à faire.

À ce moment donné, on rencontre l’autre, et ce nous existe à travers justement la possibilité de faire. Le nous est précisément à cet endroit. C’est donc une communauté très ouverte.

Cette communauté est mouvante et s’affranchit d’accompagnement ou d’obligations.

Certains on envie d’être accompagnés, et d’autres pas du tout. Ils ont juste besoin d’un terrain pour faire. Et respectons cela.Je me réfère moins au mot communs qui me semble, comme le mot tiers-lieu, être devenu un mot balise pour tout le monde, et qui décrit des réalités très différentes.

En revanche, je pense que ce commun existe, parce qu’à un moment donné, il y a l’opportunité de faire, et suffisamment de besoins pour répondre à cette opportunité.

Nathan Stern. Le lien social

Nathan Stern est ingénieur social. Il a notamment fondé des réseaux tels que Peuplade en 2003, réseau social local, et conçu Voisin-age en 2008 pour le compte des petits frères des Pauvres. Interview de Nathan Stern enregistrée le 15 octobre 2013.

J’ai fait des études de philosophie et de sociologie, j’ai entendu parlé de différents types de biens communs, différentes manière de les définir. Et je vois qu’autour de cette notion, extrêmement précieuse à mes yeux, perdure une grande inhibition. Personne n’ose vraiment s’approprier cette notion de biens communs, qui me parait pourtant vraiment opportune. Il serait dommage que par peur de mal utiliser ce concept, on le néglige et l’on n’en fasse pas l’usage qu’on pourrait en faire. Donc je me suis, de manière un peu téméraire, arrogé le droit d’affecter une définition assez ferme à cette notion, en profitant de tout cet arrière plan un peu confus qui existe derrière elle. Cette notion évoque à la fois un bien que la nature nous a offert, et un bien culturel dont les hommes profitent. Je ne vais pas creuser les définitions alternatives. Je vais défendre une définition et puis advienne que pourra. Elle va peut-être petit à petit prendre des galons. Ou être au contraire personne ne l’adoptera et cela n’en sera pas plus grave.
Bien commun c’est même un nom que j’ai donné à ma boîte, puisque j’ai appelé ma boîte Common Good Factory. Et ma boîte est véritablement le véhicule de toute mon activité sociale, bénévole ou rémunérée. C’est vraiment mon véhicule pour interagir avec les institutions, las associations, les individus. C’est cette enveloppe, la « manufacture du bien commun ».
Je vais enfin en venir à la définition que je me propose d’affecter aux biens communs.

Pour moi un bien commun est un bien qui contribue à renforcer la cohésion de la communauté. Un bien commun est un bien qui crée du sentiment de fraternité et du sentiment d’être ensemble, une connexion. C’est pour moi un bien qui améliore la qualité des liens entre les acteurs qui profitent du bien commun en question.

Par ailleurs, il y a dans la notion de bien commun quelque chose que je trouve sympathique, au delà du mot commun qui renvoie à la communauté et à l’idée de partage. Il y a la notion de bien. Et un bien, cela s’achète, cela se vend. Il y a dans cette notion une dimension économique. La dimension morale est un peu inquiétante. Mais la dimension économique est prometteuse. Et ce que je trouve intéressant dans la notion de bien commun, c’est au cœur de mon projet d’entreprise, c’est que l’on va pouvoir concevoir, créer, produire différemment. On va pouvoir puiser des choses qui se vendent et qui contribuent à la qualité des liens. Donc on va pouvoir corréler de la valeur sociale et de la valeur économique.

Anne-Sophie Novel. La préservation

Anne-Sophie Novel est docteur en économie, blogueuse et journaliste 2.0 spécialisée dans l’innovation éco-sociale et l’économie collaborative. Interview d’Anne-Sophie Novel enregistrée le 5 septembre 2013.

Je ne suis pas une spécialiste du sujet, mais je rencontre le thème des biens communs de manière récurrente au travers les réflexions relatives à l’écologie, l’écologie politique ou aux questions d’économie collaborative. On touche aux communs lorsque l’on parle de peer-to-peer, d’open source ou encore de libre. J’ai pu échanger avec différents acteurs qui travaillent sur ces sujets.
Je peux formuler une définition personnelle, très écologiste par ailleurs.

Selon moi le bien commun est un bien que l’on doit préserver pour que les générations futures puissent en bénéficier.

Dans le champ de la connaissance, il est évident, avec internet, que les questions liées à la gestion et la gouvernance des données sont amenées à s’accroître.

Interroger la notion de commun, c’est interroger de manière plus globale les écosystèmes, leur fonctionnement et la façon dont on va partager de la connaissance, de l’intelligence et préserver ce qui importe à l’humanité dans son ensemble.

Alexandre Monnin. La destauration

Interview enregistrée le 21 août 2017.

Je m’intéresse depuis maintenant 2 ans à la question de la fin du numérique. Même si cela peut surprendre, il s’agit de questionner l’avenir des technologies, et de fait, la fin potentielle et probable de celles-ci. Je m’intéresse à essayer d’amortir cette fin, d’une part en commençant déjà à y réfléchir, et d’autre part en cherchant des alternatives permettant de se donner les moyens d’arrêter d’utiliser partiellement ces technologies.
Ces technologies sont un héritage commun. De la même manière, nous héritons des centrales nucléaires, que nous le voulions ou non, que nous soyons pro ou anti-nucléaire. Nous ne pouvons pas les ignorer, tourner les talons et les laisser vivre leur vie ou tomber en décrépitude. Nous sommes obligés d’en faire quelque chose.
Il y a donc là quelque chose qui est de l’ordre du commun et qui exige que l’on se dote de nouvelles règles de gouvernance pour ces infrastructures, avec un horizon qui est celui de l’anthropocène.
Notre horizon est probablement celui de la fermeture progressive de ces infrastructures. Et il s’agit de développer une ingénierie de la fermeture, parce que cela n’existe pas encore aujourd’hui.

Nous héritons de cela, nous ne pouvons pas nous en passer, mais cela ne va pas pouvoir durer. Alors que faisons-nous ? Comment essayons-nous finalement de fermer ces infrastructures dont nous sommes totalement dépendants aujourd’hui, mais qui ne sont pas durables ? C’est à mon sens un des enjeux des communs pour l’avenir.

Le commun n’est pas constitué uniquement de choses positives. Nous héritons aussi de communs négatifs. Il faut les gérer, et pour cela, se doter de règles de gouvernance, de capacité de visualisation qu’apportent les arts.

Cyprien Tasset. La subsitance

Cyprien Tasset est sociologue, Docteur en sociologie et auteur de la thèse « Les intellectuels précaires, genèses et réalités d’une figure critique » menée sous la direction de Luc Boltanski et soutenue en 2015. Interview enregistrée le 12 juillet 2018.

Par le mot précariat, j’adresse plus largement toute la famille lexicale comprenant les termes précaire, précariat, précarité, etc.

Je suis en train de préparer sous ce titre un numéro de la revue belge Émulations avec comme complices Adrien Mazière-Vaysse sociologue des mouvements sociaux de précaires et Giulia Mensitieri, sociologue du travail dans la mode.
Ces auteurs, par leurs travaux, couvrent le spectre des luttes sociales de précaires des milieux de travail populaires jusqu’à l’absence ou quasi-absence de luttes, avec des rapports au travail passionnés qui sont du coup très peu propices à une organisation collective dans un secteur créatif.

La façon dont nous travaillons cette idée de précariat est liée à un volet de mon travail, bien qu’Adrien Mazière-Vaysse et Giulia Mensitieri aient aussi fait ce genre de démarches à leur façon et par leur propre voie dans leurs travaux.

Il s’agit de s’interroger sur ce que signifient les notions précaire, précariat, précarité, leurs origines et leurs transformations.

Pour ma part, j’ai particulièrement travaillé sur la genèse de cette famille lexicale en France. Cela m’a conduit à lire de nombreux documents syndicaux, journalistiques, politiques ainsi que des expertises publiques et de sociologie datant des années 70 et du début des années 80.

C’est à cette période, dans les années 70 et au début des années 80, que l’on commence à utiliser les mots précaire, précariat, précarité pour dire la question sociale.

Il m’a semblé, en reprenant des travaux de Jean Claude Barbier ou de Patrick Cingolani que ces mots étaient investis par différents modes de problématisation, qui s’étaient mis en place dès ce moment là.
Il s‘agissait donc de prendre ces mots comme un analyseur de l’éclatement des horizons de pensées critiques au moment où la société salariale entre en crise.

  • Une première matrice critique est plutôt assise sur le droit du travail, plutôt proche du syndicalisme.
  • Une seconde insiste sur l’émergence de nouvelles formes de pauvreté, aux limites de la détection des mécanismes de protection sociale.
  • Dans une aire plus radicale, on voit également émerger une matrice critique influencée par les opéraïstes et par le mouvement autonome italien des années 70, qui réfléchit à la précarité et aux précaires comme un nouveau sujet social porteur de la révolte contre le capitalisme. Cette nouvelle classe est elle-même porteuse d’un potentiel de dépassement à travers ses formes de mobilité et de coopération.
  • Enfin, une quatrième matrice critique est tournée vers la désertion que vers la lutte. Le mot précarité et l’adjectif précaires sont interchangeables avec ceux de marginaux ou marginalisme, qui désignent des modes de vie qui essayent de se mettre en retrait de la pleine intégration dans le salariat et la société industrielle. C’est un type de critique qui s’articule davantage à l’écologie, vers laquelle je dérive moi-même dans mon travail actuel.

Sur les mots de la précarité, ce qui est intéressant est la manière dont ils sont en train d’être retravaillés au cours de ces dernières années. Il est intéressant de se déplacer par rapport à des références françaises qui sont utilisées à l’étranger.

Les usages étrangers qui sont faits des notions de précaire, précariat, précarité introduisent des glissements, des nouveautés, des variations.

Une idée, que nous avons dans le cadre de la préparation du numéro de la revue Émulations avec Adrien Mazière-Vaysse et Giulia Mensitieri est qu’au fond, une façon de caractériser le sens de ce glissement serait de dire que la notion de précarité pose de plus en plus la question de la subsistance et des différentes façons d’inventer des subsistances.

Un point de fuite de la précarité en sociologie et en anthropologie se dessine dans des ethnographies de subsistances expérimentales dans un monde en bouleversement.
Le livre d’ Anna Lowenhaupt Tsing Le champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme incarne bien cette direction .

#LaMyne « La catastrophe est un commun négatif » @CypTasset cite @aamonnz. Voir https://t.co/8OF57c0ONU Voir aussi @Calimaq : https://t.co/zkFh1yBPub

— Sylvia Fredriksson (@s_fredriksson) July 11, 2018