Guillaume Coti

Entretien avec Guillaume Coti, coordinateur du Collectif Pouvoir d’Agir, réunissant des associations de professionnels et des personnes œuvrant pour le pouvoir d’agir des citoyens dans les territoires populaires urbains et ruraux. Enregistré le 25 mai 2016 à Montreuil.

Guillaume Coti. Portrait

Je m’appelle Guillaume Coti et suis actuellement coordinateur du Collectif Pouvoir d’Agir.

J’ai toujours travaillé dans le domaine de l’animation socio-culturelle, de l’éducation populaire et du travail social. J’ai commencé en étant animateur de centre de vacances et de loisirs, un travail qui était pour moi un peu alimentaire au départ.
Finalement, cela m’a beaucoup plus. J’ai trouvé que ce travail était plutôt gratifiant car j’avais l’impression d’être utile et d’apporter des choses aux enfants avec qui je travaillais. Je sentais notamment, au travers la relation qui était tissée, la possibilité d’apporter des éléments de réflexion et de construction d’un esprit critique, au-delà du loisir. Je sentais la possibilité de développer un début de processus d’émancipation pour les enfants et les jeunes.

Ce que je ressentais un peu intuitivement, j’ai pu le confirmer en entrant en formation. Et notamment via une formation en éducation populaire où j’ai pu, moi qui m’était arrêté en terminal et n’avais pas un parcours scolaire très abouti, découvrir des notions que je ne connaissais pas ou peu. J’ai notamment étudié la sociologie, l’histoire des mouvements sociaux et de l’éducation populaire. Cela m’a donné encore plus envie de faire ce métier et de continuer à me professionnaliser.

À l’issu de ce diplôme, j’ai pu travailler dans différents environnements. D’abord, dans une école en tant qu’assistant d’éducation. Puis dans une association de proximité particulièrement axée sur les questions de mal logement, de soutien aux migrants et aux sans-papiers.

J’ai également pu travailler au sein d’une association de quartier qui faisait du soutien à la scolarité et mettait en place un ensemble d’activités différentes avec une focale importante sur la culture. Travailler dans cette association m’a beaucoup apporté sur le plan de la culture – au sens très large du terme – c’est-à-dire du point de vue des us et coutumes, des modes de vie et des façons de parler, mais aussi du point de vue des pratiques artistiques : utiliser la pratique artistique pour tous, comme un moyen d’agir sur le social et de transmettre des messages.
De ces pratiques émerge la volonté de ne pas dissocier l’action sociale de l’action culturelle en considérant que celles-ci ne peuvent être cloisonnées et font partie d’un même ensemble. Cela sert aussi aux individus dans les moments où ils sont dans des situations difficiles.

Ensuite, j’ai travaillé pour la Ligue de l’enseignement sur les ateliers relais. Ce sont des ateliers de scolarisation alternative pour des jeunes en décrochage du système scolaire, ou sujets à l’absentéisme dès l’âge de 12 ou 13 ans. Je travaillais à Saint-Denis. C’était assez difficile mais intéressant.

J’ai travaillé aussi pour les CEMEA (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active), et notamment avec des jeunes qui sortaient de prison, ou étaient suivis par la Protection judiciaire de la Jeunesse (PJJ) pour des faits de délinquance ou de placements familiaux; Il s’agissait de les aider sur des dynamiques d’insertion, et notamment au travers des formations aux métiers de l’animation pour ceux qui avaient envie d’aller vers cette voie-là.

Enfin, j’ai été directeur adjoint d’une MJC à Bourg la Reine. Cela a été un passage assez bref.
Rapidement, j’ai pris la direction du centre social J2P dans le 10ème arrondissement. J2P était une association de proximité, dans laquelle j’avais déjà travaillé, qui s’est transformée en centre social. J’en ai été le directeur pendant 5 ans, avant de prendre la coordination du Collectif Pouvoir d’agir.

Pouvoir d’agir

Le Collectif Pouvoir d’agir est un collectif informel né en 2010 du fait de quelques militants associatifs qui défendaient, depuis longtemps, la question de la démocratie locale et de la participation des habitants. Ces militants étaient issus des mouvements constitués autour du développement social local, de l’éducation populaire, du social en lui-même, et du secteur médico-social.

Avec ces militants, nous souhaitions nous réunir afin d’alerter sur la situation que nous vivions et d’appeler à un changement de regard et de pratiques pour les acteurs qui travaillaient avec les personnes en situation de précarité.

L’initiative est née, notamment, suite à une lettre ouverte de Claude Dilain, qui était à l’époque le Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Cette lettre, qui s’intitulait Lettre ouverte à ceux qui ignorent les banlieues, tirait la sonnette d’alarme quant territoires de banlieue, et évoquait notamment les échecs de la Politique de la Ville depuis 30 ans, ses faibles résultats visibles et tangibles malgré ses nombreux dispositifs.

En réponse à cette lettre, ces quelques militants ont décidé de lancer un appel, axé sur la nécessité d’un changement de regard sur les personnes qui habitent les quartiers populaires et les territoires en général. Il s’agissait de démontrer que les territoires et et les banlieues n’étaient pas que des lieux de carences et de difficultés, mais aussi des endroits riches de ressources, de potentiels, de créativité. Des lieux capables de finesse d’analyse quant à leur propre situation, des lieux dotés d’expertise d’usage et d’expertise d’expérience. Il s’agissait de soutenir l’idée de s’appuyer davantage sur cette expertise et sur les initiatives de ces personnes, de les considérer comme des sujets capables de transformer les situations d’inégalités, d’injustice et de discrimination en général.

Pour formuler cet appel, les militants du Collectif Pouvoir d’agir ont mobilisé le concept d’empowerment, venu des États-Unis et théorisé au début du 20ème siècle. Ce concept, que l’on retrouve notamment au sein des mouvements féministes et des mouvements de lutte pour les droits civiques aux États-Unis, permet de décrire des situations où des personnes, qui n’ont pas ou peu de pouvoir d’agir, commencent à le développer, le renforcer, et trouve la possibilité de l’exercer.

Manifeste en main, les militants du Collectif Pouvoir d’agir sont allés voir plusieurs grands réseaux associatifs, en les interpellant sur leurs pratiques. Il ne s’agissait pas d’une interpellation violente, mais plutôt une proposition de réflexion collective.

Une quinzaine de réseaux associatifs ont répondu positivement, dont la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF), le Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS), l’Union nationale des missions locales (UNML), le Comité national de liaison des régies de quartier (CNLRQ), ATD (Agir Tous pour la Dignité) Quart Monde et d’autres acteurs spécialisés et professionnels de la Politique de la Ville.
Chacun de ses acteurs avait sa place dans les quartiers populaires, et chacun sentait bien qu’il y avait des problématiques sur lesquelles œuvrer concernant la participation des personnes, la façon dont étaient construits les dispositifs et concernant les résultats des actions sociales, socio-culturelles et de développement social local.

Le démarrage du collectif a donc consisté à essayer d’informer les acteurs sur des façons de faire différentes, axées notamment sur le potentiel des gens et sur leur capacité à agir.
Progressivement, le collectif a organisé des événements et des présentations d’initiatives à l’étranger, comme le community organizing ou community développement aux États-Unis. Des réunions d’acteurs se sont construites en vue de créer un espace de mise en réseau et d’échange entre militants, collectifs d’habitants, etc.
Puis le collectif a développé un certain nombre de projets, dirigés sur quelques axes :
soutenir les mobilisations citoyennes et l’engagement. Il s’agit moins d’être aux cotés de chaque initiative citoyenne – parce que cela serait trop compliqué – que de les mettre en valeur en leur donnant de l’écho, en ajoutant de l’analyse, en lançant des programmes de croisement d’expériences, en faisant se rencontrer différents sites et en les faisant échanger sur leurs méthodes et leurs résultats. Il s’agit d’essayer de donner de la visibilité à ces initiatives qui permettent de voir que tout n’est pas perdu et qu’il y a encore des choses à faire malgré une ambiance de résignation et de fatalisme assez présente.
diffuser des méthodes, des outils, des approches, des regards
convaincre des gens qui sont en position de décideurs, des institutionnels, des élus, des fonctionnaires

Community organizing

Depuis plusieurs années, nous constatons un désengagement progressif de l’État. Cela se révèle assez problématique pour pas mal de personnes, ne serait-ce que concernant l’accès aux droits.

En tant que directeur de centre social, j’ai remarqué au cours de mon expérience un afflux de personnes s’adresser à nous concernant tout ce qui relève de l’administratif, de la gestion de papiers. Ces demandes font état de difficultés à pouvoir prendre des rendez-vous en Préfecture et plus largement de difficultés d’accès à des institutions où internet et la dématérialisation se sont imposés et où il n’est plus possible d’avoir recours à un accueil téléphonique.

Les transformations de l’action publique induisent pour un grand nombre de personnes le besoin, de plus en plus fréquent, de recours à un tiers pour faire valoir leurs droits ou pouvoir y accéder. Les démarches deviennent de plus en plus techniques, et les services de plus en plus difficiles d’accès. C’est un premier constat.

Et du coup, les acteurs comme les centres sociaux ou les écrivains publics se retrouvent surchargés, avec des files d’attentes énormes.

Le second constat est qu’au sein de l’action sociale et de l’animation socio-culturelle, bien que nous ayons un rôle et une utilité, nous n’avons pas l’impression de contribuer à des transformations sociales collectives.

Si, parfois, nous parvenons à remettre des individus sur la piste, nous sommes globalement face à un sentiment d’échec des interventions, un sentiment de répétition et finalement d’augmentation des problématiques qui relèvent de cette question sociale.

Nous sentons bien que les acteurs associatifs, à eux-seuls, ne peuvent pas avoir toutes les réponses.

Alors, lorsque le Collectif Pouvoir d’agir porte son regard sur des démarches comme celle du community organizing, c’est une manière de se dire qu’il y a encore des choses que nous n’avons pas essayé.

Nous n’avons pas essayé de réunir les citoyens. Nous ne leur avons pas donné les moyens de se regrouper et d’agir collectivement à partir de leurs analyses et des propositions qu’ils auraient envie de faire, sans attendre que cela vienne d’en haut, de la puissance publique.

Nous voyons que dans d’autres pays, comme en Angleterre, aux États-Unis ou dans d’autres pays, ces formes de mobilisations peuvent avoir des effets assez forts, ou en tout cas, permettent d’obtenir des victoires très concrètes et quotidiennes.

Même si cela ne transforme pas totalement le système et n’abat pas le capitalisme, cela permet tout de même à des gens, qui sont dans la difficulté, de relever la tête.
D’autre part, il faut noter la nette différence entre une démarche d’aide qui crée de la dépendance et une démarche de soutien pour pouvoir agir et trouver soi-même la solution face au problème, y compris en étant accompagné, en assumant d’avoir besoin d’accompagnement et de soutien. Il y a quelque chose de très différent qui se passe au niveau psychologique. C’est psychosocial : on s’est relevé, on a affronté les choses, on s’est affranchi de l’obstacle, et c’est aussi du coup une force pour les différentes situations que l’on va affronter dans l’avenir.

Par ailleurs, je trouve que le community organizing, tel qu’il se développe en France, se situe plutôt en position d’interpellation de la puissance publique, pour justement lui demander plus d’intervention de l’État qui est censé protéger les citoyens, plutôt que l’inverse.

Aussi, selon moi, c’est intéressant. Ce sont les citoyens qui viennent redire à l’État, à la puissance publique et la collectivité : « on a besoin que vous soyez là, et on a besoin que vous mettiez les règles parce que sinon c’est la loi de la jungle. »

Aussi, de mon point de vue, le community organizing et la revendication de plus de puissance publique ne sont pas antagonistes.
Aux États-Unis, il existe une multitude de formes très différentes de community organizing, et l’empowerment est un terme très courant aux acceptions très différentes, des plus radicales au plus néo-libérales.

Si aux États-Unis, il existe toute une nébuleuse d’acteurs différents qui œuvrent autour de la notion d’empowerment, en revanche, en France, seuls quelques acteurs ont commencé à s’emparer de la notion, avec le prisme d’une revendication de renforcement de la puissance publique.

Projets du Collectif Pouvoir d’agir

Séminaires du Pouvoir d’agir
Le premier projet du collectif a été un programme de croisement d’expériences bâti sur un ensemble de séminaires destinés à regrouper des acteurs venant de 6 sites différents répartis sur toute la France, de Grenoble, Poitiers, Lille du Plateau de Millevaches et d’Ile-de France également.
Ces acteurs avaient des statuts et des postures différentes, mais se réclamaient tous, à un moment ou à un autre, de ce développement du pouvoir d’agir des personnes.
Au travers ces séminaires, il s’agissait de développer l’interconnaissance et que chacun puisse aller puiser un peu chez l’autre des choses intéressantes, des analyses, ou tout simplement aussi confronter des visions et des approches politiques. L’enjeu est aussi de pouvoir dégager un certain nombre de constantes, mais aussi des singularités liées à un projet politique, des façons de faire différentes ou des conceptions des personnes et de la société qui peut être différente aussi.
Cela fait 3 ans que nous menons ce programme. Cette expérience permet de développer la dimension de réseau entre les différents acteurs, y compris ceux issus de sites très éloignés géographiquement.
L’autre objectif, sur notre 3ème année, est d’essayer, à partir de ce que l’on a pu faire acquérir comme savoirs, de les restituer et de les faire émerger, pour les personnes que cela pourrait intéresser, à travers des écrits mais aussi des vidéos et potentiellement un webdocumentaire qui mellerait ces formes et serait découpé en petites séquences par thématiques, comme par exemple : les postures qui favorisent l’engagement des autres, la question du partage du pouvoir, la confrontation, la rencontre avec les institutions. Tous ces sujets vont pouvoir traverser les politiciens qui sont aux prises avec ces questions de pouvoir d’agir comme les citoyens qui ont envie de se mobiliser et d’avoir plus de prises sur les situations qui les concernent.
La restitution se fera à l’automne, avec une diffusion dans notre réseau qui est vaste, mais aussi à destination du grand public et dans une nouvelle perspective d’ouverture de ce réseau.

Mille et un territoires
Si ce premier projet a marqué le démarrage du collectif, d’autres ce sont dessinés. Soit nous menons nous-même des projets en essayant de faire en sorte que ceux-ci profitent à tous, soit nous soutenons des projets menés par d’autres, des campagnes en cours, en s’y greffant et en y ajoutant des choses.
Cela a été le cas sur un chantier de recherche action qui s’appelait En associant les parents, tous les enfants peuvent réussir qui était initialement porté par plusieurs acteurs comme la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF), ATD Quart Monde, le réseau de Promotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs (PRISME), l’association Centre d’Echanges, de Recherches et d’Initiatives Sociales et Educatives (CERISE), et les professionnels de la politique de la Ville notamment.
Ces acteurs n’étaient que 5 ou 6 pour mener sur 15 sites en France un chantier de recherche-action pendant 5 ans. Étant très proches de ces acteurs, nous les avons rejoins pour les aider à capitaliser sur les résultats de cette démarche. Il n’est pas toujours évident de réussir à recentraliser la production avec des acteurs et des méthodes si différents.
De plus, il s’agissait de passer un cran supérieur en lançant à partir de ce chantier une mobilisation nationale. Nous avons amené au projet la vision d’une potentielle coalition collective de grands acteurs. Ces acteurs ont pour vocation à se réunir pour appuyer des démarches locales et créer des synergies entre le local et le national lors de temps de rencontre leur permettant de se renforcer, de partager des analyses et de mutualiser des démarches.
Aussi, depuis le début de l’année 2016, nous avons lancé un appel à mobilisation au sein d’une campagne nommée Mille et un territoires, qui invite parents et professionnels à se regrouper sur leur bassin scolaire et à échanger sur les difficultés rencontrées, les choses qui fonctionnent et comment cela pourrait mieux marcher. Cette mobilisation s’adresse en particulier aux parents qui sont les plus éloignés de l’école.
Au travers ce chantier de 5 ans, nous avons observé que, quand les parents sont investis et ont des interactions positives avec les professeurs, cette dynamique profite à tous, professeurs, parents, mais aussi aux jeunes. Chacun est plus en confiance dans une relation de qualité. Cela bénéficie aux apprentissage en général.
Aussi, nous appelons à amorcer une démarche de coéducation un peu partout, en nous mettant en soutien, en apportant de la formation, un regard et des outils qui viennent aussi du chantier précédent. Nous créons une dynamique nationale via notre communication, l’organisation de séminaires, en rencontrant le Ministère de l’Éducation Nationale, le Ministère de la Politique de la Ville et l’ensemble des interlocuteurs qui peuvent être intéressés par ces projets.
Cette démarche regroupant une vingtaine de réseaux associatifs est en cours, et plutôt bien entamée !

Conférences du pouvoir d’agir
Par ailleurs, nous organisons des événements de valorisation d’initiatives, comme les conférences du pouvoir d’agir. Des porteurs de projet viennent sur scène pendant 10 à 12 minutes pour présenter la façon dont il se sont attaqué à une difficulté rencontrée, ou pour réaliser une envie qui leur tient à cœur. L’idée clé de ces conférences réside dans le fait que ce sont des gens ordinaires qui les organisent, avec pour public des citoyens mais aussi des élus et des institutionnels, de sorte que ces derniers saisissent les potentialités qui s’offrent à eux sur leur territoire en terme d’action avec les citoyens. Encore une fois, ces événements sont aussi l’occasion de construire le réseau lors d’un temps plus convivial à la fin des conférences.

Parlement libre des jeunes
Enfin, j’évoquerai une dernière action, le Parlement libre des jeunes. Ce sont des temps organisés en local regroupant entre 60 et 80 jeunes pendant tout un week-end. À partir d’une première séquence où ces jeunes énumèrent tous leurs rêves et leurs colères, ils vont former des groupes de travail pour réfléchir à leurs constats sur la société, sur ce qu’ils vivent en matière d’éducation, de santé, d’emploi, de logement, de culture, etc. Puis, ils vont réfléchir à comment les choses pourraient changer, là où il y a des difficultés.
Ils conçoivent soit à des propositions qu’ils pourraient faire à des élus, soit à des projets qu’ils pourraient tout de suite mettre en place eux-même.
L’idée est de proposer à ces jeunes un temps pour s’extraire de leur vie quotidienne, pour qu’ils prennent le temps de réfléchir sur ce qu’ils vivent au quotidien. C’est une sorte de processus de conscientisation par rapport à la société : où suis-je ? Qui suis-je par rapport aux autres.
Ce projet permet aussi la rencontre de jeunes issus de milieux variés et de profils très différents : des diplômés comme des non-diplômés, des gens en errance, etc. Il s’agit de créer du dialogue et encore une fois du réseau pour que de nouveaux projets se montent.
C’est une démarche qui a été lancée par l’association AequitaZ, situé en région Rhône-Alpes, et qui fait parti du Collectif Pouvoir d’agir. AequitaZ a souhaité essaimer et nous avons suivi. Aujourd’hui, une dizaine de Parlements sont organisés en France depuis 2 ans et une rencontre va s’organiser en juin 2016 pour imaginer une coordination nationale et étudier comment ces différentes initiatives peuvent converger pour porter un message commun.

Au-delà de ces grands projets, nous organisons des voyages pour rentrer en interaction avec les initiatives étrangères, comme à Washington ou à New-York l’an passé. Nous organisons la publication de livres. Une collection Pouvoir d’agir vient de se lancer aux Éditions de l’Atelier. Enfin, nous travaillons à la formalisation du réseau pour que celui-ci devienne un vrai soutien aux acteurs.

Méthodes d’enpowerment à l’international

En 2015, nous avons organisé un voyage à Washington aux États-Unis pour aller participer à un congrès d’une coalition d’associations appelé National Community Reinvestment Coalition (NCRC).

Ce voyage, à l’initiative d’un des membres franco-américain du collectif Pouvoir d’agir. Il avait pour objectif de nous permettre de découvrir des pratiques qui se font aux États-Unis, et de déclencher des rencontres là-bas avec des acteurs développant un certain nombre de projets et d’actions.
Ces actions ont pour vocations de permettre aux citoyens d’essayer de retrouver un peu de pouvoir, par rapport aux banques notamment, et de faire marcher là-bas un droit d’interpellation des banques. Il s’agit de permettre aux citoyens de noter les banques sur leurs pratiques, et notamment sur l’obligation qui leur est faite de servir tous les territoires et toutes les populations de manière équitable, sans discrimination.

À l’époque, les gens qui ont proposé ce voyage étaient de jeunes responsables associatifs français et une chercheuse. Des gens impliqués dans les quartiers populaires à monter des associations, des professionnels et des volontaires militants dans des organisations. Moi, par exemple, j’étais à cette période directeur de centre social. Il y avait aussi un militant d’ATD Quart Monde.
Pour nous, l’idée était de voir aussi la dimension que cela peut prendre ailleurs. Alors d’en France, ce secteur reste encore très confidentiel, nous avons été reçu là-bas par une coalition qui représente 600 organisations aux États-Unis, avec une puissance de frappe assez importante et la capacité de mobiliser un certain nombre de sénateurs quand il faut faire du lobbying lors des journées qu’ils organisent pour cela.

Il était intéressant pour nous d’analyser comment cela se passe dans cette société là. Nous savons que c’est très différent de la France, où la question de l’engagement de l’État est complètement différente.

Nous avons observé qu’aux États-Unis, la société civile est assez bien organisée pour faire valoir ses droits et soutenir un certain nombre de revendications. On y voit des façons de s’organiser qui sont assez différentes, y compris du côté des syndicats qui sont beaucoup plus ancrés dans les pratiques de la société civile, dans ce qui concerne la vie quotidienne et pas seulement sur l’entreprise en elle-même.

Nous avons observés également des alliances entre des organisations communautaires et des syndicats, qu’ils appellent des community development corporation (CDC). Des entreprises de juristes et d’avocats se mettent au service des populations pour faire des plaidoyers. Ces alliances de divers acteurs pour faire avancer les questions sociales sont, selon nous, des stratégies assez intéressantes et puissantes.

Émancipation

Un des mots clés qui me guide, et que je pense trouver dans ces mouvements pour le développement du pouvoir d’agir des personnes, c’est l’émancipation.
Pour moi, cela représente tout le chemin que fait chaque être humain, chaque homme, chaque femme, pour devenir lui-même, et donc prendre conscience et s’affranchir d’un certain nombre de conditionnements qu’il a pu rencontrer. Les identifier, être conscient d’un certain nombre de conditionnement qu’il a reçu. Ce n’est pas forcément négatif.
Ces conditionnements qui viennent de son milieu social, de sa culture, de l’Histoire du pays dans lequel il se trouve, etc.
Je pense que nous avons tous ce chemin à faire, à la fois personnel et collectif. Il s’agit d’y voir clair sur le monde dans lequel on vit, sur ce que l’on est et comment on se situe par rapport aux autres. Ainsi, il s’agit progressivement d’essayer de s’affranchir des préjugés que l’on peut avoir et de résister aussi aux dominations quand elles sont présentes.

Je ne suis pas un intellectuel ou un penseur de l’émancipation, mais je suis attaché à cette notion en tant que mouvement d’une personne qui se met en capacité à être debout, à résister et à s’épanouir par rapport à ce qu’elle ressent de profond qui la fait vibrer, et qui lui permet d’être en relation avec les autres de manière harmonieuse.

Pouvoir d’agir

Cette expression entend traduire un seul mot, empowerment, est une traduction un peu bancale et difficile à comprendre par rapport à la clarté du terme anglo-saxon.
Ce terme me semble très intéressant dans la mesure où il décrit à la fois un processus et un état.
D’une part, ce processus d’acquisition et de renforcement de capacité et d’autre part, l’état dans lequel nous allons être en mesure de l’exercer.
Ce terme permet d’exprimer assez bien ce cheminement du personnel à l’interpersonnel jusqu’à l’organisationnel politique.
Et vraiment, cela débute par ce besoin d’avoir confiance en soi et en sa propre légitimité, de se sentir capable. Et nous avons besoin de cela pour pouvoir agir sur ce qui important pour nous, modifier et transformer des choses.
Cela se fait à la fois personnellement dans son parcours mais aussi dans l’interaction avec les autres, et dans l’interpersonnel.
Si j’ai peu confiance en moi, mais que je m’implique dans un collectif qui obtient une victoire, alors je me renforce personnellement en me disant que j’ai participé à cette victoire-là. Et peut-être que c’est moi qui emmènerai un collectif à un autre moment. Il a toujours ces allers-retours entre individu et société, individu et collectif, et ces deux chemins d’émancipation sont pour moi complètement liés.

Le pouvoir d’agir, pourquoi ? Pour arriver progressivement à une société plus juste, dans laquelle les intérêts des uns et des autres sont représentés pour la construction d’un bien commun.

Réflexion sur la statistique éthnique

J’ai vu fonctionner le community organizing aux États-Unis, et nous avons un certain nombre de données dans le cadre de la loi, qui est appliquée, qui permet aux citoyens d’interpeller les banques sur leurs pratiques. Des notes sont données par les citoyens. Et pour attribuer ces notes, ils s’appuient notamment sur un certain nombre de données qui sont produites par les banques.
Dans ces données, il y a effectivement de la statistique ethnique puisque la loi indique de servir tous les territoires de manière équitable et toutes les populations, et de ne pas discriminer certaines populations.
Aussi, ces données permettent de voir si les hispaniques, les asiatiques, les afro-américains sont plus ou moins visés par des discriminations. Ceci peut se révéler assez efficace.
Il existe un certain nombre de commerces, par exemple, pour lesquels les banquiers avaient beaucoup de mal à prêter. Là-bas, un entrepreneur témoignait qu’il était difficile pour les immigrés du Mexique de monter un business, à cause de difficultés administratives. Des flous juridiques leurs permettent plus ou moins de travailler. Et du coup, cet entrepreneur – qui pour sa part a monté une très grosse entreprise, un centre commercial proposant de l’artisanat mexicain – disait : « ce que l’on veut, c’est faire comprendre aux blancs que nous, mexicains, ne sommes pas dangereux, ni méchants, et que tout ce que nous voulons c’est travailler et pouvoir monter des commerces.
Aussi, je pense que la statistique ethnique, dans des cas comme celui-là, permet de faire ressortir des dysfonctionnements. Et là, il semblerait que cette statistique ait permis de mettre en relief ce genre de phénomène.

Pour ma part, je n’ai pas vraiment d’avis pour savoir si cela devrait être appliqué en France ou pas. Je pense que j’ai besoin de creuser encore les choses pour bien mesurer les tenants et les aboutissants.

Maintenant, il est vrai qu’en France il y a une difficulté à prouver la réalité de la discrimination.

S’il y a un peu de testing fait à l’entrée des boîtes de nuit, ou via le téléphone ou par rapport aux procédures de recrutement pour un emploi. Cependant, ces discriminations restent très difficiles à prouver et à contester. Du coup, ce que l’on voit arriver, étant donné une forme de politique de l’autruche sur ces sujets, les personnes qui se sentent discriminées, comme elles le disent elle-même racisées, c’est-à-dire réduites à leur apparence ethnique, commencent à s’organiser d’une manière différente que tout ce qui a été fait jusqu’à maintenant, en allant interpeller très fortement sur ces questions-là, et en se remettant à parler de race. Mais du coup, le propos n’est pas toujours bien compris, parce que l’on ne parle pas de races biologiques, mais de races sociales qui sont produites par les comportements des uns et des autres, et par la façon dont le système fonctionne.
Aussi, peut-être qu’à certains moments, certaines statistiques seraient utiles pour permettre de mettre à jour un certain nombre de situations de racisme ou de discrimination, ou des choses qui sont parfois un peu cachées.
Il me paraît en tout cas intéressant d’ouvrir le débat et de réfléchir aux implications que cela pourrait avoir.

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