Cyria Emelianoff
Entretien avec Cyria Emelianoff, Maîtresse de conférence en géographie et aménagement à l’Université du Maine (Gregum-Eso, Umr 6590 Cnrs), enregistré dans le cadre du laboratoire d’écologie pirate le 17 mars 2018. Laboratoire d’écologie pirateLe laboratoire d’écologie pirate est l’initiative de 4 amis, Denis, Étienne, Nathalie et moi-même, Cyria Emelianoff, qui avons eu en partie le même directeur de thèse, Jean-Paul Deléage. Nous avons participé pendant une dizaine, voire une quinzaine d’années, à la revue Écologie et Politique, dont notre directeur de thèse était un pilier. La ligne éditoriale, écosocialiste, nous a progressivement semblé un peu trop resserrée. Au fil des années, je sentais qu’il fallait aller ailleurs. Et les copains avaient le même diagnostic. Nous avons donc décidé de quitter la revue, et par conséquent de casser la relation implicite à notre directeur. Cette étape était douloureuse, et nous ne pouvions pas partir de la revue sans avoir un plan B, sans réfléchir un positionnement.
Il n’existe pas aujourd’hui de laboratoire d’écologie politique et il serait institutionnellement très compliqué d’en fonder un. En revanche, nous avions envie d’en constituer un hors les clous et des cadres institutionnels, libre et non dépendant d’institutions, de financements et de toutes ces choses qui pouvaient empêcher la réalisation de ce projet. Nous avons réfléchi, pendant à peu près deux ans, sur ce que pourrait être ce laboratoire. Mais avec très peu de temps disponible et des envies disproportionnées par rapport au temps que nous arrivions à libérer dans nos vies académiques classiques. Ici, à la Mhotte, c’est donc le troisième séminaire que nous mettons en œuvre, en ouvrant à chaque fois à des personnes différentes, par cooptation. Ces deux insatisfactions ont conduit à une rencontre dédiée au diagnostic et à la réflexion. Nous avons refait le monde, nous nous sommes positionnés par rapport à nos envies.
Il est apparu très tôt une réflexion sur le fait que nous avions envie de désenclaver les savoirs.
Savoirs situésJe tiens à l’écologie située, aux savoirs situés.
Par exemple, en terme de justice environnementale, il y a eu beaucoup de déni par rapport aux dégâts des pollutions sur les êtres humains, sur leur santé.
Le savoir situé est un savoir qui est adapté à un lieu, un environnement, une époque et qui s’articule avec d’autres savoirs en présence dans le même lieu. Cette forme de savoir peut être à même de repenser le mode d’habiter la terre à de multiples échelles.
Dans le cadre de ce séminaire d’écologie pirate, nous abordons ces savoirs situés avec un cas très concret, localisé et circonscrit à la Ferme de la Mhotte.
À la Ferme de la Mhotte par exemple, nous avons interviewé un éleveur qui a développé tout un savoir sur l’immunité de ses vaches et sur le principe de cohabitation avec le parasite. Depuis, cet éleveur a rejoint le laboratoire d’écologie pirate, vient à toutes les réunions et prend part aux actions, y compris à nos arbitrages sur le site internet Passé du statut d’enquêté au statut de membre du collectif, cet éleveur a trouvé dans le laboratoire pirate un espace de reconnaissance. Nous avons reconnu l’importance et la justesse de son témoignage. Capabilité collectiveL’écologie politique reste une grande interrogation. Nous tournons autour de ce mot-là parce qu’on ne sait plus penser l’écologie politique. Nous sommes insatisfaits par les manières de la penser dans les publications qui paraissent.
Mais ce laboratoire représente aussi l’espoir que nos impuissances individuelles pourraient être dépassées par une capacitation collective et des mises en réseau pour nous permettre de peser davantage et de refonder des bribes d’écologie politique situées, c’est-à-dire partagées avec des territoires. Nous sommes, la plupart d’entre nous, issu.e.s de formation en géographie. C’est pourquoi la dimension spatial demeure très importante pour nous, à la fois dans la rencontre réelle des gens mais aussi des espèces vivantes, mais aussi dans le fait que le collectif est, en soi, une capacitation spatiale. C’est dans la rencontre physique que nous pouvons nous encourager, échanger et avoir un dialogue qui va beaucoup plus loin que les rencontres et colloques auxquels nous sommes habitués dans le monde académique. Il s’agit d’être en résidence au même endroit pendant un temps long. Là naissent et se développent des échanges sur le fond qui vont très loin. Peut-être, à terme, des innovations ou des capacités d’action communes peuvent émerger. Pour développer ces capacités d’action communes, je pense que ce laboratoire pirate d’écologie, en tant que collectif, devra sans doute s’articuler à d’autres collectifs, comme par exemple La Myne à Lyon, ou des coopératives de recherche, pour échanger de l’énergie et trouver des modes d’action. Il y a énormément de questions pour lesquelles nous n’avons pas de réponse. Nous créons finalement un abîme de questions qui nous dépassent. Nous ne renonçons pas à nous les poser, même si celles-ci nous dépassent.
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