Entretien avec Bruno Carballa, doctorant en économie à l’Université Paris-XIII sous la direction de Benjamin Coriat, enregistré à Paris le 04 avril 2016.
Pour définir les communs, je reprendrais plutôt la définition de Benjamin Coriat. C’est une définition en triptyque selon laquelle les communs sont une communauté, une ressource et une gouvernance autour de la ressource.
Les communs sont une forme de gestion des ressources dans laquelle une communauté s’engage à un partage sous la forme d’une propriété non exclusive.
C’est la communauté qui gouverne la ressource et crée les règles de gouvernance. À mon avis, ce qui distingue le plus les communs notamment dans le champ de l’économie, c’est cette dimension de propriété non exclusive.
La propriété de la ressource n’implique pas d’avoir tous les droits sur la ressource.
On peut être propriétaire ou co-propriétaire d’un ressource sans avoir tous les droits qui lui sont associés. Par exemple, on peut avoir le droit d’usage d’une ressource sans en avoir le droit de vente.
Ce qui distingue les communs, par rapport à d’autres formes de propriété partagée, c’est la gouvernance collective sur la ressource et cette idée de faisceau de droits. Mais on peut s’intéresser aux communs sous plusieurs optiques.
Dans mon optique d’économiste, je m’intéresse à la forme organisationnelle de la production.
Mais on peut regarder les communs d’un point de vue plus politiques ou activistes, en mettant la communauté au centre des enjeux des communs.
J’ai commencé à m’intéresser aux communs à partir de la question de l’économie collaborative, notamment lors d’un stage que j’ai eu l’occasion de faire à la MAIF en partenariat avec l’Université Paris-XIII et Les Rencontres du Mont-Blanc.
L’enjeu de ce stage était de produire un mémoire sur les liens entre communs, économie collaborative et mutualisme en France.
À partir de là, je me suis intéressé à la fois à l’économie collaborative et aux communs.
Dans l’économie collaborative, on peut identifier un grand nombre d’enjeux liés aux communs.
Le secteur de l’économie collaborative permet notamment d’observer comment de nouvelles formes d’organisation de la production, marchandes ou non, peuvent soit basculer dans le capitalisme privatif soit dans des pratiques libératives qui relèvent du commun.
Pour un chercheur, c’est peut-être un bon cas d’étude pour rendre compte des dynamiques en jeu et pour penser les politiques qui peuvent aider au développement des communs.
Les communs m’ont permis de repenser mon projet de thèse sur les théories de la concurrence et le pouvoir de marché. J’ai commencé à développer le lien entre communs et concurrence.
En économie industrielle, les différentes approches théoriques de la concurrence et de ses définitions sont largement discutées. Les recherches en économie portent également beaucoup sur la politique de la concurrence, en suivant l’hypothèse selon laquelle la concurrence est la forme la plus adaptée pour gérer une ressource, et celle qui bénéficie le plus au consommateur.
Il m’intéressait de repenser la concurrence au prisme des communs.
Je me suis rendu compte que, même avant le capitalisme, existait d’autres formes de gestion des ressources.
Aujourd’hui, dans le capitalisme moderne, il est intéressant de regarder comment fonctionnent les communs, en tant que mode de gestion alternative.
Aussi j’ai entrepris d’étudier la manière de repenser, dans le champs de l’économie, des formes de gestion des biens qui ne passent pas que par la concurrence.
Cet axe de recherche ouvre pour moi un travail conséquent autour sur les définitions théoriques et les politiques préconisées. Cela ouvre de nombreuses questions à propos des outils qui permettent de développer les communs.
Il s’agit, en synthèse, d’étudier du point de vue de l’économie comment l’on peut favoriser les communs.
La question centrale de ma thèse est celle du pouvoir. Si ma recherche concerne plus précisément le champ de l’économie, de la concurrence et du pouvoir de marché, je pense qu’elle interroge la question du pouvoir en général.
Le pouvoir de marché est le pouvoir qu’une entreprise a sur une autre entreprise, en fixant des conditions, des prix, ou des quantités à produire, et en influençant d’une façon ou d’une autre son comportement.
Les communs sont une forme de lutte contre le pouvoir de marché.
On voit que les plateformes qui ont accès à une ressource comme les données en grande quantité ont un pouvoir de marché important, justement, du fait qu’elles sont les seules à détenir cette grande quantité de données.
Mon approche par les communs a pour objectif de détruire ou de diminuer fortement le marché ou plus précisément les entreprises privatistes qui fonctionnement sur une logique de pure concurrence.
Les communs en général amènent la potentialité de repenser la notion de pouvoir.
Évidemment, les communs n’éliminent pas le pouvoir comme forme de gestion de société, mais peuvent permettre de le redistribuer dans les communautés.
Les communs permettent d’envisagé le pouvoir de manière beaucoup plus décentralisé, engagé et conscient.
C’est pour cela que les communs intéressent également beaucoup les politologues.
Politiques du commoning est un terme que je soumets pour cette interview. Je traduirais d’abord le terme anglais commoning par l’idée de « faire du commun ».
Je pense que la prochaine étape pour les communs, pour les chercheurs de manière très interdisciplinaires (économistes, juristes, etc) mais aussi pour les activistes, sera de penser aux politiques du commoning. Il s’agira d’interroger le rôle de l’État dans la protection et le développement des communs.
Mon opinion est que l’État est un allier indispensable pour les communs. Par exemple, dans ma proposition sur les données, sans un État capable de prendre en charge les nouvelles règles sur la propriété intellectuelle, en collaborant avec les communs, il sera impossible d’avancer.
L’État a un rôle majeur à jouer avec les communs. Ce n’est pas parce que les communs impliquent une communauté engagée qu’ils ne passent pas par l’État.
L’État ne doit pas juste laisser la place aux communs, mais faire des communs un allier.
Il faut repenser là où l’État intervient dans l’économie, à la fois en laissant la place aux citoyens, mais aussi en les appuyant en terme de ressources, d’infrastructures et en faisant des politiques publiques adaptées.
Un champ de recherche intéressant, dans tous les domaines, serait de penser les nouvelles compétences dont l’État aurait besoin.
Plus précisément, et d’un point de vue pratique, si l’on veut voir demain les communs prendre un rôle hégémonique au sein d’un processus historique, il faut que l’État construise une bureaucratie consciente de la question des communs et capable de la distinguer des questions de politiques publiques.
Un des grand défi politique et académique réside donc dans notre capacité à penser comment un État peut se donner les moyens de développer les communs en repensant son rôle. D’un point de vue d’économiste, cela impliquerait que ces politiques publiques du commoning échapperaient à la politique de la concurrence.
Penser des politiques publiques du commoning ouvrirait un nouveau cap, au-delà de la politique de la concurrence perçue comme unique manière de produire des biens avec efficience et au bénéfice du consommateur.
En tout cas, tout ce qui relève des communs pourrait facilement être anti-concurrentiel. Si l’on veut voir l’État actif pour les communs, il faut véritablement révolutionner la conception que l’on a de la politique de la concurrence et lui faire une place à côté de cette politique publique du commoning, sans que celles-ci ne rentrent en conflit.
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