Violaine Hacker
Entretien avec Violaine Hacker enregistré le 20 octobre 2014 à La Paillasse. Paris. Violaine Hacker. PortraitCela fait près de 15 ans que je travaille sur les biens communs et la relation avec le bien commun, qui est une philosophie et une méthodologie. J’ai commencé à aborder ces enjeux pendant mes études, en faisant du droit et des sciences politiques, ce qui m’a permis d’avoir une large palette de compétences théoriques sur la gouvernance des communs. Après mes études, je me suis spécialisée dans les politiques publiques au niveau international et européen. Je me suis beaucoup intéressée à l’Union européenne et au lien entre l’identité politique et la prise de décision. J’ai travaillé à Bruxelles, puis à l’université et dans des centres de recherche. Puis, j’ai eu envie de travailler de manière plus concrète, sur le terrain. Aussi, depuis 2009, je travaille également comme consultante sur les biens communs, et principalement sur les questions de santé, à l’aune de l’éducation, de l’environnement et des savoirs. Ce que j’ai beaucoup aimé dans mon expérience, c’est d’allier le droit et construction de ces mécanismes juridiques. Je m’intéresse à la manière dont les personnes s’épanouissent dans les communautés. En France, on accorde une grande importance à l’intérêt général, qui dépend beaucoup de l’État. Dans cette perspective, je trouve intéressant d’étudier la notion de bien commun, une philosophie qui date d’Aristote et s’intéresse aux capacités des personnes de s’insérer dans la communauté et de promouvoir leurs valeurs. Et de facto, en s’intéressant au bien commun, on s’intéresse au processus qui permet de définir ce consensus et cet intérêt général. Common Good ForumJe travaille en tant que consultante sur les biens communs, mais je travaille aussi dans le cadre de Common Good Forum. Earth CharterLa Charte de la Terre a été initié en 1994, par Mikhaïl Gorbatchev et Maurice Strong avec pour volonté de travailler sur le développement durable au niveau mondial. Malgré la complexité d’un processus qui se donnait pour intention de réunir autour d’une même table des acteurs aux orientations très divergentes, l’ensemble de ces parties prenantes ont travaillé ensemble pour définir cette charte comportant 15 principes éthiques. Ce sont de grandes lignes de travail, qu’il faut différencier de principes moraux. Par ailleurs, cette charte a pour qualité de ne pas être un texte complètement abstrait et de révéler un consensus au niveau global. À l’heure d’aujourd’hui, le travail qui s’inscrit dans la continuité de cette charte consiste à s’intéresser au rapport entre le global et le local, que l’on appelle le glocal. Il s’agit de voir comment, à partir d’un consensus qui a été trouvé au niveau global, on peut mettre en œuvre des applications au niveau local, dans un large spectre de domaines comme l’éducation ou le business. Une des principales qualités de ce texte réside dans sa flexibilité, car celui-ci n’impose pas de grands principes descendants et rigides mais propose plutôt un questionnement et engage une réflexion. Prenant acte de l’état de globalisation du monde, il s’agit de s’interroger sur des méthodes pour gérer des ressources en tenant compte de la diversité des systèmes de pensée, pour gérer éventuellement la conflictualité. C’est ce que Elinor Ostrom et le néo-institutionnalisme étudient : comment prendre des décisions en tenant compte de situations données, de temporalités, de cultures et d’histoires singulières. Économie hétérodoxeL’économie orthodoxe est un système de pensée qui, notamment, marque fortement la culture américaine, avec pour principes dominants l’usage de l’économétrie, les statistiques. Cela se matérialise concrètement, par exemple, par des programmes élaborés par la Banque Mondiale en direction des pays en voie de développement. Son fonctionnement s’élabore dans un premier temps par le montage de dossiers très sophistiqués, basés sur la statistique et l’économétrie, puis par un travail mené localement par des experts.
On parle beaucoup, par exemple, de smart cities dans le cadre de politique de la ville. Ces systèmes d’action consistent à tout mesurer et à faire des politiques basées sur la ressource (les politiques énergétiques, les politiques en faveur de l’environnement, le numérique à tout va) C’est peut-être une preuve de développement, mais j’en doute. Je parlerais plutôt de ville sensible tenant compte de l’humain, du désir et des citoyens. Dans les communautés, on ne parle même plus de citoyens, on parle de personnes.
Ce sont ce que j’appelle des chemins de dépendance. On peut d’ailleurs faire une analogie avec la vision marxiste, pas sur le plan politique mais sur le plan de la structure. En terme de méthodologie, Karl Marx se focalise beaucoup sur la structure et l’infrastructure, et considère concrètement que l’industrie va être favorable à l’épanouissement personnel des citoyens. Cependant, les aspects culturels, spirituels, émotionnels ne sont pas pris en compte et confère une vision incomplète de l’économie. Des théories de la pensée des biens communs, et le travail d’Emmanuel Mounier par exemple, s’intéresse à la question de l’épanouissement personnel de l’individu dans la communauté et à la gestion des contradictions. Ces pistes de travail me paraissent davantage satisfaisantes. Temporalité
Les ressources, que ce soit les savoirs ou l’environnement, ne seront pas analyser à un point T, mais dans une vision dynamique, prenant en compte le passé et les réflexions sur les manières de penser l’avenir. Concrètement, ce point de vue amène à penser les communs d’une autre façon, en parlant notamment de la création et de transmission.
ContradictionDe la critique de l’économie orthodoxe et de cette vision statique des communs aboutit une réflexion sur les notions de diversité et de contradiction.
Prenons l’exemple de l’étude réalisée par l’Université Catholique de Paris et Vivendi (c’est un partenariat public/privé) à Loos-en-Gohelle, ville du Nord-Pas-de-Calais. Cette ville minière, qui était autrefois en situation en déshérence, est aujourd’hui un véritable lieu de créativité et d’innovation, notamment en ce qui concerne le green business. À Loos-en-Gohelle se mettent en œuvre de très nombreuses réunions de concertation, et c’est formidable, parce que les citoyens peuvent s’exprimer. Sauf que si l’on s’arrête à cette démocratie participative, alors on oublie les contradictions. Personne et communautéÀ propos des méthodes d’analyse des communs, je m’appuierais sur Emmanuel Mounier ou d’Aristote, dont le travail porte sur les personnes, leur épanouissement dans les communautés, et le rôle qu’elles vont se donner.
Gouvernance polycentriqueIl y a différents prismes pour analyser les communs. Ce que j’aime dans Common Good Forum, c’est rassembler praticiens et militants, que l’on appelle les commoners, engagés en fonction de certaines valeurs, et les mettre en confrontation avec des intellectuels. Je pense que c’est un travail à mener actuellement sur la question de la gouvernance des communs. Manifeste convivialisteLe Manifeste convivialiste est un texte français, proposé par un collectif de praticiens et d’intellectuels engagés dans un collectif ou centre de recherche qui s’appelle le MAUS, Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales. L’anti-utilitarisme est à la fois une vision et une manière d’étudier l’économie. Il s’agit de ne pas considérer que l’individu est rationnel et isolé, il n’est pas un Homo œconomicus, mais plutôt de tenir compte des aspects culturels, non mesurables et prenant en compte un certain nombre de facteurs explicité dans la pensée de l’économie hétérodoxe. Chartes socialesLes chartes sociales consistent en le rassemblement de parties prenantes, à la manière de la soft law, c’est-à-dire la loi douce. Comme l’AFNOR qui fait des normes NF. Au niveau global on parle plutôt d’ISO. Charte de la compassionEn France, le terme compassion renvoie à quelque chose de spirituel voire de religieux. Aussi, dans le contexte laïc, il peut paraître étrange ou tabou de parler de compassion. La charte permet de poser une certain nombre de questions. Par exemple dans le secteur business, la charte pose la question de la compassion dans le monde de l’entreprise. Comment fait-on pour vivre ensemble ? De plus en plus, les entreprises mènent des programmes de collaboration, pour développer le bien-être, la qualité de travail et d’innovation. Cela concerne un peu tout ce qui est « co » c’est-à-dire le collaboratif ou le co-working. Les gens n’ont plus envie de travailler en indépendants chez eux. Les tiers-lieux permettent de se retrouver avec d’autres personnes. Un individu n’est jamais isolé socialement. Il a besoin de l’autre pour évoluer. Soft LawJ’aime bien la Soft Law, que l’on va retrouver au niveau international avec l’ISO, qui me paraît être un mécanisme assez intéressant. LabelsJ’aime bien également au niveau privé la notion de label, sur laquelle j’ai pas mal travaillé. Il s’agit d’établir des labels qui signifient que les actions répondent à un cahier des charges définis par des organismes mondiaux, comme les labels définis par l’OMS dans le secteur de la santé par exemple. Des ONG définissent ces labels et mettent en place des programmes en fonction d’une forme de charte éthique.
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