Raymond Vasselon

Entretien avec Raymond Vasselon, militant engagé dans les actions de plusieurs structures associatives dans le quartier du Crêt de Roch à Saint-Étienne, dont l’Amicale Laïque du Crêt de Roch, Rues du Développement Durable et la foncière solidaire Crêt de Liens. Enregistré à Saint-Étienne le 26 juillet 2016.

Raymond Vasselon, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis, encore pour quelques temps mais pas pour bien longtemps, adhérent et responsable bénévole d’une association qui s’appelle L’Amicale Laïque du Crêt de Roch, à Saint-Étienne.

Les actions de L’Amicale Laïque du Crêt de Roch

L’Amicale Laïque du Crêt de Roch a rencontré l’enjeu environnemental dans les années 2006-2007, en travaillant avec les enfants sur les questions de jardinage.

AMAP
À cette époque-là, nous avons créé une AMAP, qui a été la première de Saint-Étienne Métropole. Ce projet a rencontré un grand succès. Il y a maintenant 22 AMAP à Saint-Étienne Métropole. Cette AMAP a joué un grand rôle, car celle-ci a donné à plein de gens l’idée de s’organiser, de faire des choses simples, basées sur un engagement à porté de main.

Écoquartier et coopérative d’habitants
Dans le même temps, il s’est passé pas mal de choses. Le quartier était déjà, depuis quelques années, dans un processus de très grande rénovation. C’était un quartier très dégradé, il fallait tout refaire : démolir l’habitat, le réhabiliter, et reprendre des espaces publics. Beaucoup d’espaces étaient en friches.
Sur l’une de ces friches, un architecte qui habite le quartier, Frank Le Bail, a proposé de faire une opération d’urbanisme au travers un projet d’écoquartier, avec un système spécifique pour recueillir l’eau pluviale, ou encore pour capter le soleil et chauffer les logements.
Cet architecte est également à l’origine de la constitution d’une coopérative d’habitants, qui a créé des logements d’architecture passive, sur une petite parcelle, au sein d’un ensemble plus important d’une centaine de logements. C’est selon moi une opération d’avant-garde. Cette coopérative est maintenant réalisée. Elle est composée de 13 familles qui ont créé leur logement sans aucun promoteur.

Jardins partagés
Dans ce même temps, l’association l’Amicale Laïque du Crêt de Roch avait été sollicitée par un service de la Ville, et plus précisément par une responsable du service jardins-espaces-verts, en nous demandant si nous ne pouvions pas faire quelque choses dans les friches.
Alors nous avons créé un jardin partagé dans une friche, à la place d’un immeuble démoli. Nous nous disions qu’il était mieux de s’en saisir ainsi plutôt que de laisser un terrain vague, qui deviendrait une déchetterie de proximité. Ce sont des choses très simples qui se sont mises en route.

Comment gérer la transformation de la ville sur elle-même ?

Ces jardins partagés ont par ailleurs nourris une réflexion quant aux temporalités des transformations de la ville. Ne fallait-il pas introduire, dans le temps très long de l’aménagement, un autre projet qui avance à un autre rythme, plus proche de la vie quotidienne ? Ne fallait-il pas remplacer toute cette panoplie de vocabulaire, des mots tels que “friche”, par autre chose ? Ne fallait-il pas imaginer un espace où, en attendant d’y construire un immeuble, un autre type d’espace s’invente ?

En somme, nous proposons un projet dans le projet. Et le projet du temps de la vie est porté au rythme et avec les moyens des habitants et de leurs associations.


Ce sont forcément des solutions très économiques. Mais nous nous sommes aperçus que ces solutions très économiques n’étaient pas inintéressantes.

Nous appelions nos installations « Jardins éphémères », mais ceux-ci pouvaient rester 4 ou 5 ans, et quelquefois plus, parce que le marché du logement va très mal à Saint-Étienne.
On démolit. On met un panneau « Ici, il va y avoir 20 logements« . Et puis cela peu durer 3, 4, 5, 6, 8 ou 10 ans. Que fait-on en attendant ? Peut-on réellement considérer ces terrains comme des friches ? De quelle manière peut-on gérer la ville et son développement ? Ou du moins, comment gérer la transformation de la ville sur elle-même ? Pas mal de gens ont eu des idées.

Nous nous sommes aperçus qu’il était intéressant de trouver des solutions simples et économiques, à portée de main des habitants et souvent sur la base de technologies très simples, faites de beaucoup de récupération et de recyclage.

Et puis, nous avons appelé cela “l’Espace mouvement”. Les habitants préfèrent des choses qui bougent et se transforment. Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait privilégier des formes d’aménagement qui prennent en compte le mouvement, à des aménagements définitifs voire sacrés faits par des génies ou des artistes.

La ville ne doit plus être ce décor, figé, qui transforme l’habitant en spectateur – usager.

Ne vaudrait-il pas mieux que les gens fassent évoluer, au rythme où ils l’entendent, certains aspects de l’espace ? Comme ils le font déjà dans leur logement. Comme ils le font quand ils se mettent à bricoler.

Ce que nous sentons, c’est qu’il faut aller vers de nouvelles conception du design, de l’architecture et de l’aménagement, qui permettent à beaucoup de gens de rentrer dans le projet lui-même, pour y intervenir et pas seulement pour donner un avis.

Après, cela pose des tas de problèmes, culturels, de formation, et d’autres encore. Cela pose notamment énormément de problèmes de réglementation car celle-ci, comme tout le système de garanties et de sécurité, sont basés sur l’idée que tout doit être fait par des super professionnels appliquant des normes draconiennes auxquelles il ne faut pas toucher.

L’intérêt de notre projet, qui consistait à travailler dans des friches et des espaces temporaires, résidait dans le fait d’être hors réglementation.

Nous avons pu mettre en place un grand nombre d’initiatives qui fonctionnent et qui sont extrêmement économiques, sans que jamais personne ne se blesse, où qu’aucun enfant ne s’assomme.

A qui appartiennent ces friches ?

La Ville avait délégué la gestion de ces friches à une société d’aménagement d’économie mixte, qui nous mettait à disposition les terrains, par le biais d’une convention.

On ne squatte pas. On demande. C’est long, mais on préfère demander au contexte institutionnel extrêmement dure et réglementaire d’ouvrir un espace de liberté temporaire.

Après, quand le projet définitif de construction ou d’aménagement urbain s’enclenche, tout rentre dans l’ordre.
Certains points d’interrogation subsistent tout de même à notre intervention : « Ne faudrait-il pas prévoir, tout de même, un espace où les enfants pourront dessiner des jeux au sol ? Ou encore un lieu où l’on puisse construire une cabane ? Mais, pas trop quand-même. »

L’idée de l’espace public urbain super encadré et réglementé est très puissante en France.

Il y a un alibi sociologique qui revient souvent et que, personnellement, je trouve très discutable. C’est l’idée que l’espace public appartient forcément à la bureaucratie de L’État ou à la Ville, sinon c’est un groupe qui va le privatiser pour son propre usage.

Finalement, en France, on semble considérer qu’il n’y a que la Ville ou l’État, avec leurs services, qui sont légitimes pour intervenir et représenter l’intérêt général. Toute autre forme d’instance ne semble pas légitime d’y intervenir, ou bien est suspectée d’agir pour son propre intérêt et de mettre en péril l’accès à cet espace pour tous.

Je pense que cela est faux. Les groupes qui s’engagent, à l’image de celui de notre quartier, sont souvent constitués de gens qualifiés, rarement riches, mais qui tiennent à partager leur talent avec leurs voisins.

Si ces projets ont marqué l’imaginaire du quartier, en revanche, beaucoup aussi y sont opposés. Et tous les habitants ne souhaitent pas participer. Certains, surtout de ma génération, ne se sentent pas concernés et considèrent qu’il incombe à l’État, par le biais des impôts, de garantir que les espaces publics soient propres, bien surveillés et sans délinquance. De gauche comme de droite. Et puis, il y a un tiers qui n’a plus le temps de s’occuper de rien. Et enfin, un dernier tiers qui a un désir d’action.
Je vois un peu ces trois grandes catégories d’habitants. Mais je pense que ceux qui veulent, qui ont potentiellement la volonté d’intervenir, s’ils en ont les moyens, alors ils le font.

Société solidaire de location

Villes globales

Entretien enregistré à Saint-Étienne le 9 octobre 2017.

Démocratie de face à face

La démocratie de face à face, c’est un groupe d’habitants qui travaille sur un projet, où chacun apporte son talent. Dans cette démocratie là, on ne s’exprime pas seulement avec des mots. Par exemple, on produit quelque chose, et à un moment, le groupe sera plutôt dirigé par quelqu’un qui est très habile avec une perceuse, ou une visseuse, plutôt que par une personne qui dessine bien.

C’est une démocratie où les talents peuvent s’exprimer à partir de ce qu’ils sont. C’est-à-dire à partir du savoir-faire et pas seulement du savoir “mettre en mots”.

Par ailleurs, c’est forcément un groupe pas trop grand, au sein duquel on peut échanger facilement.
Après, dès que l’on se met à voter, c’est de la démocratie aussi, mais c’est autre-chose. On n’est pas sûre de choisir le meilleur projet en votant.

L’innovation est rarement majoritaire.

Bureaucrate lumineux

Cycle

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