Gauthier Roussilhe

Entretien avec Gauthier Roussilhe, designer et étudiant à Goldsmiths Université de Londres, enregistré le 9 septembre 2018 à Paris.

Portrait

Je poursuis actuellement un master sur l’espace et la participation publique. Auparavant, j’avais fais un autre master et Lyon et co-créé une société de design, que j’ai fermé récemment. Suite à cette fermeture, je suis parti faire un tour d’Europe pour rencontrer des designers et des chercheurs et leur poser la question de l’éthique dans le design.

Mon objectif actuel est de débuter un doctorat par la pratique pour travailler à la transition dans différents territoires.

Il s’agit de penser l’adaptation au changement climatique, de penser la transition d’un monde où les ressources sont illimitées à une Terre où l’énergie et les ressources sont limitées.

Faire une recherche par la pratique conditionne le choix d’un territoire. Pour ma part, je m’intéresse aux territoires ruraux. Il s’agit de prendre du temps sur le territoire pour comprendre les acteurs, les rythmes biologiques et ceux de la vie humaine dans ce territoire. Comprendre la composition des sols, la faune et les cultures qui ce sont créés autours de ces écosystèmes.
La pratique implique la création d’artefacts découlant d’une méthode, et d’une intervention dans l’espace.

Le but de cette recherche et que celle-ci ne soit pas vaine, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas uniquement un objet d’exposition, mais quelque chose qui s’intègre dans la vie des gens et qui trouve une certaine utilité. S’il en est autrement, alors il me semble que cela serait un échec du design.

Limite

Au cours de mon expérience professionnelle, j’ai observé l’absence quasi-complète de limites physiques au sein des processus de design.

Si je crée un grille-pain ou une bouilloire, l’énergie qui rend cet objet utile et actif est l’énergie électrique. Or l’énergie électrique n’est pas illimitée. La production énergétique, notamment en France, peut provenir de stocks de gaz, de minerais d’uranium, ou de métaux rares pour faire des éoliennes ou des panneaux solaires.

En tant que designer, pensant que l’énergie est illimitée, ma responsabilité va s’arrêter “à la prise” comme dit James Auger. Et je n’irai jamais au-delà, puisque l’énergie n’est pas ma responsabilité.

Penser la limite, c’est penser la limite des ressources que j’utilise pour créer l’objet, mais aussi pour faire fonctionner.

Actuellement, je fais travailler des designers d’interface et d’expérience à concevoir un site internet en privilégiant un budget énergétique plutôt qu’un budget monétaire. Le but de ce projet est d’arriver à faire un site web qui consomme 1,5 kilowatts/h. Par cette démarche, il s’agit de ré-intégrer la limite dans la pratique du design.

Évidemment, il existait des limites auparavant, mais ces limites ne concernaient pas les limites physiques des ressources. Nous définissions les limites au regard d’enjeux liés à l’approvisionnement et aux stocks, dans une conception illimitée de la ressource. Nous définissions des limites budgétaires, des limites techniques ou technologiques.

Mais les limites, par ce prisme, ne sont que des “suspends” qui ne vont pas réorienter la manière dont on conçoit les objets. Ces limites vont simplement suspendre une production, le temps que l’on débloque ces contraintes. On ne remet jamais en cause la pratique en tant que telle.

Historiquement, cela fait sens.

La pratique du design a toujours été fortement influencée par la pensée économique néoclassique, qui se détermine avec trois composantes majeures qui sont problématiques aujourd’hui.

D’une part, la ressource nous est “donnée”, selon l’héritage du 18ème siècle qui considère que la nature est un don fait à l’homme. Dans un modèle néoclassique, la ressource vaut zéro. Elle est sans valeur.

D’autre part, on pense l’humain, tel que l’a définit Adam Smith, comme un être rationnel maximisateur. Selon cette vision, l’homme est un être qui va rationaliser ses choix et ses échanges en vue de maximiser son bonheur.
Le designer est souvent centré sur l’humain, c’est-à-dire sur un persona qui, en réalité, est un fantasme et un concept abstrait. C’est la raison pour laquelle les designers fournissent des indicateurs, des tableaux de bord. En fournissant des chiffres à l’humain rationnel, les designers pensent que l’homme va changer son comportement pour s’y adapter. Pourtant, cela ne marche pas comme cela.
Mais car le design se pense à travers l’économie, on en est encore là.

Enfin, dans un modèle néoclassique, si il y a des externalités, c’est-à-dire des rejets liés aux modes de production (par exemple, la pollution), alors il y a une perte de valeur et le modèle ne fonctionnent plus. En effet, d’où puis-je tirer ma plus-value si j’ai une perte de valeur au moment de la transaction ?

Les limites en terme de ressources, les limites écologiques, géophysiques ne sont jamais prises en compte dans le design. Il est nécessaire de les réintégrer. Il est nécessaire de penser les limites dans le design.

Penser le design dans une Terre qui a des ressources et une énergie limitées demande de repenser complètement le design. Pour l’instant, c’est très compliqué, parce que cela signifie repenser le design hors du modèle économique néoclassique.

Ruralité

Risque climatique

Légitimité

Communs

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