Nathan Stern

Entretien avec Nathan Stern enregistré le 15 octobre 2013, Place de Clichy à Paris.

Nathan Stern est ingénieur social. Il s’efforce de concevoir des outils pour aider les personnes à se rapprocher les unes des autres au sein des villes, des quartiers, des immeubles, des bureaux, des cours d’école, des foyers,… Il a notamment fondé des réseaux tels que Peuplade (2003), un réseau social local, et conçu, pour le compte des petits frères des PauvresVoisin-age (2008), afin de réunir les voisins autour des personnes âgées de leur quartier.

Nathan Stern. Portrait.

Peuplade.

Biens communs.

J’ai fait des études de philosophie et de sociologie, j’ai entendu parlé de différents types de biens communs, différentes manière de les définir. Et je vois qu’autour de cette notion, extrêmement précieuse à mes yeux, perdure une grande inhibition. Personne n’ose vraiment s’approprier cette notion de biens communs, qui me parait pourtant vraiment opportune. Il serait dommage que par peur de mal utiliser ce concept, on le néglige et l’on n’en fasse pas l’usage qu’on pourrait en faire. Donc je me suis, de manière un peu téméraire, arrogé le droit d’affecter une définition assez ferme à cette notion, en profitant de tout cet arrière plan un peu confus qui existe derrière elle. Cette notion évoque à la fois un bien que la nature nous a offert, et un bien culturel dont les hommes profitent. Je ne vais pas creuser les définitions alternatives. Je vais défendre une définition et puis advienne que pourra. Elle va peut-être petit à petit prendre des galons. Ou être au contraire personne ne l’adoptera et cela n’en sera pas plus grave.
Bien commun c’est même un nom que j’ai donné à ma boîte, puisque j’ai appelé ma boîte Common Good Factory. Et ma boîte est véritablement le véhicule de toute mon activité sociale, bénévole ou rémunérée. C’est vraiment mon véhicule pour interagir avec les institutions, las associations, les individus. C’est cette enveloppe, la « manufacture du bien commun ».
Je vais enfin en venir à la définition que je me propose d’affecter aux biens communs.

Pour moi un bien commun est un bien qui contribue à renforcer la cohésion de la communauté. Un bien commun est un bien qui crée du sentiment de fraternité et du sentiment d’être ensemble, une connexion. C’est pour moi un bien qui améliore la qualité des liens entre les acteurs qui profitent du bien commun en question.

Par ailleurs, il y a dans la notion de bien commun quelque chose que je trouve sympathique, au delà du mot commun qui renvoie à la communauté et à l’idée de partage. Il y a la notion de bien. Et un bien, cela s’achète, cela se vend. Il y a dans cette notion une dimension économique. La dimension morale est un peu inquiétante. Mais la dimension économique est prometteuse. Et ce que je trouve intéressant dans la notion de bien commun, c’est au cœur de mon projet d’entreprise, c’est que l’on va pouvoir concevoir, créer, produire différemment. On va pouvoir puiser des choses qui se vendent et qui contribuent à la qualité des liens. Donc on va pouvoir corréler de la valeur sociale et de la valeur économique.

Common Good Factory.

Communauté.

La notion la plus proche des communs est selon moi la notion de communauté. Si ces notions étaient des planètes, celles-ci seraient toutes proches. Communauté.

Le bien commun prend son sens dans le cadre d’une communauté, c’est-à-dire une fédération ou agrégation d’individus, acteurs qui vont décider à un moment donné de tisser des liens entre eux se sorte qu’ils vont former un tout un peu plus grand que chacun, avec des parties.

Et c’est cela qui émerge de cette notion de communauté : des gens qui vont faire partie de quelque chose d’uni et de cohérent, d’une cohésion.

Bien.

La notion de biens communs me parait renvoyer à la notion de bien, dans sa double acception. Dans son acception morale tout d’abord, c’est-à-dire le bien que l’on oppose au mal. Mais aussi dans son acception économique, c’est-à-dire le bien que l’on oppose au service. J’apprécie cette ambigüité du mot bien, qui me parait prometteuse. En effet, si nous parvenons à fabriquer des biens – au sens des objets, des choses qui peuvent se produire, se vendre, s’acheter – qui contribuent au bien commun, alors c’est une très bonne nouvelle pour l’Humanité. Cela représenterait un pas dans le sens d’une démocratisation de ce qui contribue à la qualité des liens. C’est-à-dire de ce qui aujourd’hui est épouvantablement cher. Il y a une grande différence entre les services et les biens. Les biens ne mobilisent pas la présence d’un humain délivrant une prestation, contrairement au service. C’est pourquoi le coût des biens peut être parfois très inférieur au coût des services.

Ce phénomène de démocratisation représenterait donc une excellente nouvelle pour les communautés, que se soient les communautés familiales, les communautés économiques, d’entreprise, conjugales, ou toute autre forme de lien dans lequel une unité s’institue.

Il faut encapsuler, catalyser de la valeur sociale dans les objets plutôt que dans les services, ce qui rendrait celle-ci plus accessible et donc beaucoup plus généralisable.

Aujourd’hui, quand un couple est en difficulté, il faut qu’il ait de quoi s’offrir 70 ou 80 euros de l’heure les services d’un thérapeute conjugale. Ou qu’il lise un livre qui ne sera peut-être pas d’une grande efficacité, parce que face à la difficulté, la lecture d’un livre suffit rarement. Il en est de même pour les situations où il y a violence, dans les entreprises par exemple. Dans ces cas de figure, le recours à du personnel qualifié est presque systématique, excluant ainsi la possibilité à une grande majorité des acteurs de pouvoir s’offrir des services aussi chers. Et du coup, ils resteront dans des situations aussi détériorées qu’ils l’étaient au départ.

Partage.

Si le bien est commun, alors le bien renvoie à une notion de propriété dès lors que ce bien est partagé. C’est la propriété de ce bien qui est partagée. Et ce qui est intéressant, c’est que c’est autour du bien lui-même, potentiellement, que le partage se constitue. C’est parce que l’on partage un bien que l’on va être en communauté. Il y a un certain nombre de biens précieux autour desquels on va pouvoir se réunir, parce que chacun de nous est dépendant de ce bien, et que l’on doit tous sécuriser notre accès à ce bien. C’est pourquoi la notion de partage me semble se situer au cœur de la notion de biens communs.

Qui dit partage dit apprentissage de la vie en commun.

Puisque si l’on use, les uns et les autres, d’un même ressource, on va devoir apprendre à la traiter avec les mêmes égards. Que ce soit un appartement en collocation, l’air de l’atmosphère ou la biodiversité, on doit s’accorder les uns et les autres sur l’usage que l’on doit faire de cette ressource, pour nous sentir et être en sécurité les uns avec les autres.

Intérêt général.

La notion de biens communs me fait penser à la notion d’intérêt général. C’est une notion peut laisser perplexe si l’on considère qu’a priori que nous avons des intérêts particuliers. Cela signifierait une sorte de fusion extraordinaire de ces intérêts particuliers en un intérêt qui serait général, et qui profiterait à chacun, ou plus exactement à tous. Mais comme parfois il y a une divergence, voire un antagonisme, entre l’intérêt particulier et l’intérêt général, on ne sait pas très bien par quel mécanisme cette fusion se fait.

Similitude.

J’ai l’impression que l’on ne peut pas envisager la notion de biens communs sans se douter que l’on a des choses en commun. Si nous sommes en capacité de partager un bien, c’est parce que nous avons des similitudes les uns avec les autres. Nous sommes surtout sensibles à nos différences, à notre individualité, notre singularité, et à ce qui fait que chacun de nous est irréductible. Irréductiblement seul, isolé ou différent des autres.

Je pense que si il y a combat pour la reconnaissance des biens communs, il y a combat pour la reconnaissance de notre similitude. 

Il faut se rappeler que nous sommes semblables à plein d’égards. Nous avons en commun des besoins, des attentes et des aspirations.

Si un bien commun est possible, c’est parce que nous sommes, pour l’essentiel, très semblables les uns aux autres.
Et cette similitude est quelque chose que l’on dénie beaucoup. 

Individualisme méthodologique.

Écrire le code de nos institutions.

One Comment

  1. Pingback: [ roadmap ] Biens communs | Sylvia Fredriksson

Laisser un commentaire