Étienne Hayem

Étienne Hayem est entrepreneur, consultant, conférencier et écrit sur le sujet des monnaies complémentaires et de la monnaie de façon plus large. Entretien enregistré à Paris le 6 décembre 2013.

Étienne Hayem. Portrait

J’ai grandi en Picardie. Après un parcours en médecine puis une école de commerce à Paris, j’ai fait en 2009 un master en événementiel dans une école de commerce spécialisée en marketing. J’y ai conduit un mémoire sur l’évolution des croissances énergétiques et environnementales d’ici 2030.
En sortant de cette école de commerce, j’avais déjà des prises de conscience par rapport aux questions d’égalité de répartition des richesses. Je me suis alors concentré à essayer de comprendre l’histoire de la monnaie et d’aller voir les solutions. Je souhaitais comprendre ce que l’on peut faire, pourquoi cela ne marche pas et ce qui ne marche pas.
Dans ce contexte, j’ai travaillé avec différentes personnes : Jean François Noubel, Patrice LevalloisBernard Lietaer. J’ai créé un collectif qui s’appelle Les Valeureux avec lequel j’ai expérimenté pendant deux ans et demi toutes ces choses là. J’ai quitté ce collectif en septembre dernier.
Le dernier projet sur lequel je travaille est l’aboutissement de ce que j’ai fait depuis 5 ans. Ce projet consiste à créer une monnaie pour la Région Île-de-France de sorte à transformer ce territoire en région symbiotique, c’est-à-dire constituées d’entreprises qui génèrent des externalités positives, faisant du bien à leur environnement, en le restaurant plutôt qu’en l’absorbant ou en le détruisant. Nous faisons une monnaie pour tendre vers cette vision, pour dynamiser cette économie qui existe déjà. Nous avons eu la réponse et la validation de la Région Île-de-France le 17 octobre dernier. Aujourd’hui je suis chef de projet, en charge notamment de réunir les différents acteurs. Je suis également conférencier et écris pour rendre accessible le sujet. Enfin j’ai également un rôle de consultant en partageant mon expertise auprès des collectivités.

Pensée théorique et monnaie(s)

La monnaie est un sujet complexe que l’on peut aborder sous des angles très différents. Parmi ces approches, on peut citer :

  • Approche économique : c’est une approche que je connais assez peu. Il s’agit de définir ce qu’est la monnaie à partir des sciences économiques.
  • Approche technologique : on peut citer comme exemples pour cette approche le travail sur les crypto-monnaies ou encore Bitcoin. Cette approche s’appuie notamment sur l’étude des algorithmes, des chaînes de contrôle, etc…
  • Approche sociale : cette approche s’appuie sur l’idée que la monnaie est un outil de relation sociale. Il s’agit donc au travers cet angle de s’interroger sur la manière dont les humains interagissent avec les monnaies. Quelles monnaies utilise-t-on ? Que représente la monnaie d’un point de vue symbolique ?
    Parmi ceux qui portent cette réflexion, on citera notamment l’Université de Lyon qui organise CC-Conf, Colloque International sur les Monnaies sociales et complémentaires.
  • Recherche et innovation : Jean-Michel Cornu est une figure importante qui situe sa réflexion dans le champ des nouvelles formes d’intelligence collective et de l’innovation, considérant les monnaies comme un nouveau média. Jean-François Noubel traite  également de l’intelligence collective. Selon lui, la monnaie est une forme d’intelligence collective changeante au même titre que nous changeons de système organisationnel.
  • Approche philosophique : certains orientent également leur réflexion vers la philosophie, plaçant la question des valeurs au centre.
  • Approche de terrain, expériences locales : une dernière sphère, davantage représentée par les femmes, concerne les expériences locales. Cette approche concerne donc moins le champ théorique mais plus directement les relations. Ces femmes tiennent le réseau, l’activent et créent des liens.

Voilà quelques angles d’approche de la monnaie complètement différents. Il n’est donc pas toujours évident pour ces différents acteurs de parler ensemble de par la diversité de leurs approches. Et paradoxalement, cette diversité est précieuse et permet d’entrevoir de nouvelles clés de lecture et de compréhension du sujet. À chaque fois que je découvre ou relis un auteur, je repense la monnaie sous un autre angle. J’ai véritablement l’impression de creuser le sujet plus en profondeur.
Par exemple, j’ai récemment lu L’argent et le travail de Tolstoï. L’auteur soutient la thèse selon laquelle il n’y a pas de monnaie sans rapport de force et de domination. Et d’une certaine manière, il remet ainsi en question tous les propos tenus par les économistes.

Je suis moi-même utilisateur de monnaie, j’ai moi-même un rapport à la monnaie, à la richesse, à la valeur, etc… Ce qui est donc en jeu relève donc il y à la fois de la science, si je peux dire – parce que je ne suis pas sûre que cela soit une science – et de mon expérience propre.

Appropriation citoyenne des monnaies

En terme d’initiatives citoyennes, je dirais que deux dynamiques très différentes qui se mettent en place simultanément :

Les SELs et les monnaies locales complémentaires :
La première est incarnée par les SELs et les monnaies locales complémentaires, du type de Sol-Violette qui existe à Toulouse. Dans ce cas de figure, la démarche est bottom-up, progressive, et l’appropriation citoyenne très forte.
Guidées des associations ou des figures clés comme Philippe Derudder, des citoyens se retrouvent, essaient de comprendre, regardent des vidéos. Ces initiatives citoyennes incarne un engagement pérenne et marquent des changements profonds sans retour en arrière possible.
Il existe également des dynamiques de monnaies complémentaires initiées par des groupes d’entreprises. C’est le cas du projet sur lequel de travaille en Ile-de-France par exemple. Certaines propositions sont également initiées par des politiques. La réussite de ces initiatives et leur impact sont très différents, selon les personnes et la manière dont elles sont mise en œuvre.

Bitcoin :
La seconde force est Bitcoin, une espèce de comète de l’internet qui s’est rapidement fait connaître à grande échelle, et a bénéficié d’une large couverture médiatique. À l’image de Napster, Skype ou encore Twitter, ce phénomène émergent fait figure de signal. Il souligne le développement d’alternatives à notre système actuel. Il fait la démonstration que d’autres monnaies, associées à de nouveaux systèmes, sont possibles, et qu’elles répondent à d’autres questions, apportent autre chose. Cependant, selon moi, Bitcoin s’accompagne de valeurs très différentes à celles portées par les initiatives de monnaies complémentaires. Les SEL et les monnaies locales complémentaires connaissent une diffusion locale et progressive, de proche en proche, d’humain à humain par le bouche à oreille et via les réseaux territoriaux. À l’inverse, Bitcoin comme Facebook ou Google, permet le développement de communautés d’intérêt sur internet, qui, propulsées par les outils numériques, croissent de manière extrêmement rapide mais plus superficielle.

Pour conclure, dans ce contexte de crise qui fait figure de tsunami et nous oblige à bouger, à ne plus rester sur nos acquis et positions, ces deux types d’initiatives sont donc des signaux de changement très forts. 
Cependant, je dirais qu’il y a, à l’échelle du grand public, une grande ignorance de ce qu’est la monnaie. D’où vient-elle ? Comment est-elle créée ? Quel est son rôle ? Que représente-t-elle ? Comment est-elle garantie ? Nous utilisons la monnaie tous les jours et pourtant, nous ignorons tout sur elle. Il y a grand travail à mener pour faire connaître cet outil.

Étienne Hayem. Livre sur les monnaies complémentaires

Nous nous sommes rencontrés au moment où tu décides d’écrire un livre pour partager ta réflexion sur les monnaies complémentaires. Peux-tu nous donner tes objectifs pour cet ouvrage, à quels besoins répond-il selon toi ? 

Le livre est pour moi une sorte de troisième support pour partager ma réflexion sur les monnaies complémentaires.
Le premier support que j’ai expérimenté pour en parler a été la bande dessinée. Même si ce sujet nous concernent tous, il n’est pas très drôle au premier abord. L’enjeu est donc de trouver le media approprié pour le rendre plus accessible et moins ennuyeux possible.
Le second support de communication a été la conférence TEDx que j’ai donné à la Défense en 2012. Média de 15 minutes, ce format permet une diffusion facile et large.
À ce stade, l’enjeu est maintenant pour moi de pouvoir communiquer sur le sujet de manière plus approfondie. Après 5 ou 6 ans de recherche, mon objectif est d’en transmettre l’essentiel au travers un ouvrage d’une soixantaine de pages. Je souhaite partager des images, des métaphores, des idées simples tout en garantissant une certaine justesse et beaucoup de précision. Il ne s’agit pas de déformer le propos pour faire passer des idées, mais de trouver les clés pour transmettre à chaque citoyen des informations sur un système pour lequel il est concerné parce qu’il en est acteur au quotidien.

À ce jour, j’ai imaginé un ouvrage en trois parties :

  • Une première partie pour dresser un constat, expliquer « comment ce système marche », ou plutôt « comment il ne marche pas ». Il s’agit en fait d’expliciter les règles du système actuel et la situation dans laquelle nous sommes.
  • Au sein d’une seconde partie, je souhaite exposer les nouveaux paradigmes en jeu aujourd’hui. Je veux montrer que l’on est en train de changer de jeu, expliquer les règles de ce nouveau paradigme et leurs fondements. En montrant les initiatives et solutions qui se développent, je souhaite montrer comment chacun peut changer son regard sur ces systèmes et expliciter comment chacun peut agir individuellement.
    Le nom de ce deuxième chapitre est Tous riches. Au travers cette phrase, je souhaite montrer que la richesse n’est plus monétaire. Nous sommes tous riches en tant qu’être humain, riches de notre vie, riches de qui nous sommes profondément.
  • Enfin, la troisième partie porte ce que ces changements impliquent au niveau individuel et intérieur, c’est-à-dire comment chacun peux changer son rapport à l’argent. Cela implique un changement de rapport avec les autres. Comment je peux créer une autre monnaie ? Comment je peux employer d’autres formes d’échange ? La monnaie n’est pas nécessairement la réponse.

    Pour résumer, il s’agit donc de mener un travail à la fois intérieur et individuel, extérieur et individuel, intérieur et collectif, extérieur et collectif, à l’image des quatres cadrans de la théorie intégrale de Ken Wilber.

Il me paraît fondamental de rappeler que la monnaie n’est pas une solution en elle-même. La monnaie est un outil.

Changer la société implique non seulement de changer l’outil mais aussi de nous changer nous-même. Si nous ne changeons pas, mais que nous changeons l’outil seulement, nous reproduirons la même chose. Et si nous changeons sans changer l’outil, alors celui-ci nous retiendra dans de vieux mécanismes. 

C’est pourquoi il est important de changer les deux en même temps. Il est très important pour moi d’insister sur cette double vision: le changement concerne « moi, mes comportements, mes croyances, mes convictions, mes mécanismes conscients et inconscients, et comment je fais avec les autres : quels processus, quelles règles, quelles valeurs, etc…

Pour conclure, je dirais que le but d’un livre en 60 pages est qu’une personne qui ne connaissait pas la monnaie achève cette lecture en se disant : « j’ai compris ce que je peux faire et je fais le premier pas pour y aller ».

Biens communs

Je me suis documenté sur la question des communs. Il demeure pour moi compliqué d’en donner une définition, et en même temps, c’est bien de cela qu’il s’agit.

Définir une monnaie revient à se demander quel est notre plus grand dénominateur commun. 

Il s’agit de nous demander ce qui nous relie tous, malgré nos différences de croyances, d’opinions politiques, d’intérêts économiques, etc.. .

Bien que nous ayons des intérêts économiques individuels différents ou divergents, nous faisons partie de quelque chose qui est plus grand que nous. C’est peut-être cela les communs.

C’est peut-être cet enjeu là que je place au centre de la question de la monnaie, et pour moi justement, les monnaies sont des biens communs qui nous relient tous et nous concernent, nous impactent tous.

En effet, dans le cas où une seule personne décide d’une monnaie pour un réseau, alors c’est une communauté entière qui joue un jeu établi par une seule personne. Alors que si nous travaillons ensemble pour créer une monnaie qui réponde aux intérêts et besoins de tous, sans faire de mal à personne, je pense que nous constituons du commun.
Aussi je pense qu’un commun désigne à la fois la manière de faire ensemble pour nourrir quelque chose, et quelque chose qui nourrit un ensemble. Je crois que c’est cela un commun pour moi.

Je peux aller un peu plus loin, au regard de ma dernière lecture. Tolstoï dit qu’il il y a la terre, l’outil de travail et le travailleur.
Selon le système actuel et le code de propriété, les biens matériels et, par exemple, les terres appartiennent à une personne déterminée. Pourtant, si l’on prend du recul, selon moi, la terre est un commun. Elle ne nous appartient pas. Nous faisons partie de la Terre. Nous faisons partie des vivants.
Du point de vue de notre système économique à caractère propriétaire, les biens matériels appartiennent temporairement à des personnes désignées. Mais si l’on retourne vraiment à la définition des communs, au sens des communs le plus page, je crois qu’à un moment donné, il va nous falloir faire sauter pas mal des choses qui régissent aujourd’hui notre société et notamment ce qui définit la propriété, la répartition des richesses, le capital, etc…
La terre ne nous appartient pas. Nous avons la responsabilité d’en prendre soin. Nous avons la responsabilité de la transformer pour pouvoir aménager les écosystèmes comme la permaculture le fait, par exemple. L’appartenance est une invention humaine.
À propos de l’outil de travail, c’est la même chose. Finalement quand on regarde un outil de travail, une invention est possible parce qu’il y a un milieu social propice, à l’image de l’invention de l’écriture, de l’organisation de la connaissance, de Wikipédia.
Selon moi, la notion de propriété sur les idées, la notion de brevet ne fait plus sens aujourd’hui à l’échelle de l’humanité. La propriété est éphémère, c’est une invention de l’homme, une forme d’organisation humaine instaurée pendant un temps, et qui me semble aujourd’hui obsolète. Je pense qu’une idée a plus de valeur lorsqu’elle est partagée. Pour moi, les idées, les concepts, les projets font partis du commun au sens large.
Et finalement il reste le travail, il reste l’individu. Et sa liberté – si tant est qu’il a accès au moyen de travail et à la terre, ce qui n’est déjà plus le cas aujourd’hui – il reste à l’individu sa liberté de décider ce qu’il fait de son travail. C’est peut-être là que se situe la limite du commun : cette liberté individuelle de choisir à quoi nous consacrons notre travail.
Beaucoup de formes d’organisation du travail existent déjà : les coopératives, etc…

À ce jour, le domaine public est n’est définit nulle part. Il est décrit par son absence. C’est quand le domaine privé termine que le domaine public commence à exister.

Donc, de mon point de vue, le bien commun est partout, jusqu’à l’individu. Je définis le commun comme tout ce qui dépasse ma liberté personnelle. Et j’espère, j’ai profondément fois que nous passerons un certain nombre de coopérations.
Cette coopération là, c’est faire sauter les verrous de la propriété, aussi bien sur les inventions que sur les biens ou les terrains. Cela pose des milliers d’autres questions sur la gestion et la responsabilité, qui travaille et comment on partage le travail. Mais je crois que de cette société de la propriété, il faut que l’on passe à autre chose.

De la propriété

La propriété est donc selon toi un régime d’exception ? 

« Qu’est-ce que l’on laisse quand on part ? » C’est par mon cheminement taoïste et avec les familles chinoises que j’ai appris  à interroger cette dimension de notre existence.
« Qu’est-ce que moi, Etienne Hayem, je laisse quand je meurs ? » Mandela qui vient de mourir. Que laisse-t-il ? Les biens matériels, ce sont il est propriétaire, évidement. Mais il y a tout le reste, qui de mon point de vue est beaucoup plus grand et nourrissant que cet héritage matériel.
Ces quelques biens matériels, que nous protégeons, nourrissons, développons, il ne s’agit pas les renier complètement. Mais il faut trouver l’équilibre pour l’humanité.

Par ailleurs, en voyant l’état d’urgence dans lequel nous sommes aujourd’hui et à l’expérience de nos multiples crises, je pense qu’il est important de prendre un certain recul.

Dans 130 ans, nous sommes tous morts. Dans 130 ans, tous les humains vivants aujourd’hui sont morts.
Peut-on raisonnablement prétendre que nous sommes propriétaires de quoi que ce soit. Nous ne faisons que passer. La question est de savoir ce que nous pouvons faire de notre passage pour laisser aux autres, de la même manière que nous recevons la vie. Comment donner aux autres qui passeront après nous, pour que le vie soit plus confortable pour eux, plus épanouissante, comme d’autres l’on fait avec nous jusqu’ici.
Cette notion de relativité du temps me parait fondamentale.

Il est indispensable de nous remettre à notre place dans la continuité, qu’elle soit linéaire ou cyclique, et de redéfinir notre rôle d’humain parmi le vivant.

Nous ne sommes pas extérieurs au vivant et à la nature. Aussi, que signifie finalement la propriété. Je crois qu’il y a d’énormes changements à mener. Est-ce la Déclaration universelle des Droits de l’Homme qu’il faut faire évoluer ? Des Droits de l’Homme, mais aussi des espèces vivantes et de la nature. Est-ce à nous de légiférer là-dessus ? Comment faire pour se replacer au sein de notre contexte ? De mon point de vue ces questions là sont centrales. Il y a beaucoup de choses qui ne nous appartiennent pas.

Gouvernance

Le thème de la gouvernance est central dans mon travail sur la monnaie. Il s’agit de réfléchir sur la question de qui gouverne (au sens large, ce qui peut impliquer plusieurs personnes) et comment se prennent les décisions.
Et donc si pour la monnaie c’est très claire, pour le bien commun c’est la même chose.

Si l’on change de système et si l’on ne se base plus sur la notion de propriété comme nous le faisons actuellement, se posent alors un ensemble de nouvelles questions pour organiser la gouvernance. Il faut pouvoir répondre à toutes ces questions en imaginant des protocoles, des processus. Cela demande la mise en place de règles et plus globalement d’un système.

J’ai des pistes de réflexion mais pas de réponses toutes faites, et je crois que ces questions ouvrent de nouveaux champs d’exploration. Nous sommes au début de ces réflexions, et nous apprenons progressivement à les articuler avec les outils numériques que nous développons.

Transparence

Le second aspect qui me parait important c’est la transparence. Lorsque je découvre un site, une entreprise, mon premier réflexe est d’aller voir les personnes qui constituent la structure pour en comprendre la vision, la mission et l’activité. Je m’intéresse à son organigramme et ses modalités de gouvernance.

Au sein d’une structure, si la transparence n’existe pas, nous ne sommes pas en capacité d’en comprendre le fonctionnement. Le manque de transparence nous empêche l’accès aux pouvoirs de décision et par conséquent aux leviers à faire bouger pour défendre un intérêt.

C’est pourquoi de mon point de vue la transparence est une condition absolue et nécessaire. Et je ne parle pas simplement de transparence au sens d’un greenwashing. Je parle d’une véritable mise en capacité des personnes à comprendre l’ADN d’une structure.

Sur le site internet de cette structure par exemple, nous devons pouvoir voir qui décide, comment on décide, comment sont prises les décisions et qui a pris les dernières décisions.
Cela ne veut pas dire que nous aurons le droit d’interférer car cela dépend de la gouvernance. Mais la transparence donne à minima le cadre : on sait qui fait quoi, décide et comment. C’est une forme de clarté indispensable.

Partage

Le partage est une valeur essentielle pour moi.

Il y a quelques années, j’ai crée un groupe de musique electro sur Faceboook. Le partage est l’essence du projet.
Au sein de cette plateforme, chacun vient pour partager quelque chose, un MP3, des vidéos trouvées sur Youtube, etc… Le groupe est devenu dynamique très rapidement, mu par cette démarche de mutualisation. On était dans un espèce de Vortex. Au début, le groupe était constitué de trois personnes, puis s’est élargi progressivement. Nous sommes 7000 à ce jour.
Cette plateforme est comme un puits qui ne se vide jamais. On copie et l’on partage des biens informationnels non rivaux. C’est le principe même du partage de la connaissance rendu possible grâce à internet.

Nous faisions de soirée, nous avions un lieu commun.
Ces soirées étaient comme une aura, nous donnaient de la visibilité, et nous ont permis de gagner de l’argent.
Cet argent, si nous le gagnons aujourd’hui, c’est parce que la communauté vient, consomme et participe aux soirées.
À partir de ce moment s’est donc clairement posée la question de la redistribution de ces gains et de ses modalités, dans une logique de partage continue.

Pérenniser cette logique de partage signifiait pour moi aller au-delà du partage de la musique. En aucun cas il ne s’agissait pour moi de dire : « venez sur ma plateforme et ensuite moi j’actualise, j’engrange et je monétise. » L’enjeu était pour moi de partager l’argent ensemble. Nous construisons, produisons ensemble et par conséquent nous partageons les richesses produites entre tous.
C’est pourquoi, là encore, il a fallu définir un système de gouvernance pour convenir des modalités de ce partage, et garantir une transparence. Garantir la transparence permet à chacun, de l’extérieur, de juger du système de gouvernance et permet une implication consciente de chacun. Elle permet aussi à chacun de ses membres de s’exprimer et d’agir sur le système de gouvernance en place.Il est fondamental de connaître et de comprendre le fonctionnement des structures pour s’y impliquer.

Dans notre exemple, pour notre groupe de musique électro, l’idée a été de créer des compilations pour les jeunes talents et de redistribuer les gains à la collectivité.

En créant le groupe, j’ai donné en quelque sorte une intention et une vision. Assez rapidement, de premiers contributeurs ont commencé à amener de la musique de Berlin, les derniers trucs sortis de je ne sais où. Il y avait aussi mes copains qui prenaient en charge le nettoyage des contenus, essayaient de trier et de supprimer les pubs. Ensemble nous avons donc créé une espèce de filtre de première qualité. Autour de ce noyau, des contributeurs, à l’image de fourmis, commentent, likent, etc… Cela fait remonter le flux.
Au final, en ayant donné un clic et une intention, je me retrouve avec une radio de qualité parce qu’il y a toute une séquence de production de différents travailleurs qui filtrent, améliorent, écoutent, et qui donnent de l’attention.
C’est cela l’économie de l’attention, que l’on retrouve chez Google, Facebook, et au sein de plein d’autres plateformes.

Cette initiative et cette aventure a donc été pour moi, avant toute chose, une expérience d’un partage équitable des ressources nées de ce que j’avais planté.

Liberté

Les communs touchent à la notion de liberté. Si j’agis de manière contrainte et si je ne suis pas dans une liberté affirmée, alors je ne vais pas créer avec la même énergie que si je choisis et j’y vais.

On dit qu’on est dans une société où l’on n’a jamais eu autant de droits et de libertés. Je crois que la monnaie est une forme d’oppression et de domination.

Aujourd’hui, par exemple, nous devons payer des impôts. Nous ne sommes obligés de le faire, mais des sanctions existent si nous ne nous soumettons pas à la règle. Et, si demain, payer des impôts était facultatif ? Si cela était conseillé, recommandé mais pas obligatoire, que se passerait-il ? Qu’adviendrait-il si aujourd’hui l’on demandait, comme dans une économie du don, de payez les impôts par choix, par souhait ? Dans ce cas de figure, nous changeons complètement de registre en terme de rapport à la liberté. Nous ne sommes plus dans une contrainte, ou une fausse liberté parce que c’est le contrat social de l’état, etc. Cela changerait quoi dans l’énergie, si les gens étaient libres de donner leurs impôts, leurs contributions URSSAF, etc ?

Si je ne suis pas libre au départ, tout ce que je fais se situe dans une contrainte, ou dans la réduction d’une oppression. Je suis dans un espace de survie, ou dans une subsistance, mais qui n’est pas un état de liberté de l’être. Je ne suis pas dans une création artistique, une création de l’âme.

Monnaies et crises

La plupart des exemples de monnaies alternative que je connaisse sont nés pendant les crises, parce que c’est au moment où l’on perd la monnaie principale et que l’on se retrouve avec rien, que l’on recommence soit du troc, soit d’autres monnaies, soit d’autres systèmes.

Une monnaie, c’est comme une religion. On ne peut pas en avoir deux en même temps. Dès lors que l’on croit en l’Église, ou en l’État, on croit en un système, des politiques, etc. Cela forme un tout.

C’est pourquoi les monnaies locales, qui proposent d’autres systèmes, d’autres fonctionnements, une autre vision, autre chose, peuvent paraître antinomique.

Quand je proposais les monnaies complémentaires, il y a trois ou quatre ans, on me demandait ce qui ne me convenait pas dans le système en place. Parce que l’on propose autre chose, au statut de complément, cela dérange.

Proposer un changement est souvent assimilé à une contestation. Alors qu’en terme de monnaie, il s’agit de proposer une complémentarité, une coexistence des systèmes. 

Tout le travail de Bernard Lietaer porte d’ailleurs sur cette analyse des monnaies Ying et les monnaies Yang. Les monnaies capitalistes sont des monnaies Yang, c’est-à-dire des monnaies d’expansion, de compétition et de concurrence. Les monnaies Ying sont des monnaies locales. Aussi, ce n’est pas l’un ou l’autre, ou l’un contre l’autre, c’est l’ensemble qui fonctionne.

Pour revenir à l’Histoire, en Égypte ancienne, existaient deux systèmes de monnaie. Il y avait justement cette monnaie Yang qui était l’Or, monnaie d’expansion internationale, et la monnaie locale pour les villes, les villages, etc.

Manifeste

Inspirations

Dans mon parcours, avant les textes, pour moi, ce sont les rencontres qui ont été importantes.

Le Mexique.
Au Mexique, Manolo était le vendeur de tacos au coin de la rue. J’ai rencontré, au travers Manolo, le choc de la violence des riches, de la violence du système. Cet homme qui vendait des tacos aurait pu être mon père. Manolo s’était retrouvé avec un prêt, au moment de la crise de la Tequila. Les taux américains étaient montés jusqu’à totalement s’envoler. Manolo il s’était retrouvé à devoir payer 3 fois, 5 fois,10 fois plus que ce qu’il avait emprunté au départ.
La première rencontre importante de mon parcours est donc celle-ci, dans le cadre de mon étude sur le Mexique et l’inégalité de répartition des richesses. J’observais comment les riches devenaient pus riches et les pauvres plus pauvres.
Ce témoignage humain m’a beaucoup marqué, et particulièrement cette violence, qui n’était pas physique, puisqu’il n’était pas menacé physiquement. La violence des mots. Une violence concrète, qui impose à un homme de travailler toute sa vie pour le remboursement d’un prêt. La menace permanente qu’on vienne le saisir. L’angoisse de laisser des dettes à ses enfants. C’est cette violence invisible, qui est pourtant là, partout. Une liberté arrachée.

J’ai pris conscience de notre dépendance au marché, et à un système où la monnaie est rare. Un marché qui nous contraint à nous battre pour nous en sortir, où nous sommes en compétition les uns avec les autres. 

Perspectives

Confiance

 

Pour aller plus loin :

Étienne Hayem
Conférence TEDxLaDéfense. Étienne Hayem. La monnaie comme lien.

Jean-François Noubel
Site internet de Jean-François Noubel.
Conférence TEDxParis 2011. Jean-François Noubel. Après l’argent.

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