Enquête à Chichilianne en Isère : culture locale et préservation des communs comme support de politique municipale.
Restitution de l’intervention de Franck Léard et Julie Brugier dans le cadre de la conférence inaugurale « Instituer par le design » qui s’est tenue le 20 novembre 2017 à la Cité du design de Saint-Étienne en ouverture de l’événement Action publique/Public en action/Controverse dans le cadre de la Semaine de l’innovation publique. L’étude Enquête à Chichilianne en Isère : culture locale et préservation des communs comme support de politique municipale est le résultat d’un RAID (Recherche Action Immersion Design) mené en 2016 par Franck Léard et Julie Brugier, porté et coordonné par le pôle de recherche de la Cité du design, sous la direction d’Olivier Peyricot.
À Chichilianne, la vie commune s’organise autour de la distribution/traitement de l’eau et d’une attention aux équilibres entre écosystèmes naturels et humains comme autant de vecteurs d’une culture territoriale singulière, porteuse de mémoire et d’usages locaux. Pour la commune, la baisse actuelle des moyens financiers de fonctionnement oblige à développer une inventivité face aux différentes contraintes réglementaires en se servant de leur philosophie des communs pour développer une gouvernance innovante en restant sobre dans ses moyens. Chichilianne, petite commune de l’Isère située dans le Trièves, fonctionne avec un modèle de gouvernance plutôt original. Cette commune, de petite taille par sa population (284 hab. en 2015) mais qui occupe un territoire de 62,5 km2, a fait de l’eau comme bien commun le cœur de sa politique municipale. Une partie de la commune de Chichilianne est située dans le Parc Régional du Vercors. Elle dispose, de fait, d’un territoire relativement immense avec de nombreuses ressources, en eau, en bois, et des forêts où se mettent en place de nombreux types d’élevages, notamment ovins.
Cette compréhension du territoire basée sur la culture territoriale se veut fine et utile. Elle porte sur des éléments démographiques et des activités économiques comme sur son histoire, sa géographie et les pratiques sociales qui s’y développent.
En tout cas, le maire et les différentes personnes que nous avons pu rencontrer pendant cette étude nous ont vraiment montré qu’il existant une recherche pour comprendre les choses de manière non intellectuelle. Le maire nous a souvent parlé d’une approche du sensible pour approcher son territoire, en faisant cas et en n’oubliant jamais l’Histoire de sa commune. Le maire de cette commune, élu depuis 2014, ingénieur à la retraite et géologue de formation, montre une compréhension scientifique de son territoire avec de nombreux points de vigilance à considérer dans un mode de gestion de la vie publique. Il y a donc une véritable connaissance effective des populations. Et il faut savoir qu’il a été poussé à se représenté par les habitants pour pouvoir mettre en œuvre cette compréhension-là. Le maire règle beaucoup de chose. En dehors de la gestion administrative de la commune, il gère de nombreux conflits de voisinage, des conflit familiaux, tout en intervenant à une échelle nationale sur des problématiques comme celle du loup.
Ici, il est question de traiter la complexité de gouvernance en assumant la dimension territoriale de son approche. On retrouve la question des échelles. Car gérer une commune de seulement 280 habitants à l’intérieur d’un territoire immense demande d’envisager, de se représenter aussi, et de concevoir certaines approches qui renouvellent avec les approches classiques que l’on retrouve dans les administrations. Culture du biaisPour cela, le maire et les élus ont développé une certaine conception, qu’ils désignent eux-même comme la culture du biais.
Cette technique du biais renvoie à ne pas faire les choses comme il faut les faire, ou comment il est commandé de faire.
On retrouve cette sociologie des usages appliquée aux problématiques de gouvernance de territoire. Cette approche est donc intuitive, basée sur une connaissance liée à une pratique vécue du territoire plutôt qu’à une conception abstraite, administrative ou technique. Encore une fois, cette approche se veut peut-être un peu plus anthropologique avec une volonté de préserver un mode de vie. Le maire évoquera assez souvent cette idée de « Vivre au pays ».
Ici, il n’est pas question de développer un marketing territorial particulier. Le tourisme y est relativement peu développé.
Gestion de l’eauPour cela, la réflexion de Chichilianne, ou en tout cas de ses élus, s’est basée autour de la gestion de l’eau.
La gratuité de l’eau est mise en œuvre. Très souvent, on voit apparaitre des gratuités sur des hectolitres d’eau donnés aux agriculteurs. Des fontaines publiques sont ouvertes pour permettre aux habitants de mettre en œuvre eux-même l’arrosage de la commune. La commune dispose d’un employé municipal qui va représenter une véritable cheville ouvrière dans la mise en œuvre cette philospophie politique. Cette approche est ambitieuse, certes, mais celle-ci va résoudre de nombreux problèmes et générer des réductions de coût de fonctionnement importantes, grâce à une compréhension au plus proche d’une vécu commun. Nous allons développer deux exemples que nous avons rencontré sur le terrain, où cette culture du biais propre au territoire est apparue véritablement centrale. Cohabiter avec le loupLe premier exemple est la question du loup, problématique qui a pris une importance assez grande à Chichilianne. Le village a commencé à connaître des pics de pollution de son eau potable. Il a fallu traiter cette eau. C’est l’employé municipal qui s’en est chargé. De par sa connaissance de l’environnement naturel, de son fonctionnement, de sa saisonnalité et notamment des périodes où cette pollution peut survenir, l’employé municipal a pu venir traiter à la source l’eau, de manière très ponctuelle et à très petite dose. Cela a permis au village de continuer à utiliser cette eau et de la maintenir potable. Cet exemple nous montre donc que dans le cas de Chichilianne, la prise en compte de l’ecosystème naturel par les pouvoirs locaux est réellement indispensable.
Cohabiter avec l’écosystème naturelLe second exemple concerne les eaux usées de Chichilianne, qui sont aujourd’hui traitées par un système de lagunage, technique naturelle d’épuration. Cette problématique d’entretien a donc été réglée de manière complètement naturelle, grâce à la présence des canards. C’est aussi autre exemple de la culture du biais.
Philosophie politique et stratégie de résistanceÀ Chichilianne, l’intervention assez personnalisée de l’employé municipal combine une connaissance du réseau collectif et de l’environnement naturel. L’employé municipal met à disposition des savoir-faire très efficaces et peu couteux.
En même temps, la réduction des dépenses municipales est assurée et la préservation d’un bien être commun maintenue.
Lorsque l’on compare avec d’autres types de communes et de fonctionnements, on constate que toutes les communes fonctionnent en négociant leurs espaces de fonctionnement vis-à-vis des institutions de régulation et de règlementation. Souvent, ces pratiques naissent de la contrainte et de la nécessité. C’est le cas ici.
C’est une approche pragmatique relative à un vécu et à une expérience historique autour du commun de l’eau. Gouverner avec raisonDe plus en plus de managers du service public travaillent en mode projet. Certains même, observés dans le cadre d’autres types d’étude, n’hésitent pas à dire qu’ils travaillent « à l’arrache », c’est-à-dire avec beaucoup d’improvisation, sans connaissance experte de leur propre territoire.
L’exemple de Chichilianne nous montre que cette approche expérientielle permet une appréhension plus fine et subtile des problématiques. Vers un soutien au développement des communs informationnelsIl y aurait beaucoup à dire sur une sociologie du travail des élus. Notamment pour comprendre l’échelle des territoires, et analyser les modes d’actions.
Ici le commun de l’eau nous montre que c’est un principe directeur qui permet de réunir les membres d’une communauté. Une autre réflexion porterait aussi sur la maitrise et la mise à disposition des informations auprès des élus.
Comment on peut diffuser de l’information en direction des élus pour maîtriser suffisamment un territoire en vue d’opérer une décision raisonnée ? (1) design des instances est le nom du programme de recherche, développé par le pôle de recherche de la Cité du design, au sein duquel est organisé cette conférence. Intervention de Franck Léard et Julie Brugier le 20 novembre 2017 à Saint-Étienne. |
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