Olivier Jaspart
Olivier Jaspart est juriste en droit public au sein d’une collectivité territoriale et dédie une partie de ses travaux au droit administratif des biens communs, qu’il documente sur son blog République : pour quoi faire ? Entretien enregistré le 28 mars 2019 à Paris par Sylvia Fredriksson, Maelle Ferré et Benjamin Gentils. Je m’appelle Olivier Jaspart. Je suis juriste dans une commune en Seine-Saint-Denis et je travaille à la découverte d’un droit administratif des biens communs. Je suis venu aux communs par l’économie collaborative. En 2015 s’est tenue la première édition du OuiShare Fest, un événement dédié à l’économie collaborative. Cette première édition, qui avait une dimension très francophone, mettait en avant l’économie du partage et interrogeait la manière dont on pouvait repenser l’allocation des ressources. De fil en aiguille, je me suis intéressé à l’économie collaborative et je me suis aperçu qu’était sous-jacente la notion de communs, que j’ai découvert par l’ouvrage de Dardot et Laval intitulé Communs, un essai sur la révolution 21e siècle.
J’étais encore assez jeune fonctionnaire. Je suis rentré dans la fonction publique en 2011, fraîchement titulaire d’un master 2. Je me souvenais que dans le code général des collectivités territoriales, il y avait disposition propre aux habitants, nommée les sections de commune. Je me suis intéressé à leur régime juridique et aux règles qui les définissent. Ce dispositif est hérité du Moyen-âge et des anciens communaux.
J’y publie cette recherche dans la catégorie droit administratif des biens communs et je suis, depuis bientôt 2 ans, activement dans une dynamique de partage de ces informations. La découverte du CommonsCamp à Grenoble en août 2018 a constitué une étape importante de ma démarche. J’ai pu rencontrer plusieurs personnes à cette occasion, échanger notamment avec des agents communaux, et expliquer que l’on peut aujourd’hui en France utiliser un droit administratif des biens communs, que l’on se préoccupe communs urbains, informationnels ou environnementaux. À cette occasion, j’ai aussi découvert qu’en Italie avait été mis en place des règlements d’administration partagée s’appuyant sur le principe de subsidiarité horizontale. J’ai alors entrepris un travail de transposition de ces mécanismes juridiques dans le droit français, que j’ai présenté à l’occasion de la Biennale de la Transition en mars 2019 à Grenoble. Enfin, j’ai pu montrer aux agents municipaux de Grenoble mon projet de Règlement d’administration mise en commun. C’est un projet qui est forcément perfectible. Écrire les communs : le droit administratif des biens communsLors du CommonsCamp, j’ai découvert les travaux dédiés aux communs en Italie, notamment ceux de Gilda Farrell, membre du Conseil de l’Europe et de la Commission Rodotà en Italie et du cabinet Labsus, basés sur l’application du principe de subsidiarité horizontale qui permet aux villes comme Bologne de tisser des pactes de collaboration avec le citoyen. Depuis la découverte de ces travaux, j’alimente une réflexion sur la capacité à transposer ce règlement d’administration partagée en droit français, et notamment avec les contraintes inhérentes au droit administratif français. Si ce type de règlement se déclinait en France, sous l’égide des administrations, il relèverait forcément, selon moi, du droit public. J’ai rédigé, pour la Biennale de la Transition en mars 2019, un projet de règlement d’administration mise en commun. L’administration en France ne se partage pas, mais elle peut se mettre en commun. Les conseils municipaux sont souverains. On ne peut pas déléguer, mais on peut les mettre en commun.
En Italie, ce processus est mis en œuvre par des pactes de collaboration. Dès lors que j’ai entrepris ce travail de transposition, plusieurs questions se sont posées. Et tout d’abord, pour un publiciste en France, il est hors de question d’utiliser le terme de collaboration, qui renvoie à des périodes sombres de notre Histoire. Il faut donc trouver d’autres termes. À partir de là, plusieurs déclinaisons sont possibles, au travers l’agrément, le pacte d’engagement, et la délégation du commun. L’agrémentEn droit administratif, il existe déjà l’agrément. C’est un acte de décision créatrice de droits émis par l’administration, qui donne des prérogatives, c’est-à-dire un privilège à une personne, qu’elle soit physique ou morale. L’agrément peut être, par exemple, un permis de végétaliser ou l’inscription sur une plateforme électronique de covoiturage mise en place par l’administration. C’est la version la plus souple qu’il puisse exister : je me connecte, je remplis un formulaire, j’accepte les conditions générales d’utilisation et je suis agréé, c’est-à-dire membre de la communauté d’usage.
J’avais utilisé le terme de valorisation notamment par l’exemple de la commune de Brest qui a modifié son plan local d’urbanisme pour donner une subvention à deux propriétaires du même rue dans le cadre d’une opération de ravalement de façade. Le soutien de la ville de Brest, sans couvrir la totalité des frais de l’opération, a permis de débloquer l’action. Et petit à petit, la rue va être mise en valeur par effet d’entraînement.
Le pacte d’engagementEnsuite, il y a le pacte d’engagement, plus proche du pacte de collaboration italien. Le pacte d’engagement est quelque chose défini en droit français, prévu par le code de la sécurité intérieure pour les réserves communales de sécurité civile. Ici, on retrouve une certaine dimension républicaine du droit français au travers la notion d’engagement citoyen. En France, la protection civile ne repose pratiquement que sur du volontariat. 70 % des pompiers sont volontaires. Ce qui signifie donc qu’ils ont un travail à côté de cette activité. Bien que l’on dise que la sécurité au quotidien est une compétence exclusive de l’État, pourtant, chaque citoyen peut s’engager chez les pompiers, peut adhérer à la Croix-Rouge. Dans mon travail juridique, j’utilise à dessein cette notion d’acte d’engagement parce qu’il est reconnu par le code de la sécurité intérieure, pourtant issu d’une pensée étatique, jacobine et sécuritaire. Ce collaborateur s’engage à mener une action au nom de l’intérêt général, que cela concerne un citoyen, plusieurs citoyens, ou tout un quartier. Un pacte peut être conclu, comme en Italie, avec une ou plusieurs personnes. Il peut exister des relations de réciprocité. Dès lors que l’administration veut jouer le jeu, elle est capable de faire. La délégation du communEnfin, on peut envisager une délégation du commun. On rentre là vraiment dans une technicité particulière. Le Conseil d’État italien a rendu un avis sur les pactes de collaboration au regard du Droit de la concurrence européenne. Parce qu’effectivement, dans les anti-communs, nous avons créé un cadre juridique favorable au marché. Alors que créer un commun, cela veut dire déposséder le marché de certaines prérogatives. Par conséquent, comment faire en sorte qu’une réglementation nationale et supranationale soit respectée alors que l’on décide de rentrer un peu en rébellion ? Pour résoudre cette problématique, le conseil d’État Italien a sortir un grand arrêt, en 2018, qui définit en fait la clé de répartition. Mais quand l’administration va devoir déléguer à la communauté d’usagers directement la gestion d’un espace ou d’un bien commun, comment peut-elle le faire juridiquement en droit français ? Cela existe. Actuellement, l’administration française mobilise ce que l’on appelle la délégation de service public, le marché public, ou l’occupation du domaine public. Si, dans ce cas de figure, les administrations françaises sont obligées de “mettre en concurrence”, elles peuvent pour autant demander à ce que les entreprises auxquelles on va déléguer soient des entreprises d’intérêt social ou qui remplissent une certaine mission publique. C’est le cas pour les occupation du domaine public comme aux Grands Voisins à Paris, ou aux Groues à Nanterre, mais aussi pour Gren’ de projets à Grenoble ou encore Coco welten à Marseille. Il y a beaucoup d’autres exemples partout en France.
Si le Conseil d’État italien a validé cette possibilité en Italie, je ne vois pas en quoi le Conseil d’État français pourrait dire que c’est une atteinte au droit de la concurrence, dès lors que l’on veut utiliser le principe de délégation de service public pour avantager l’entreprise qui va vraiment avoir l’esprit le plus tourné vers les communs. On peut imaginer juridiquement comment déléguer à une communauté d’usage ces actions là. Par ailleurs, il faut se préoccuper du suivi. Parce que pour qu’il y ait vraiment un commun, il faut que l’ensemble des contributeurs et des utilisateurs puissent décider et participer aux règles d’administration, ce que je n’ai pas vu dans le projet de règlement italien. Je me suis appuyé sur le code des relations entre le public et l’administration, et plus précisément un article intitulé De l’association du public aux décisions de l’administration Effectivement, étant donné notre fonctionnement républicain, ce sont les élus qui ont le dernier mot. Mais on peut parfaitement associer le citoyen jusqu’à un certain point. Pour l’instant, au regard du droit actuel, cet avis émis par le public est consultatif. Mais on peut faire en sorte qu’il ait une certaine valeur et qu’il recouvre une certaine dimension d’obligation. J’ai écris, dans ce projet de règlement, qu’avant tout projet de modification, il faut que ce soit les utilisateurs, les contributeurs, les usagers qui participent à ce service public mis en commun, ce commun administratif. Il s’agit qu’ils prennent part à la décision, qu’ils disent comment ils voient les orientations. Et l’administration s’engage à suivre ces avis. Et si elle ne les suit pas, j’engage dans ce règlement l’interprétation la plus stricte possible du code des relations publiques à l’administration. Il s’agit de considérer que l’avis consultatif est une demande officielle, et que tout refus de cette demande doit être motivée, alors que juridiquement c’est plutôt flou. Je considère que la communauté des usagers, qui a émis son opinion, peut avoir un refus de l’administration, mais un refus motivé et permettant à la communauté de comprendre pourquoi le décisionnaire public a dû dire non. Tout autre posture a pour risque d’alimenter la défiance du citoyen envers le politique. Par le texte que je propose, je vais vraiment jusqu’au bout. J’étire les règles applicables à l’heure actuelle, mais en toute légalité. Tout ce qui est écrit là est légal. Malheureusement, cela reste un outil. Et si tu utilises un marteau pour visser, tu ne feras que taper sur la vis. Et tu ne pourras pas la dévisser. Tu devras la retirer avec le marteau. Si l’administration met en place ce type de système, et décide de le bureaucratiser, alors rien ne l’empêchera malheureusement. Il faut que les communes développent leur propre doctrine, que les hommes politiques se saisissent de la possibilité de mettre en place ces actions, de la manière la plus inclusive possible. Je ne sais pas si le modèle de Saillans est transposable aux 36000 communes en France, et aux intercommunalités, aux départements, aux régions.
Un fonctionnement bureaucratique à Turin ou à Bordeaux. Un fonctionnement plus souple à Saillans. Les deux types de pratique fonctionnent, ou produisent des simili de fonctionnement. La question de savoir si telle ou telle pratique est meilleure ne relève plus de l’avis juridique mais de l’avis citoyen. Il appartient aux citoyens, dans la communauté d’usage en tant que contributeurs, de faire connaître aux élus leurs prérogatives, et en tant qu’électeurs de voter pour la liste la plus contributive possible, ou de s’instituer en une liste qui propose cette action. Le citoyen n’est pas que passif, il peut devenir élu lui-même.
Si cela doit être bureaucratisé à tel endroit, que cela se fasse ainsi. Et si les gens ne concluent pas que ce système doit changer, parce qu’il a trouvé un équilibre, certes bureaucratique, mais qui existe, je ne vois pas en quoi les juristes viendraient tout remettre en cause. Les juristes sont des techniciens, pas des politiques. JuristeHérité du droit romain, il existe cinq catégories de biens que l’on enseigne en première année de droit, qui sont les biens privés (qui relèvent de la propriété privée), les biens publics (qui relèvent de la chose publique), les biens abandonnés (les déchets), les biens appropriables (le gibier), et les biens communs. Les juristes ont beaucoup travaillé pour décrire les biens communs, en aboutissant à la définition posée par l’article 714 du Code civil français, qui n’a pas changée depuis 1804, et qui dit qu’il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d’en jouir. La Révolution Française a marqué une révolution juridique, puisque celle-ci a consacré la primauté des biens privés et donc de la propriété privée comme droit absolu. C’est d’ailleurs l’un des Droits de l’Homme. Par conséquent, tout ce qui n’est pas de la propriété privée va être défini en négatif de celle-ci. Le juge judiciaire va être le juge qui va gérer la propriété privée, et le juge administratif va gérer par défaut les autres catégories. Et pourtant, vont avoir lieu des va-et-vient juridiques concernant le partage de responsabilités entre le judiciaire et l’administratif. En France existe d’ailleurs une juridiction que l’on appelle le Tribunal des conflits, qui va juger les conflits de juridiction. Pour chaque contentieux, un répartiteur de compétences définit ce qui relève du judiciaire ou de l’administratif. Un commun porté par une associationLa copropriété définit, d’une part, les règles de gestion de vie des parties communes, dans un intérêt totalement privé. Cependant, cette copropriété peut également vouloir défendre un intérêt qui lui est supérieur et qui dépasse la somme de ses parties. Pour se faire, celle-ci aura recours à des droits dit exorbitants, c’est-à-dire qui dépassent les frontières des droits normaux attribués à une copropriété, et qui relèvent du champ administratif. Par conséquent, on va donner à cette copropriété, cette association ou cette entreprise, un agrément, c’est-à-dire une reconnaissance attestant du fait de satisfaire un intérêt général. Un commun porté par une structure publiquePar exemple, le sang n’appartient à personne. L’Établissement Français du Sang est une personne morale de droit public qui gère totalement l’ensemble des dons du sang et la répartition du sang en France. Il n’existe pas de marché du sang en France. Ce n’est pas possible car c’est une ressource qui appartient à tout le monde. Si cette situation relève d’une politique de santé publique, celle-ci ne peut cependant pas s’astreindre du fait que s’il n’y a pas de donneurs (c’est-à-dire de contributeurs et de communauté d’usage), alors il n’y a pas de sang. C’est pourquoi le droit administratif attribue aux donneurs des droits et des protections particuliers, notamment l’anonymat. Un commun porté par une entrepriseÀ l’autre extrême, une entreprise privée telle une société anonyme peut aussi défendre un intérêt qui lui supérieur. D’ailleurs, la Loi PACTE qui vient d’être adoptée à l’Assemblée nationale reconnaît une certaine responsabilité des entreprises, à l’égard de l’environnement par exemple. C’est pourquoi un juriste doit aussi être à l’affût des nouveautés juridiques.
Technicien
Ces démarches requièrent un certain savoir encyclopédique car le droit administratif des biens communs est, d’une certaine manière, caché. Il faut savoir observer ce qui n’est pas visible pour adapter les règles à la technique d’un commun. Par exemple, les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) sont prévues par la loi Bachelot, loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires,et poussées par les ARS, les Agences Régionales de Santé pour organiser la médecine de ville. RépublicainLe mot républicain a pour moi une connotation philosophique, plus que politique. C’est même de la philosophie politique. En tout cas c’est quelque chose qui est très important pour moi.
Effectivement, le républicanisme aujourd’hui est en voie d’extinction. Dans les années 90, Marcel Gauchet avait publié un article, paru dans le Nouvel Obs, sur les oppositions entre le démocratisme et le républicanisme.
Je pourrais citer John Fitzgerald Kennedy qui disait : « N’attendez pas du pays ce qu’il vous demande, mais demandez-vous ce que vous devez faire pour votre pays« . L’idée ici consisterait à dire que chaque personne doit contribuer, parce que chaque personne a une place qu’elle définit en toute autonomie au sein de relations sociales. PionnierÀ l’heure actuelle, un important travail universitaire est engagé autour des communs, dans différentes disciplines telles les sciences sociales ou le droit. Je me souviens encore d’un projet subventionné par Ministère de la Justice pour financer des laboratoires de recherche qui s’intéressent aux communs. Le commanditaire étant le Ministère de la Justice, cela signifie que ces financements engagent des recherches dans le champ du droit judiciaire. Je peux me tromper, mais malgré le foisonnement de cette question là, je ne vois pas de réflexion en droit public sur les biens communs. Et comme je disais précédemment, le droit de propriété privé défini en négatif tout autre type de bien. Je pense que le XXIème siècle sera celui d’une doctrine des biens communs, construite par le droit administratif des biens communs. Sans air pour respirer, nous ne pouvons pas vivre. Sans accès à de l’eau potable, nous ne pouvons pas vivre non plus. Si nous ne pouvons pas vivre, nous ne pouvons pas exercer notre liberté le citoyen. Si nous ne pouvons pas aller dans la rue parce qu’on nous interdit de manifester, alors nous ne pouvons pas exercer nos libertés démocratiques de citoyens. Si nous ne pouvons pas accéder à internet et accéder à la connaissance universelle, parce que tout est breveté, alors nous ne pouvons pas nous émanciper de notre condition. Nous sommes soumis à un brevet. Nous ne pouvons pas cultiver ce que nous souhaitons, parce que la semence où l’animal en notre possession a été breveté. Toutes ces enclosures suppriment nos libertés d’usage. Notre liberté de consommation, notre droit à vivre selon nos propres règles en autonomie mais dans un cadre de souveraineté partagée avec l’ensemble de la communauté des citoyens.
Je sais que beaucoup de juristes en droit informatique s’y intéressent beaucoup, notamment parce que les droits de propriété intellectuelle sont un enjeu central de leur travail.
Le droit de common law est un droit casuistique qui permet aux juges de pouvoir définir que l’argument de celui qui a payé le plus est l’argument juridique valable. Il faut absolument empêcher les grandes entreprises de rentrer dans cette logique. Les tribunaux arbitraux, qui sont en train d’être mis en place dans les traités internationaux, suppriment tout esprit de souveraineté du citoyen. Ceux-ci suppriment même la liberté. Pour illustrer ces enjeux, on peut citer l’exemple d’internet. Aujourd’hui, l’ensemble des data centers se trouvent en Californie. Cela signifie que nous sommes tous soumis, par nos actes de consommation par internet sur Ebay ou autre plateformes, au droit commercial de Californie. Comment justifier cela ? Aujourd’hui, notre liberté fondamentale de citoyen, qui consiste en la possibilité de saisir un juge judiciaire français en cas de conflit commercial, est atteinte. Les traités internationaux violent la souveraineté nationale et notre liberté fondamentale à pouvoir saisir un juge à proximité. Je dis toujours que le Conseil d’État est le petit juge incompris, qui a protégé beaucoup plus de de libertés fondamentales au XXème siècle que la Cour de cassation. En effet , la Cour de cassation a quand même participé à la rédaction des lois du régime de Vichy, alors que le Conseil d’État a quand même reconnu des libertés fondamentales, et notamment de droit de propriété et la responsabilité de l’État quand le droit propriété n’était pas consacré. Service public
Au début du XXème siècle, il n’existait que trois grands types d’administrations en France : la commune, le département et l’État. Bien qu’existaient ces trois entités, c’est essentiellement la commune qui administrait les citoyens. L’eau est un des cas les plus éloquents en la matière. Avec la loi NOTRE (loi no 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République) et la loi MAPAM (loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles), on a explosé la répartition de la compétence de l’eau entre tous les niveaux des collectivités publiques, au point que même les juristes et techniciens doivent s’y reprendre à trois reprises pour savoir quelle est la différence entre la police de l’eau des eaux pluviales urbaines – qui relève de la compétence du département – et la police de l’assainissement – qui relève de la compétence de l’intercommunalité. Cela concerne le même caniveau, mais ne relève pas du même service publique De la même manière, on utilise les mêmes tuyaux d’approvisionnement en eau potable pour alimenter les foyers que pour le système de défense extérieure contre les incendies. Ces deux services ne relèvent pourtant pas des mêmes compétences. Dans le premier cas, c’est du ressort d’un service public délégué à des entreprises privées, dans le second cas, c’est la responsabilité de la police du maire.
On peut prendre un autre exemple au travers les quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Au lieu de considérer que la réduction des gaz à effet serre est un commun, et que tous les producteurs doivent ensemble définir des règles pour réduire, ensemble et de concert, la production des gaz à effet de serre, on va faire un marché avec les quotas. Et en réalité, ce marché des quotas de l’Union européenne ne marche absolument pas, car ceux-ci sont modiques sous prétexte de crise. Alors que l’on devrait payer environ 100 euros par tonne de gaz à effet de serre pour que ces quotas soient efficaces, aujourd’hui la taxe s’élève à 0,1 centimes. Les quotas ne fonctionnent pas. Nous avons créé des anti-communs.
On pourrait aussi citer à cet égard l’Affaire du siècle, une campagne de justice climatique en France initiée par quatre associations (Fondation pour la nature et l’homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France) le 17 décembre 2018 visant à saisir la justice administrative pour inaction de l’État en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Il n’est pas normal que l’on soit obligé de saisir le juge alors que cette affaire concerne un commun environnemental et devrait relever de la chose publique. L’Italie a connu au début du XXIème siècle des révoltes violentes à Naples sur la délégation du service public de l’eau. De ce conflit est née la Commission Rodotà, qui redéfinira le bien commun comme l’exercice d’une liberté fondamentale Alors que dans le même temps, l’Union européenne va adopter la fameuse Directive concessions, reprenant le modèle de la délégation service public à la française au niveau européen. Par contre, et c’est la beauté d’un droit administratif des biens communs en devenir, on pourrait imaginer que la fameuse Commission consultative des services publics locaux (CCSPL), qui se prononce sur le mode de gestion entre public et le privé, pourrait devenir une Commission des usagers du service public de l’eau. Au lieu de se prononcer uniquement en avis consultatif, celle-ci pourrait comme à Naples contrôler que le service public de l’eau, géré par le public ou le privé, réponde effectivement à un besoin des citoyens. ContributionLe droit français connaît depuis très longtemps la notion de collaborateurs occasionnels du service public, qui permet à un citoyen de se voir considérer a posteriori comme agent public. Quand bien même ce citoyen n’aurait pas été fonctionnaire ou rémunéré, il aura contribué à l’exercice d’un intérêt général et sera reconnu par l’administration comme grâce à cette notion de collaboration occasionnels. C’est le cas des sauveteurs en mer par exemple. C’est une jurisprudence qui est parfois mal interprétée certains hommes politiques, qui confondent le statut d’usager collaborateur occasionnel avec celui d’agent. Cette confusion resurgit actuellement au travers l’exemple des mères voilées dans le cadre de l’accompagnement scolaire. Les mères sont des usagers, c’est pourquoi les règles de neutralité du service public ne s’appliquent pas à ces femmes. Un usager n’est pas soumis à la neutralité du service public, alors que les agents le sont. De plus en plus de services publics vont devenir contributifs pour répondre à un intérêt général. Que cela concerne des enjeux de solidarité entre générations, des services comme l’application Sauv Life mise en face à Paris, ou encore un réseau de covoiturage entre citoyens d’une même commune, comme aux Molières dans l’Essonne.
La République française a consacré la souveraineté des élus. En France, un conseil municipal ne peut pas être contraint, même s’il décide de faire une délibération. On a vu un exemple de cette situation de souveraineté dernièrement à Grenoble, où s’est engagé une forme de référendum d’initiative citoyenne à partir d’un droit de pétition citoyenne. En effet, le conseil municipal ne se saisissant pas de telle question alors que celle-ci représentait 10% du collège électoral, la ville et le maire s’est engagé à faire un référendum local. Mais le Tribunal administratif de Grenoble l’a rejeté. Pour autant, on peut imaginer d’autres dispositifs, comme c’est le cas dans certaines communes. Par exemple, s’est mis en place aux Molières une Constitution de ville. (Voir aussi ici) Cette constitution est un engagement moral des élus. Si des hommes politiques, des élus d’administration, des dirigeants décident de mettre en place ce type de dispositifs, l’imprégnation de la classe politique va se faire progressivement, jusqu’à arriver au Parlement qui votera des lois pour faire en sorte que les citoyens puissent avoir avis délibératif , et non plus uniquement consultatif. C’est une forme de participation à une redéfinition du service public en commun.
Dans le cadre du socialisme municipal, la définition des règles a été rendue possible grâce à la redéfinition service public par Léon Duguit et Maurice Hauriou deux grands théoriciens du droit public français au début du XXème siècle sur la notion du service public. Le débat entre ces deux écoles de pensée a permis à un conseiller d’État et à des hommes politiques de définir ensemble des règles juridiques sur le service public. Et en effet, concernant ce dernier point, le service public industriel et commercial, par exemple, n’existe que parce que les administrations ont décidé de faire des boucheries municipales. Rien n’était prévu par la loi pour dire que les communes pouvaient gérer les boucheries. C’est l’innovation administrative pratique et sur le terrain qui a forcé le juge à définir ces règles. Le droit administratif des biens communs doit s’inscrire dans cette mouvance. Le droit administratif des biens communs doit être capable, à partir de sa doctrine, d’expérimenter des cas pratiques. Il faut prendre le risque de contentieux, sur lesquels le Conseil d’État tranchera. À partir de cette nouvelle jurisprudence, les juristes trouveront de nouveaux outils pour contourner les potentielles interdictions et atteindre les mêmes objectifs, en s’appuyant sur d’autre fondement juridique. C’est par ce mécanisme qu’évolue la loi, qu’évoluent les règles.
Ce service public doit toujours être à la satisfaction de l’usager. Le citoyen doit être satisfait et conscient de son rôle à jouer dans la fabrique du service public, par le vote mais aussi par une action.
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