Maxime Favard
Entretien avec Maxime Favard enregistré le 1er novembre 2018 à Saint-Étienne, France. Maxime Favard est Maître de conférence à l’Université de Strasbourg et responsable pédagogique de la 1ère année de licence. Designer, il a cofondé avec Gwenaëlle Bertrand le studio MAXWEN. Poïétique
Plus deux millénaires plus tard, dans les années 1990, René Passeron, remobilisant la figure théorique de la poïetique, distingue clairement la poïetique de l’esthétique. Cette dichotomie exprime une différence fondamentale. L’esthétique est pour Passeron tout l’univers, tout l’univers que nous réceptionnons à partir des sens ou encore du langage. L’esthétique s’intéresse donc à ce qui, par essence, est là (en philosophie on parlerait de da-zain, qui en allemand signifie être là). En revanche, la poïétique n’étudie, selon Passeron, que la seule conduite créatrice, passant de la philosophie de la sensibilité à celle de l’action. Si le terme poïétique fait bondir plus d’une personne, je voudrais juste rappeler que László Moholy Nagy, dans un ouvrage qu’il a écrit en 1929, intitulé Du matériau à l’architecture, tenait aussi du poïétique en ce qu’il considérait la création : non pas à partir d’autres discours sur le design, non pas à partir d’autres disciplines comme la philosophie, la sociologie, l’anthropologie ou encore la science. Je viens d’évoquer deux termes comme ça, l’air de rien : pro-jet et pro-duit. Deux termes qui m’amènent à la 2ème notion, qui est un préfixe, pro- ! Pro-La racine gréco-latine du préfixe pro- se définit comme avant, devant. pro- indique une antériorité, qu’elle soit de l’ordre du temporel comme du spatial. Mais encore pro- se comprend comme l’idée qu’une chose (ou une personne) est favorable à une autre. On retrouve un peu cette idée avec la poïesis qui, on l’a vu tout à l’heure, fait passer du non-être à l’être, pro- est ce qui fait naître.
Pour Andrea Branzi, il y aurait une diversité 4 fois supérieure d’objets que d’organismes vivants dans le monde et cela ne cesse de croître en s’accélérant.
Pour s’aventurer dans cette voie, il faut être à la fois un peu fou et habile. Je parlerais donc (pour ce qui est de la troisième notion) d’une capacité des designers à associer ces deux caractères (de folie et d’habileté) en la notion de manières. ManièresManière a plusieurs origines, grecque d’abord avec manía (μανία) qui signifie folie. Manía ou Manea, c’est aussi la déesse gréco-romaine qui relève d’après le mythe, du multiple.
Cette pensée laisse une place importante à l’indéfinissable au profit de mises en tension interrogatives. Justement, la prochaine notion qu’il m’intéresse de déployer est interrogation, que j’oppose à l’affirmation. InterrogationJe me confronte depuis que je fais de la recherche à certaines affirmations, bien réelles, qui me posent question et qui ont cultivé chez moi une certaine méfiance. Je vais proposer 4 affirmations que j’ai pu croiser par mes lectures, écoutes et échanges lors de journées d’études, ateliers ou colloques. Le terme « affirmation » que j’emploie est assumé, ce que j’essaye de dire c’est qu’au fond, les discours « affirmatifs » sur le design posent, et surtout imposent un jugement de valeur, une morale à la discipline. Première affirmation : La ou les méthode(s) du design : Deuxième affirmation : La fonction du design : Troisième affirmation : La stratégie du design : Quatrième affirmation : La reconnaissance du design : Voici donc quatre affirmations, alors il y en a certainement d’autres. Mais celles-ci sont exemplaires en ce qu’elles procèdent dans l’affirmative par « suppression, évacuation, réductions et rejet ». Mon hypothèse, c’est d’entendre ces affirmations comme des pensées de la négation, « sur » le design et non pas, « pour » le design. Si je dis cela, ce n’est pas par provocation, c’est parce que mes activités de recherche m’ont amené au contraire à reconnaître : des singularités, des points de vue, des rapports, des écarts, comme autant de valeurs pour le design. Et si, une affirmation m’a bien habité, c’est toujours celle de l’interrogation Comme Gaetano Pesce l’annonçait en 1996 :
FictionD’abord pour s’immerger dans la fiction, il faut y croire. Il faut, se laisser prendre au jeu. C’est une pensée qui ne va pas de soi. On pense au mythe de la caverne, illustration phare de la philosophie Platonicienne qui démontre que la mimésis (à quoi on peut y rattacher la fiction), est un instrument de manipulation des subjectivités. Ce qui nous est proposé dans ces leurres, aux apparences plutôt séduisantes, c’est une suppression de l’attitude (du choix) au profit d’un nouvel idéal de facilité, un idéal vidé de sensible pour (si l’on peut dire) le plein de sensations. Par ces fictions, on assigne les individus à l’usage d’une norme automatisée, pré-déterminée. La fiction devient donc un rouage important d’un système économique, moteur de la consommation. C’est pour cela que pour certains designers comme nous, il est nécessaire d’en réinvestir le milieu avec un certain positionnement critique. |
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