Michel Coudroy
Entretien avec Michel Coudroy enregistré le 15 mars 2018 à Saint-Étienne, France. Assemblée des communs à Saint-ÉtiennePeut-on parler de Fabrique des communs à Saint-Étienne ? C’est peut-être un peu prématuré. En tout cas, nous avons tout de suite vu le lien entre le Collectif de la transition citoyenne, initiative née à Saint-Étienne il y a 4 ans, et l’intérêt de raisonner en termes de communs. La réflexion mûrit progressivement. Si, dès début 2015, le thème des communs avait été lancé comme sujet du groupe de travail, c’est l’année dernière que celui-ci a réellement émergé comme étant un sujet important. Il a été admis, notamment avec le passage du CTC42 en gouvernance partagée, que parmi les cultures communes que devraient partager les membres du CTC42, il y a cette initiation à cette façon de fonctionner sur les principes des communs. Le 14 janvier 2018, nous avons organisé à Saint-Étienne une première grande manifestation publique, et plus précisément une réunion / conférence / débat dans le cadre du partenariat du CTC42 avec le Cinéma Le Méliès. Celle-ci réunissait un certain nombre de personnes autour d’une initiation aux communs, sur la base d’un travail préparé par trois membres du collectif. Il ne s’agissait pas d’en rester là. C’est pourquoi nous avons fait une séance d’approfondissement fin février 2018. De cette réunion est ressorti le projet de travailler sur quatre thèmes :
Ces 4 groupes proposent donc différents axes de travail, dont certains – les plus concrets – peuvent démarrer immédiatement, alors que les autres démarreront sûrement dans un second temps. Pour construire cette démarche, le groupe se dote d’un rendez vous mensuel, tous les premiers samedi de chaque mois, de 10h à 12h. Il nous semble intéressant de nommer cette démarche Fabrique des communs parce que c’est effectivement une intention. Si nous n’avons pas toute l’architecture et toutes les recettes pour montrer des résultats aujourd’hui, nous pensons que c’est la bonne démarche, et nous espérons que ce nom ne sera pas usurpé. Michel Coudroy. PortraitJe m’appelle Michel Coudroy. Je suis, depuis quatre ans, à la retraite de la carrière de professeur de sciences économiques et sociales à Saint-Étienne. Je suis venu à mes activités associatives par divers engagements sur le plan de la critique économique. L’expression sciences économiques et sociales signifie le développement d’une approche en sciences sociales de l’économie. Cela amène de plain-pied dans le débat entre plusieurs conceptions de l’économie. Je me positionne plutôt du côté de l’économie critique, en ce sens que le marché a beaucoup de qualités mais aussi des limites.
Initié à l’approche à la fois économique et sociale de la monnaie et aux circuits monétaires et financiers, il me semblait que mettre tous les marchés sous la direction ou la gouvernance des marchés financiers méritait une une critique, parce que c’était faire un pari sur l’efficience des marchés qui n’avait pratiquement pas été fait, jusque là, à cette échelle. Alors que la mondialisation néolibérale s’affirmait de manière totalitaire sur la gouvernance des choses, la proposition d’Attac, qui consistait à taxer les transactions financières, m’a tout de suite paru un levier pertinent.
Faire systèmeL’association Attac s’est toujours présentée comme intéressée par l’agir local et le penser global. C’était donc une bonne raison que ces réseaux, Attac d’une part, et le Collectif de la transition citoyenne d’autre part, se rencontrent.
RéseauFonctionner autrement est d’abord nécessaire pour des raisons de limites environnementales. Mais aussi parce qu’il existe des opportunités. Pour organiser une société, du point de vue de l’économie, il faut de la coordination. Or les grandes solutions connues pour mettre en œuvre cette coordination ont été jusqu’à présent le marché et le plan.
Voilà comment, depuis une culture économique et sociale, j’en suis arrivé à m’intéresser aux communs et aux nouveaux communs, et à la question : est-ce que l’on peut s’en sortir ? Plateformisation
Dans un langage plus commun, on parle d’uberisation. C’est-à-dire l’idée que, parmi les possibilités ouvertes par les outils de coordination numérique, il existe la possibilité de mettre en relation directe, d’une part des gens qui produisent le même service, et d’autre part des utilisateurs de ces services. Ce mécanisme est intéressant parce que celui-ci permet de beaucoup mieux utiliser des ressources de toute nature, comme le temps ou les compétences disponibles. Cela peut permettre d’améliorer le confort de chacun par des échanges de services non monétaires. Mais nous vivons dans un monde où les idées doivent être lucratives, et où il y a eu, par ailleurs, des excès de création de liquidités – comme on dit en économie. Ces liquidités sont bien plus importantes que les richesses matérielles de plus en plus fragiles. C’est pourquoi, autour de toutes ces innovations, gravitent un tas de chasseurs de têtes, ou de business angels. Alors qu’émergent ces plateformes et outils numériques, ce sont les plus fédérateurs qui gagnent tout.
Ce qui a été compris par l’économie financière et privée, c’est que l’on pouvait faire, sur cette base, soit de l’économie de l’échange gratuit – mais cela ne l’intéresse pas – soit au contraire des startups devenant les endroits par lesquelles tous les autres se coordonnent. C’est évidemment un modèle qui est né autour des services à la mobilité comme Uber, des services de logement et autres. Cependant, quand on réfléchit un peu, on se rend compte que tous les producteurs et les artisans pourraient s’organiser sur ce modèle.
Il existe pourtant un ensemble de domaines où l’on pourrait concevoir des possibilités de mise en relation de proximité, qui ne demanderaient pas de rentabilité même et qui faciliteraient tout autant la vie, voire d’avantage. Ces plateformes utilisent des travailleurs qui ne sont même plus salariés, qui ont perdu leur statut. Il y a beaucoup à faire en terme d’encadrement de ces nouveaux phénomènes.
Tout ce qui se réfléchit à très grande échelle n’a pas un très grand avenir. Il faut tout repenser à l’échelle de la commune ou de la municipalité.
Ce phénomène de plateformisation est un enjeu important, mais n’est pas toujours perçu comme tel. Il y a à fois de l’éducation populaire à faire, et puis de la mise en œuvre. A-croissanceJe souhaiterais proposer le terme a-croissance, en référence au texte Bientôt il sera trop tard… Que faire à court et long terme ? dont la conclusion est :
Ce terme vient d’une plateforme signée par plusieurs mouvements sociaux, où les mouvements altermondialistes se rapprochent des acteurs de la décroissance. Les altermondialistes ont longtemps hésité concernant une contestation de type keynésienne, c’est-à-dire de baser la contestation sur le fait que le marché était moins efficace que des initiatives encadrées par des institutions. Faut-il conclure de cela que le marché fait des crises alors que quelque chose de plus encadré produit de la croissance et que le développement durable passe par ce processus ? Ou est-ce que, compte-tenu de notre rapport homme-nature, il faudrait davantage penser l’organisation des rapports sociaux en terme de coopération plutôt qu’en terme de compétition ? Cette réflexion a été longtemps posée, mais peut-être mal comprise par le mouvement de la décroissance, et aujourd’hui, il y a sans doute la possibilité de réfléchir à des modes d’organisation en réseau basés sur la gratuité et l’échange de service. Aussi, il semble possible de vivre tout aussi confortablement avec moins de circulation monétaire. Aussi, nous sommes dans une perspective où il ne s’agit pas directement de mettre en relation la montée du PIB et la montée de la pollution. Les interrogations sont beaucoup plus globales et diffuses. Nous nous plaçons donc à côté de la question de la croissance ou de la décroissance. Nous situons la question sur les modes d’organisation. Cela me semble intéressant car cela fait le lien entre plusieurs mouvements qui vont à l’essentiel aujourd’hui. |
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