Entretien avec Valentin Chaput enregistré à Paris le 11 juillet 2016.
Open Source Politics
Je suis Valentin Chaput, co-fondateur d’Open Source Politics.
Bien que n’ayant qu’un peu plus d’un an d’existence, ce projet a déjà plusieurs formes et réalisations à son actif.
Au départ, c’était un MeetUp qui a permis d’organiser, pendant l’année écoulée, une quarantaine d’événements sur la question de l’émergence de la civictech et de l’innovation démocratique par le numérique.
Évidemment, la participation citoyenne, les consultations, les outils numériques pour faire des campagnes politiques et de la mobilisation, ce n’est pas tout à fait nouveau. On a déjà un peu de recul et d’expérience sur ces questions.
Cependant, on sent que, avec d’une part, le manque de confiance croissant des citoyens vis-à-vis de leurs institutions – qui ont du mal à se renouveler – et d’autre part, les échéances électorales qui approchent, cela agite toute une scène qui peine à trouver des points de convergence.
Alors, Open Source Politics, à la base, c’était cela. L’objectif était de présenter un calendrier événementiel pour révéler toutes ces initiatives – notamment autour des technologies Open Source – et les faire collaborer.
Depuis un an, on a avancé sur cet enjeu là. On a organisé des hackathons pour permettre à ces projets et ces communautés de se rencontrer et de travailler ensemble.
Plus récemment, on s’est aperçu, d’une part, de l’émergence de nombreux projets CivicTech, et d’autre part, de l’augmentation de leur couverture médiatique. Cela rendait moins pertinente ou indispensable notre action événementielle. C’est pourquoi on s’est orienté vers des événements qui produisent des choses.
Ceci qui nous a amené à transformer cette structure qui, depuis quelques mois, est devenue une entreprise de l’économie sociale et solidaire. Open Source Politics développe une expertise d’accompagnement des démarches de consultation, et par ailleurs des outils qui sont des briques Open Source. Plus largement, nous développons toute une réflexion sur l’accompagnement des démarches de participation avec des outils CivicTech, ouverts et libres.
Cette démarche s’inscrit dans un contexte actuel où émergent un certain nombre de mobilisations citoyennes, une volonté de transformation des modalités de gouvernance de nos institutions politiques, et du Partenariat pour un gouvernement ouvert.
On voit qu’il y a une attente évidente des citoyens, mais aussi d’une partie des acteurs institutionnels, à transformer la participation. Et en même temps, les outils peinent un peu à transformer l’essai.
C’est pourquoi nous avons aussi développé, un peu par la pratique, cette idée que les outils ne font pas tout, qu’il faut les connecter beaucoup plus aux citoyens, et aller chercher ceux qui sont loin de la décision politique.
C’est une transition démocratique qui prendra quelques années. Nous n’en sommes réellement qu’au début.
Nous développons des expertises, de manière très ouverte, et des événements – avec d’autres porteurs de projets Open Source et d’autres démarches de l’ESS – pour réfléchir et répondre à des défis assez concrets.
C’est une sphère passionnante que je vous invite à rejoindre.
Des manifestes
Nos contrats sociaux, an tant que sociétés, sont fondés sur des manifestes. Je pense par exemple à la Déclaration des Droits de l’Homme ou à la Constitution. Ces textes ont un poids important dans beaucoup de pays. Finalement, ce sont les premiers manifestes en tant que textes qui réunissent des gens.
On peut observer aux États-Unis l’importance de la Constitution dans le fait même de se sentir américain.
En France également, ou encore en Allemagne, avec des conceptions un peu différentes.
On peut faire référence à l’importance de la Magna Carta pour les britanniques. On voit des expériences plus innovantes, comme en Islande qui a fait écrire ces textes avec les citoyens il y a quelques années.
Cela a toujours un sens assez fondamental pour les sociétés de pouvoir se raccrocher à un texte, parce que c’est la forme d’expression et de diffusion de l’information employée depuis des années.
C’est un repère vers lequel une société peut se tourner si elle se pose des questions.
Cependant, on peut essayer d’avoir une approche un peu plus moderne de ces manifestes, et dépasser les textes.
Je sens cet enjeu de manifeste comme un ciment d’une communauté – une communauté politique en l’occurrence.
Cela peut-être de la musique, un film qui a un impact sur une génération, des événements historiques, etc.
Il y a une actualité à se rassembler autour d’un repère commun. Mais ce n’est plus forcément par l’écrit et le texte proclamé. Aujourd’hui on peut se déclarer de plusieurs manifestes.
Alors, je pense que la notion de manifeste est toujours d’actualité, mais qu’il faut élargir ses perspectives. Peut-être faut-il cartographier les manifestes ? Ce serait assez intéressant comme pratique.
Faire manifeste
Ce que je vais dire va peut-être paraître contradictoire par rapport à ce que j’ai expliqué précédemment sur l’importance des manifestes.
J’ai un parcours assez long dans le monde politique, dans les sciences politiques en générale, et dans le travail avec l’écrit, les textes de références, les normes, etc. Et j’ai l’impression, quand je lis ces textes-là, que ces textes ont de moins en moins de poids sur moi. J’ai l’impression de lire des choses que très générales et très peu concrètes, des choses que j’ai déjà lu.
Je pense que cela vient du fait que, par définition, un manifeste est très déclaratoire, voire même un peu incantatoire, sans être concret.
Et je pense que le ciment dont on a besoin aujourd’hui, c’est justement de se regrouper autour de projets assez concrets. Le revendiquer, c’est déjà une forme manifeste.
Certes, il est très important qu’il y ait des repères fondamentaux dans le monde des idées, et on a surement besoin de les réactualiser aujourd’hui. Mais je pense que ce qui manque, et ce qui rassemble les gens, ce sont de petites actions manifestes. Le fait de s’engager, autour de soi, dans des projets associatifs, humains.
Je pense aussi que c’est par la pratique que l’on crée de nouveaux manifestes. C’est peut-être un axe qu’il faut développer aujourd’hui. C’est peut-être la forme plus moderne et plus inclusive, aujourd’hui, d’un manifeste.
Si l’on se concentre sur la civicTech, le fait de créer, pour nous et avec un certain nombre de partenaires, un cycle de hckathons, et en mettant beaucoup de valeur autour cette démarche, c’était justement déjà manifeste. Se regrouper autour de cette action était déjà un manifeste.
Aujourd’hui, il y a déjà beaucoup de projets civictech. C’est une grande variété de possibilités et c’est bien que cela existe. Mais tout ne se vaut pas. Tout n’est pas substituable.
Le fait de se regrouper avec un certain nombre d’acteurs qui défendent la même philosophie autour des outils ouverts et interopérables, le fait de se réunir pour rédiger des textes communs et des chartes de valeur, et par là, de distinguer ce qui est notre démarche et ce qui ne l’est pas, le fait de travailler avec une perspective très concrète, définie dans le temps, cela donne les moyens de faire un certain nombre de points d’étapes, et d’aboutir à ce que l’on a conceptualisé dans le manifeste – qui a consisté à nous réunir et à faire quelque chose ensemble.
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