Benjamin Coriat

Benjamin Coriat est économiste et professeur d’économie, membre du CA du collectif des Économistes Atterrés. Interview enregistrée le 17 juin 2015 à Paris (France).

Je m’appelle Benjamin Coriat. Je suis professeur en sciences économiques.

Dans ma vie, j’ai beaucoup travaillé sur les problèmes d’industrie et d’innovation, et je suis arrivé aux communs par l’enjeu de propriété intellectuelle.

J’ai beaucoup travaillé sur les questions de propriété intellectuelle sur les médicaments, les médicaments génériques, et plus spécifiquement contre la propriété intellectuelle sur les médicaments.

J’ai beaucoup travaillé avec l’ANRS (France Recherche Nord&Sud Sida-HIV Hépatites) sur les problèmes d’accès aux soins pour les plus pauvres. Et dans ce contexte notamment, j’ai toujours été scandalisé par les rentes de propriété intellectuelle.

Cependant, face à ces enjeux, j’étais très gêné par une approche binaire, c’est-à-dire tout propriétaire ou rien. Jusqu’au jour où j’ai découvert les communs, il y a quelques années.

Cela fait maintenant 5 ou 6 ans que je travaille sur les communs. Cela m’a ouvert le monde. Je me suis rendu compte que l’on pouvait faire des choses non binaires, complexes et riches. C’est pour cela que j’ai choisi de travailler sur ces sujets.

Communs

Ma définition des communs est issue d’un important projet de recherche ANR intitulé PROPICE, que j’ai dirigé, réunissant 25 chercheurs et qui a duré 42 mois. L’ouvrage Le retour des communs constitue un des aboutissements de cette recherche. (1)

Nous avons par ce travail aboutit à une définition des communs qui, je le pense très honnêtement, est très robuste.

Je définis les communs au carrefour de trois choses :

Une ressource, tangible ou intangible (une pêcherie, des données…),

Un collectif d’acteurs, individuels ou collectifs, qui disposent de droits et d’obligations vis-à-vis de cette ressource. Ici, la notion de faisceau de droits est fondamentale.
Il n’y a pas de communs s’il n’y a pas un faisceau de droits, formels ou informels, c’est-à-dire des règles d’usage émises par des autorités, mais qui distribuent les droits d’accès, de prélèvement, d’exploitation.

Une structure de gouvernance. Lorsque ces droits sont enfreints ou dépassés, une structure de gouvernance met de l’ordre, par des pressions amicales, et le cas échéant, par sanctions. Par exemple, Il y a des communs en Indes dans lesquels on partage l’accès à des champs. Or, certains jouent les free-rider (problème du passager clandestin), et en réaction, les membres des communautés ont décidé d’acheter les services de gardes armés.

Les communs, ce n’est pas le monde des Bisounous.

Cette définition caractérise les communs au sens strict, les communs naturels, tels qu’ils sont appréhendés par Elinor Ostrom.

Mais cela vaut aussi pour les communs de la connaissance, comme Wikipédia, qui n’est pas non plus un monde de Bisounous. Et j’en profite pour dire que nous, les économistes, nous ne sommes pas enchantés par les gens qui font la gestion de Wikipedia. On pourrait faire très différemment.

Ensuite, il y a la notion de biens communs. Le groupe de travail commence dorénavant à étudier cette notion.

Les biens communs sont des ressources pour lesquelles n’existent pas forcément de partage des droits et le mode de gouvernance. C’est d’ailleurs ce qui fait problème d’une certaine manière.

Un bien commun, par excellence, c’est le climat. Le climat est un bien commun, il affecte chacun d’entre nous, mais il n’y a pas de droits ou d’obligations – ou en tout cas ils ne sont pas respectés et cela peut se traduire par des dégradations. Il est donc nécessaire d’avoir une réflexion la manière dont on peut protéger ces biens communs et comment on peut les enrichir, tout en sachant que ce n’est pas une communauté restreinte qui peut gérer le climat. On peut envisager que certains biens communs soient gérés par des communautés, comme les bien communs architecturaux par exemple. Mais il y a des biens communs pour lesquels il y a un problème d’échelle.

Il y a des biens communs d’échelle globale beaucoup plus difficiles à gérer.

Internet est tout de même un cas de bien commun dans lequel il y a à la fois de la propriété privée, des règles publiques, des normes, des standards, des protocoles. Jusqu’à présent on voit bien que cela marche à peu prêt, mais tout en étant menacé.

Il y a une série de problèmes sur les communs et les biens communs, qui ne sont pas les mêmes.

Biens communs

Un commun et un bien commun, ce n’est pas la même chose. Un commun est géré et organisé.

Un bien commun a comme particularité qu’il affecte des communautés, quelqu’en soit la titularité, c’est-à dire qu’il soit public ou privé, ou qu’il n’y ait aucune titularité.

La calotte glacière, par exemple, est un bien commun. Et c’est très compliqué, parce que des pays prétendent à des droits, et au nom de ces droits, se mettent à faire des forages qui vont affecter des dimensions qui concernent le bien-être de l’ensemble de l’Humanité.

Faisceau de droits

Pour les chercheurs de l’ANR PROPICE, la condition d’existence des communs et de leur préservation réside dans la définition des faisceaux de droits, et dans le respect de ces droits.

Le respect de ce faisceau de droit signifie l’évolution de ces droits à travers le temps, parce que les collectivités changent et induisent des changements techniques.

Processus de prise de décision et de démocratie

Dans le bien privé, en principe, le détenteur du droit de propriété est autocrate. Mais celui ne peut pour autant s’abstraire des responsabilités liées aux servitudes qui peuvent entourer son bien.

Par exemple, je peux être propriétaire d’un poids de 5kg, et pour autant, je n’ai pas le droit de le jeter par la fenêtre parce que je vais tuer quelqu’un.

C’est très important, parce que cela signifie que toute la pensée sur la propriété privée exclusive est très largement mythologique. Même sur la propriété exclusive, il y a toutes sortes de restrictions, parce que l’on vit en collectivité, et que fort heureusement, les citoyens ont des droits.

J’ai intitulé mon livre Le retour des communs. La crise de l’idéologie propriétaire. parce que je soutiens l’argument que nous vivons dans une époque où précisément, nous nous rendons compte que nous avons fabriqué autour de l’idéologie de la propriété exclusive des tonnes de mythes.

C’est cette mythologie de la propriété privé qui garantit sa propre efficacité.
En fait, le roi est nu.

Ce qu’apportent les communs, c’est de mettre fin à la dictature.

Bien qu’elle soit encadrée par des textes, la gestion des biens, publics ou privés, donne lieu à toute sorte de débordements. Ce que peuvent permettre les communs, précisément parce qu’il y a des commoners, c’est-à-dire des collectifs d’acteurs qui gèrent les biens communs, ce sont des processus de décisions dans lesquels, à chaque étape et à chaque moment, il est possible de tenir compte de l’intérêt des uns et des autres, et surtout, de garantir la qualité de la ressource et sa préservation, voire même, quand il s’agit de communs informationnels, son enrichissement.

Règles

Ce qui caractérise les communs tangibles est que la ressource est épuisable. C’est pourquoi les règles, le faisceau de droits et les processus de décision qui les entourent doivent viser, pour l’essentiel, la préservation de la ressource. Les règles seront des règles de prélèvements afin que l’on s’assure de ne pas détruire la ressource. Si jamais l’on s’aperçoit que les règles de prélèvement conduisent à un épuisement de la ressource, alors ces règles seront modifiées.

En revanche, les communs intangibles sont basés sur l’information, c’est-à-dire sur des biens non rivaux que l’on peut exploiter autant que l’on veut. C’est pourquoi les règles qui encadrent ces communs seront tournées vers l’enrichissement de la base. Pour ne pas gâcher la qualité du commun, en mettant en son sein des informations fausses qui rendraient suspect le bénéfice du commun, il faut qu’il y ait des gardiens garantissant la confiance et la fiabilité vis-à-vis des usagers.

En synthèse, l’enjeu des communs tangibles réside dans les règles de prélèvement, alors que que l’enjeu des communs informationnels repose sur les règles d’addition qui garantiront la ressource et son enrichissement à terme.

Enjeux pour les communs

Bien que je sois économiste, je pense qu’un des premiers enjeux pour les communs se situe dans la nécessité de créer des ressources juridiques pour permettre aux communs de se développer.

Dans le droit français, très peu de choses permettent aux communs de se développer. En France, il y a une catastrophe qui s’appelle le Code Civil Napoléon de 1804. Alors que la société était remplie de communs, ce code civil n’a codifié, comme droit de propriété réel, que le droit privé exclusif. Les articles concernant les choses communes sont quasiment absents. Aussi, il n’existe pas de base juridique solide pour développer les communs, et il y a tout un travail à faire. En revanche, en Droit forestier, en Droit des eaux, c’est-à-dire dans des droits spécialisés, il y a des choses qui peuvent être utilisées. C’est donc un premier enjeu, car c’est cela qui va permettre à des communs tangibles ou intangibles, et donc à des ressources économiques, de se développer.

Le second enjeu concerne la confusion dans laquelle on est en train de rentrer entre l’économie des communs et l’économie de la prédation, basée sur internet au travers de la “speudo économie collaborative”.

J’ai en tête la société Uber, par exemple, qui se dispense de toutes les règles. Par le biais d’internet, Uber met en lien des usagers et des services et prélève des rentes astronomiques parce qu’elle ne paie pas les conditions de sécurité et d’accès. Elle les prend, purement et simplement.

Aussi, sur le plan économique, la question importante à laquelle nous allons être confronté, est de protéger l’économie des communs. L’enjeu sera de trouver une place aux communs dans la société, en les distinguant, radicalement, de l’économie de prédation que les grands du net sont en train mettre à partir d’une grande série de ressources. Il y aura une bataille acharnée, entre eux et nous, pour imposer des modèles. Il s’agira de faire en sorte que cette économie de la prédation ne puissent pas se prévaloir de nous pour imposer ses modèles. Il va falloir dénoncer ces modèles de prédation comme tel.


(1) Benjamin Coriat, « Le retour des communs », Revue de la régulation [En ligne], 14 | 2e semestre / Autumn 2013, mis en ligne le 14 février 2014, consulté le 29 juillet 2018. URL : http://journals.openedition.org/regulation/10463 ; DOI : 10.4000/regulation.10463

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