Armel Le Coz
Entretien avec Armel Le Coz, enregistré le 25 janvier 2015. Designer formé aux métiers de l’innovation en France et au Canada, Armel Le Coz s’intéresse de près aux alternatives politiques et sociales, ainsi qu’aux modèles émergents du partage et de l’ouverture. Consultant pour des collectivités, des associations et des entreprises dans les domaines de l’innovation publique et collaborative, Armel Le Coz est également cofondateur du collectif Démocratie Ouverte et de Parlement & citoyens. Designer la DémocratieJe suis designer de formation. Assez vite, en pratiquant le design, je me suis aperçu que ce que je voulais faire n’était pas forcément concevoir des produits ou des objets, mais concevoir des services. Cela m’a amené à m’intéresser à la conception des politiques publiques.
Parlement & citoyensJe me suis mis à travailler avec la Fondation Internet Nouvelle Génération sur un programme nommé Innovations démocratiques. Il s’agissait de s’interroger la manière dont on pouvait mobiliser le design et le numérique pour repenser la démocratie et innover concrètement. Le projet est sorti en 2012. À la fin de la période d’expérimentation, lors de laquelle 6 sénateurs et députés avaient accepté de jouer le jeu de construire des propositions de loi, une des proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée et au Sénat, et un projet de loi du gouvernement a pu être modifié grâce aux contributions reçues sur la plateforme Parlement et citoyens. Démocratie ouverteNous nous sommes rendus compte, en construisant la plateforme Parlement & citoyens, qu’énormément d’innovateurs, notamment issus du numérique, s’interrogeaient sur les enjeux de démocratie, les modèles de gouvernance et expérimentaient de nouveaux outils et de nouvelles méthodes. Nous constations aussi que ces acteurs étaient assez peu fédérés. Tour des candidats et maires de France
Suite à la naissance de ce collectif, renforcé par l’initiative Parlement et citoyens, des élus sont venus nous voir pour nous demander un soutien dans la construction de plateformes similaires pour construire leur projet politique en vue des élections municipales. Ces élus souhaitaient également remobiliser à l’échelle locale les grands concepts défendus par Démocratie ouverte. C’est alors que j’ai décidé de voir de plus près à quoi ressemblaient les élections municipales. Dans les démarches de design, il y a souvent une phase d’immersion de terrain pour ressentir les choses et ne pas être seulement dans une analyse à distance.
J’ai pris le parti de faire de l’auto-stop, de manière à pouvoir déclencher des discussions politiques avec les gens qui me prenaient sur le bord de la route. J’ai aussi décidé, dans la mesure du possible, de dormir chez les candidats et les maires, pour les interroger sur leur vision de la démocratie et de la politique, en essayant de cibler les élus qui innovent sur ces questions démocratiques, pour avoir un maximum d’exemples de renouveau démocratique.
En revenant de ce tour de France, en mars 2014, je me suis lancé dans l’écriture d’un livre, pas complètement terminé, qui tente de proposer une vision de société pour 2065, basée notamment sur la question des communs, et des services communs, mais pas uniquement. Territoires Hautement CitoyensJe me suis également lancé dans la construction d’un nouveau programme qui s’appelle Territoires Hautement Citoyens. La logique de ce programme est d’accompagner les collectivités qui veulent engager une transition démocratique locale et ouvrir leur mode de gouvernance et impliquer davantage les citoyens dans la manière dont ils prennent les décisions et mettent en œuvre le service public, dans leurs compétences et même au-delà de leurs compétences. Agir, sans attendre demainArmel Le Coz, l’écriture d’un manifeste te semble-t-elle nécessaire, importante, dans la mise en œuvre d’initiatives collectives comme celle que tu as fait advenir ? Il me semble important de se rassembler autour de valeur, et c’est le rôle d’un manifeste de permettre cela. Il s’agit d’identifier les points sur lesquels nous sommes d’accords ensemble et de déclarer ce qui est commun.
À Reims, ralliement en hommage aux victimes de la fusillade de Charlie Hebdo, sur la place de la Mairie. Photographie par G.Garitan – Own work, CC BY-SA 4.0.Bien qu’il soit important d’avoir un socle de valeurs communes, et de savoir dans quelle direction l’on veut agir, le mot le plus important pour moi reste tout de même l’action. Ce qui est important ce sont les projets dans lesquels nous nous lançons. Les initiatives comme Indignez-vous !, ou encore les manifestations qui ont eu lieu très récemment autour de Nous sommes tous Charlie ! permettent de défendre des valeurs, comme celles de la liberté et de la liberté d’expression. C’est important, c’est fort et cela permet de mobiliser.
Dans quoi nous engageons-nous ? Comment fait-on pour agir au quotidien pour les valeurs que l’on souhaite défendre. C’est ce qui nous motive au sein de Démocratie ouverte. Nous réfléchissons nous en parlons. Nous avons une charte. Mais nous nous réunissons surtout autour de projets, et nous essayons de les relier, parce que nous sentons bien que ce qui va changer réellement la société, c’est de faire suffisamment de liens entre toutes ces initiatives qui émergent et bouillonnent en ce moment, jusqu’à faire modèle et proposer concrètement une autre possibilité de faire société. InspirationsCe qui m’a engagé, et m’a fait mettre un premier pas dans la question du politique – sous-entendant la manière dont nous nous organisons pour vivre ensemble – ce sont finalement les élections présidentielles de 2007. Le fait d’avoir à m’exprimer lors des ses élections a été un élément déclencheur et a suscité chez moi des questionnements. Toujours est-il que pour moi, cette situation de vote a provoqué une forme de déclic, et j’ai décidé de mener mon projet de fin d’étude sur le sujet. Certains écrits ont inspirés mon parcours. Ceux de Michel Serres et notamment Petite Poucette où l’auteur parle de notre capacité de reliance et de pensée en réseau. PouvoirJe réflechis à la question du pouvoir et notamment du pouvoir d’agir. Les anglo-saxons appelle cela empowerment. Mettre en commun des ressources permet finalement de mettre en capacité d’agir un nombre beaucoup plus grand de personnes que simplement des personnes qui garderaient leurs savoirs, leurs compétences ou leurs ressources pour elles-même. PolitiqueJ’entends politique au sens du mot gouvernance. Lorsque l’on met des choses en commun, il faut se mettre d’accord sur les règles du jeu. C’est-à-dire s’accorder sur comment on met une ressource en commun, qui a le droit d’utiliser et de quelle manière. PropriétéDans la définition des communs, il y a une forme de partage de la propriété. Les communs viennent remettre en cause très profondément la propriété privée, puisque se pose la question du partage. Les communs interrogent également la notion de public, puisqu’un objet public ou un service public est quelque chose que l’on a délégué à une administration ou à une structure qui peut être issue du peuple, ou pas. Ce qui est sûre c’est qu’il existe une dimension de délégation. PlateformeJ’ai l’intuition que nous allons progressivement passer des services publics aux services communs, c’est-à-dire des services que l’on se rend les uns aux autres en se mettant en relation via des plateformes ouvertes à tous. Ces plateformes peuvent être numériques ou physiques. |