Olivier Jaspart

Olivier Jaspart est juriste en droit public au sein d’une collectivité territoriale et dédie une partie de ses travaux au droit administratif des biens communs, qu’il documente sur son blog République : pour quoi faire ? Entretien enregistré le 28 mars 2019 à Paris par Sylvia Fredriksson, Maelle Ferré et Benjamin Gentils.

Je m’appelle Olivier Jaspart. Je suis juriste dans une commune en Seine-Saint-Denis et je travaille à la découverte d’un droit administratif des biens communs.

Je suis venu aux communs par l’économie collaborative.

En 2015 s’est tenue la première édition du OuiShare Fest, un événement dédié à l’économie collaborative. Cette première édition, qui avait une dimension très francophone, mettait en avant l’économie du partage et interrogeait la manière dont on pouvait repenser l’allocation des ressources.
C’est dans ce contexte que j’ai, pour la première fois, rencontré la notion de communs, et plus précisément autour de la coopérative américaine qui allait devenir la Louve à Paris. La Louve est un supermarché coopératif où les consommateurs sont coproducteurs de l’entreprise. À partir de ce cas concret, je me suis demandé, en tant que juriste, comment ne pas requalifier ces pratiques en contrat de travail avec un lien de subordination

De fil en aiguille, je me suis intéressé à l’économie collaborative et je me suis aperçu qu’était sous-jacente la notion de communs, que j’ai découvert par l’ouvrage de Dardot et Laval intitulé Communs, un essai sur la révolution 21e siècle.

À partir de ces rencontres et de ces recherches, j’ai entrepris un travail de relecture des pratiques juridiques au prisme des communs.

J’étais encore assez jeune fonctionnaire. Je suis rentré dans la fonction publique en 2011, fraîchement titulaire d’un master 2. Je me souvenais que dans le code général des collectivités territoriales, il y avait disposition propre aux habitants, nommée les sections de commune. Je me suis intéressé à leur régime juridique et aux règles qui les définissent. Ce dispositif est hérité du Moyen-âge et des anciens communaux.
Je me suis alors aperçu qu’il existait, encore aujourd’hui, différents dispositifs qui devaient être des héritages des communs. Ceux-ci répondent à de mêmes obligations et à l’exercice de mêmes sujétions, c’est-à-dire une communauté d’usage, des règles et une gouvernance assez horizontale. Ce fonctionnement s’apparente aux mécanismes analysés par Elinor Ostrom.

J’ai décidé de coucher sur le papier mes observations et analyses et de les partager sur un blog, que j’ai appelé République : pour quoi faire ?

J’y publie cette recherche dans la catégorie droit administratif des biens communs et je suis, depuis bientôt 2 ans, activement dans une dynamique de partage de ces informations.

La découverte du CommonsCamp à Grenoble en août 2018 a constitué une étape importante de ma démarche. J’ai pu rencontrer plusieurs personnes à cette occasion, échanger notamment avec des agents communaux, et expliquer que l’on peut aujourd’hui en France utiliser un droit administratif des biens communs, que l’on se préoccupe communs urbains, informationnels ou environnementaux.

À cette occasion, j’ai aussi découvert qu’en Italie avait été mis en place des règlements d’administration partagée s’appuyant sur le principe de subsidiarité horizontale.

Le principe de subsidiarité horizontale permet à chaque citoyen de pouvoir s’adresser à l’administration en vue de prendre en charge l’exécution de certaines missions d’intérêt général, nommées en Italie des communs à la suite des réflexions de la Commission Rodotà et d’une longue histoire du droit italien.

J’ai alors entrepris un travail de transposition de ces mécanismes juridiques dans le droit français, que j’ai présenté à l’occasion de la Biennale de la Transition en mars 2019 à Grenoble. 
J’ai alors pu échanger avec des étudiants en droit en master 2 et approfondir les questions techniques et concrètes portant sur le droit administratif des biens communs.

Ces débats sont susceptibles d’intéresser les collectivités. Les problématiques liées aux frigos partagés, aux boîtes à livres, au Rezo Pouce et autres dynamiques de partage ou de mutualisation sont à la source du droit administratif des biens communs.
Ce sont des questions auxquelles les juristes territoriaux vont être de plus en plus confrontés. Il faut rester ouvert.

Enfin, j’ai pu montrer aux agents municipaux de Grenoble mon projet de Règlement d’administration mise en commun. C’est un projet qui est forcément perfectible. 

À terme, l’enjeu est de concevoir les outils juridiques qui permettront aux municipalités de définir et de mettre en place, comme en Italie, des pactes de collaboration permettant à chaque citoyen d’être acteur du service public.

Écrire les communs : le droit administratif des biens communs

Lors du CommonsCamp, j’ai découvert les travaux dédiés aux communs en Italie, notamment ceux de Gilda Farrell, membre du Conseil de l’Europe et de la Commission Rodotà en Italie et du cabinet Labsus, basés sur l’application du principe de subsidiarité horizontale qui permet aux villes comme Bologne de tisser des pactes de collaboration avec le citoyen.
Bologne est la première ville en Italie et en Europe à avoir défini un règlement général d’administration partagée.

Depuis la découverte de ces travaux, j’alimente une réflexion sur la capacité à transposer ce règlement d’administration partagée en droit français, et notamment avec les contraintes inhérentes au droit administratif français. Si ce type de règlement se déclinait en France, sous l’égide des administrations, il relèverait forcément, selon moi, du droit public.

J’ai rédigé, pour la Biennale de la Transition en mars 2019, un projet de règlement d’administration mise en commun. L’administration en France ne se partage pas, mais elle peut se mettre en commun. Les conseils municipaux sont souverains. On ne peut pas déléguer, mais on peut les mettre en commun.

Ce règlement d’administration mise en commun permet d’utiliser et de remobiliser le droit français, que l’on pratique au quotidien, en direction des communs. Je me suis appuyé sur des exemples très concrets, déjà appliqués dans des communes françaises, pour interroger la manière d’associer le citoyen à la réalisation de missions d’intérêt général et de faire en sorte que ce citoyen soit contributeur.

En Italie, ce processus est mis en œuvre par des pactes de collaboration. Dès lors que j’ai entrepris ce travail de transposition, plusieurs questions se sont posées.

Et tout d’abord, pour un publiciste en France, il est hors de question d’utiliser le terme de collaboration, qui renvoie à des périodes sombres de notre Histoire. Il faut donc trouver d’autres termes. À partir de là, plusieurs déclinaisons sont possibles, au travers l’agrément, le pacte d’engagement, et la délégation du commun.

L’agrément

En droit administratif, il existe déjà l’agrément. C’est un acte de décision créatrice de droits émis par l’administration, qui donne des prérogatives, c’est-à-dire un privilège à une personne, qu’elle soit physique ou morale. L’agrément peut être, par exemple, un permis de végétaliser ou l’inscription sur une plateforme électronique de covoiturage mise en place par l’administration. C’est la version la plus souple qu’il puisse exister : je me connecte, je remplis un formulaire, j’accepte les conditions générales d’utilisation et je suis agréé, c’est-à-dire membre de la communauté d’usage.

Du statut d’usager et utilisateur passif, je deviens contributeur parce que par mon action (le covoiturage ou la végétalisation de la rue), je vais contribuer à la valorisation d’un bien commun.

J’avais utilisé le terme de valorisation notamment par l’exemple de la commune de Brest qui a modifié son plan local d’urbanisme pour donner une subvention à deux propriétaires du même rue dans le cadre d’une opération de ravalement de façade. Le soutien de la ville de Brest, sans couvrir la totalité des frais de l’opération, a permis de débloquer l’action. Et petit à petit, la rue va être mise en valeur par effet d’entraînement. 
Dans ce cas de figure, le bien commun n’est pas la voirie, qui appartient à la commune de Brest, ni la maison, mais la rue, une chose qui n’appartient à personne mais qui est utilisée par tout le monde. Par conséquent, l’agrément va être donné par la commune de manière totalement souple et efficace et vise en une valorisation qui va permettre à chacun d’y trouver son compte. D’abord, le propriétaire va y trouver son compte, parce qu’il va vivre dans une rue plus agréable et que cette action peut même valoriser sa maison quand il va vouloir la vendre et en retirer une plus value. D’autre part, les services techniques, parce que les habitants vont davantage être responsabilisés vis-à-vis de l’entretien de la rue, même si l’administration demeure responsable de la voirie et du nettoyage urbain.

Chacun va être co-responsable de quelque chose qui est partagé par tout le monde. Ces petites formes de délégation vont permettre à chacun de se responsabiliser et de contribuer ensemble à l’amélioration de l’espace public. C’est ce que j’appelle l’agrément.

Le pacte d’engagement 

Ensuite, il y a le pacte d’engagement, plus proche du pacte de collaboration italien. Le pacte d’engagement est quelque chose défini en droit français, prévu par le code de la sécurité intérieure pour les réserves communales de sécurité civile

Ici, on retrouve une certaine dimension républicaine du droit français au travers la notion d’engagement citoyen. En France, la protection civile ne repose pratiquement que sur du volontariat. 70 % des pompiers sont volontaires. Ce qui signifie donc qu’ils ont un travail à côté de cette activité.

La sécurité civile en France repose sur la bonne volonté des citoyens. Je ne vois rien de plus puissant que la protection civile pour incarner l’idée de commun administratif .

Bien que l’on dise que la sécurité au quotidien est une compétence exclusive de l’État,  pourtant, chaque citoyen peut s’engager chez les pompiers, peut adhérer à la Croix-Rouge.
J’ai un immense respect pour les sauveteurs en mer de la SNSM. Cette association est constituée de marins pêcheurs et de plaisanciers, qui dès lors qu’il y a un appel, abandonnent tout et vont dans une mer déchaînée pour sauver des vies. Pourtant, ce ne sont que des citoyens

Il faut que notre société et notre système juridique reconnaisse, permette et valorise les actes d’engagement citoyen.

Dans mon travail juridique, j’utilise à dessein cette notion d’acte d’engagement parce qu’il est reconnu par le code de la sécurité intérieure, pourtant issu d’une pensée étatique, jacobine et sécuritaire.

Pour aller dans la direction d’une administration en commun, il est fondamental que les maires comprennent que l’on peut déléguer à un citoyen en tant que collaborateur permanent.

Ce collaborateur s’engage à mener une action au nom de l’intérêt général, que cela concerne un citoyen, plusieurs citoyens, ou tout un quartier. Un pacte peut être conclu, comme en Italie, avec une ou plusieurs personnes. Il peut exister des relations de réciprocité. Dès lors que l’administration veut jouer le jeu, elle est capable de faire.

La délégation du commun

Enfin, on peut envisager une délégation du commun. On rentre là vraiment dans une technicité particulière. 

Le Conseil d’État italien a rendu un avis sur les pactes de collaboration au regard du Droit de la concurrence européenne. Parce qu’effectivement, dans les anti-communs, nous avons créé un cadre juridique favorable au marché. Alors que créer un commun, cela veut dire déposséder le marché de certaines prérogatives. Par conséquent, comment faire en sorte qu’une réglementation nationale et supranationale soit respectée alors que l’on décide de rentrer un peu en rébellion ? Pour résoudre cette problématique, le conseil d’État Italien a sortir un grand arrêt, en 2018, qui définit en fait la clé de répartition. 

Mais quand l’administration va devoir déléguer à la communauté d’usagers directement la gestion d’un espace ou d’un bien commun, comment peut-elle le faire juridiquement en droit français ? Cela existe. Actuellement, l’administration française mobilise ce que l’on appelle la délégation de service public, le marché public, ou l’occupation du domaine public. Si, dans ce cas de figure, les administrations françaises sont obligées de “mettre en concurrence”, elles peuvent pour autant demander à ce que les entreprises auxquelles on va déléguer soient des entreprises d’intérêt social ou qui remplissent une certaine mission publique.

C’est le cas pour les occupation du domaine public comme aux Grands Voisins à Paris, ou aux Groues à Nanterre, mais aussi pour Gren’ de projets à Grenoble ou encore Coco welten à Marseille. Il y a beaucoup d’autres exemples partout en France. 

Au travers mes travaux, je souhaite souligner qu’une administration peut aller plus loin en donnant comme prérogative la délégation à un commun. Une administration peut faire un appel à commun et demander à ce que le projet le plus inclusif et contributif remporte le dossier, que ce ne soit pas à l’offre la plus économiquement avantageuse qui l’emporte mais l’offre la plus génératrice et protectrice de communs.

Si le Conseil d’État italien a validé cette possibilité en Italie, je ne vois pas en quoi le Conseil d’État français pourrait dire que c’est une atteinte au droit de la concurrence, dès lors que l’on veut utiliser le principe de délégation de service public pour avantager l’entreprise qui va vraiment avoir l’esprit le plus tourné vers les communs. On peut imaginer juridiquement comment déléguer à une communauté d’usage ces actions là.

Par ailleurs, il faut se préoccuper du suivi. Parce que pour qu’il y ait vraiment un commun, il faut que l’ensemble des contributeurs et des utilisateurs puissent décider et participer aux règles d’administration, ce que je n’ai pas vu dans le projet de règlement italien.

C’est d’ailleurs au retour des usagers que je me suis vraiment consacré dans ce projet d’écriture d’un règlement d’administration partagée en France. C’est cette notion d’association du public à la décision que j’ai essayé de mettre en place au travers ce texte.

Je me suis appuyé sur le code des relations entre le public et l’administration, et plus précisément un article intitulé De l’association du public aux décisions de l’administration

Effectivement, étant donné notre fonctionnement républicain, ce sont les élus qui ont le dernier mot. Mais on peut parfaitement associer le citoyen jusqu’à un certain point. Pour l’instant, au regard du droit actuel, cet avis émis par le public est consultatif. Mais on peut faire en sorte qu’il ait une certaine valeur et qu’il recouvre une certaine dimension d’obligation.

J’ai écris, dans ce projet de règlement, qu’avant tout projet de modification, il faut que ce soit les utilisateurs, les contributeurs, les usagers qui participent à ce service public mis en commun, ce commun administratif. 

Il s’agit qu’ils prennent part à la décision, qu’ils disent comment ils voient les orientations. Et l’administration s’engage à suivre ces avis. Et si elle ne les suit pas, j’engage dans ce règlement l’interprétation la plus stricte possible du code des relations publiques à l’administration. Il s’agit de considérer que l’avis consultatif est une demande officielle, et que tout refus de cette demande doit être motivée, alors que juridiquement c’est plutôt flou. Je considère que la communauté des usagers, qui a émis son opinion, peut avoir un refus de l’administration, mais un refus motivé et permettant à la communauté de comprendre pourquoi le décisionnaire public a dû dire non. Tout autre posture a pour risque d’alimenter la défiance du citoyen envers le politique.

Par le texte que je propose, je vais vraiment jusqu’au bout. J’étire les règles applicables à l’heure actuelle, mais en toute légalité. Tout ce qui est écrit là est légal.

Malheureusement, cela reste un outil. Et si tu utilises un marteau pour visser, tu ne feras que taper sur la vis. Et tu ne pourras pas la dévisser. Tu devras la retirer avec le marteau.

Si l’administration met en place ce type de système, et décide de le bureaucratiser, alors rien ne l’empêchera malheureusement. Il faut que les communes développent leur propre doctrine, que les hommes politiques se saisissent de la possibilité de mettre en place ces actions, de la manière la plus inclusive possible. 

Je ne sais pas si le modèle de Saillans est transposable aux 36000 communes en France, et aux intercommunalités, aux départements, aux régions. 
Je pense que chaque commune peut développer sa propre doctrine, mais que cette doctrine va à un moment s’opposer à la réalité du droit. Il y aura du contentieux. Le conseil d’État va devoir arbitrer et ce sera aux juristes de vérifier et de dire comment orienter.

Le droit administratif des biens communs devra dégager des règles de bonne gestion et de bonnes relations dans ce mouvement perpétuel de construction du droit.

L’expérimentation doit être utilisée à plein, dans la diversité des situations et des pratiques.

Un fonctionnement bureaucratique à Turin ou à Bordeaux. Un fonctionnement plus souple à Saillans.  Les deux types de pratique fonctionnent, ou produisent des simili de fonctionnement.

La question de savoir si telle ou telle pratique est meilleure ne relève plus de l’avis juridique mais de l’avis citoyen. Il appartient aux citoyens, dans la communauté d’usage en tant que contributeurs, de faire connaître aux élus leurs prérogatives, et en tant qu’électeurs de voter pour la liste la plus contributive possible, ou de s’instituer en une liste qui propose cette action. Le citoyen n’est pas que passif, il peut devenir élu lui-même.

Nous devons accepter la dimension d’expérimentation de nos fonctionnements, car ce droit administratif des biens communs est un droit expérimental, tout comme le socialisme municipal a été expérimenté au début du 20e siècle.

Le droit administratif des biens communs a sa part d’expérimentation à faire.

Si cela doit être bureaucratisé à tel endroit, que cela se fasse ainsi. Et si les gens ne concluent pas que ce système doit changer, parce qu’il a trouvé un équilibre, certes bureaucratique, mais qui existe, je ne vois pas en quoi les juristes viendraient tout remettre en cause. Les juristes sont des techniciens, pas des politiques.

Juriste

Le droit forme les relations sociales. Le droit est un vêtement qui essaie d’habiller tous les corps et tout le champ des relations sociales humaines.

Hérité du droit romain, il existe cinq catégories de biens que l’on enseigne en première année de droit, qui sont les biens privés (qui relèvent de la propriété privée), les biens publics (qui relèvent de la chose publique), les biens abandonnés (les déchets), les biens appropriables (le gibier), et les biens communs.

Les juristes ont beaucoup travaillé pour décrire les biens communs, en aboutissant à la définition posée par l’article 714 du Code civil français, qui n’a pas changée depuis 1804, et qui dit qu’il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d’en jouir.
Il existe donc des choses, qui peuvent être des biens ou des droits – tels qu’on les appelle en matière de propriété intellectuelle – qui sont partagées par tout le monde sans pour autant que s’exercent sur elle un droit de propriété. La loi générale ou l’ordre public, c’est-à-dire l’administration va devoir les réglementer. Le juriste va devoir travailler en ayant recours à ces différentes catégories de biens

La Révolution Française a marqué une révolution juridique, puisque celle-ci a consacré la primauté des biens privés et donc de la propriété privée comme droit absolu. C’est d’ailleurs l’un des Droits de l’Homme. Par conséquent, tout ce qui n’est pas de la propriété privée va être défini en négatif de celle-ci. Le juge judiciaire va être le juge qui va gérer la propriété privée, et le juge administratif va gérer par défaut les autres catégories.

Et pourtant, vont avoir lieu des va-et-vient juridiques concernant le partage de responsabilités entre le judiciaire et l’administratif. En France existe d’ailleurs une juridiction que l’on appelle le Tribunal des conflits, qui va juger les conflits de juridiction. Pour chaque contentieux, un répartiteur de compétences définit ce qui relève du judiciaire ou de l’administratif.
Parmi mes amis juristes, certains ont un intérêt particulier pour la Cour de cassation, d’autres pour le Conseil constitutionnel, d’autres encore pour le Conseil d’État. Je suis probablement le seul à m’intéresser au Tribunal des conflits, et à ce rôle de douanier.
Dans ce contexte, les biens communs, comme les biens environnementaux, les biens appropriables ou comme certains services publics, vont être tantôt soumis à la police judiciaire et tantôt soumis à la police administrative. C’est pourquoi un juriste se doit de savoir jouer entre l’ordre administratif et l’ordre judiciaire.

Je pense qu’un juriste en droit administratif des biens communs va définir, voire redéfinir, ce que j’appelle le champ des communs.

Un commun porté par une association

La copropriété définit, d’une part, les règles de gestion de vie des parties communes, dans un intérêt totalement privé. Cependant, cette copropriété peut également vouloir défendre un intérêt qui lui est supérieur et qui dépasse la somme de ses parties. Pour se faire, celle-ci aura recours à des droits dit exorbitants, c’est-à-dire qui dépassent les frontières des droits normaux attribués à une copropriété, et qui relèvent du champ administratif. Par conséquent, on va donner à cette copropriété, cette association ou cette entreprise, un agrément, c’est-à-dire une reconnaissance attestant du fait de satisfaire un intérêt général.
C’est l’administration qui délivre cet agrément, entraînant la soumission de la structure à des prérogatives exorbitantes (prérogatives de Puissance publique) et par conséquent la soumission à l’ordre administratif

Certains communs vont vouloir être soumis à la protection et à l’exorbitance de l’ordre administratif pour gérer une ressource qui défend un intérêt propre. C’est ce que j’appelle les communs administratifs. 

Un commun porté par une structure publique

Par exemple, le sang n’appartient à personne. L’Établissement Français du Sang est une personne morale de droit public qui gère totalement l’ensemble des dons du sang et la répartition du sang en France. Il n’existe pas de marché du sang en France. Ce n’est pas possible car c’est une ressource qui appartient à tout le monde. Si cette situation relève d’une politique de santé publique, celle-ci ne peut cependant pas s’astreindre du fait que s’il n’y a pas de donneurs (c’est-à-dire de contributeurs et de communauté d’usage), alors il n’y a pas de sang. C’est pourquoi le droit administratif attribue aux donneurs des droits et des protections particuliers, notamment l’anonymat.

Un commun porté par une entreprise

À l’autre extrême, une entreprise privée telle une société anonyme peut aussi défendre un intérêt qui lui supérieur. D’ailleurs, la Loi PACTE qui vient d’être adoptée à l’Assemblée nationale reconnaît une certaine responsabilité des entreprises, à l’égard de l’environnement par exemple. C’est pourquoi un juriste doit aussi être à l’affût des nouveautés juridiques.

Le droit se répète et les problématiques humaines issues des relations sociales sont pratiquement finies. Le génie humain, c’est que l’on peut redéfinir l’ensemble de nos relations sociales. Mais finalement, dès lors que l’on va devoir préserver une ressource, on va revenir aux mêmes mécanismes, c’est-à-dire que l’ensemble des contributeurs de cette ressource (des préservateurs, de la communauté d’usage) devra définir des règles d’utilisation qui lui sont propres.

Technicien

La fabrique d’un droit administratif des biens communs demande une connaissance des règles particulières du droit et une certaine technicité. 

Ces démarches requièrent un certain savoir encyclopédique car le droit administratif des biens communs est, d’une certaine manière, caché. Il faut savoir observer ce qui n’est pas visible pour adapter les règles à la technique d’un commun.

Par exemple, les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) sont prévues par la loi Bachelot, loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires,et poussées par les ARS, les Agences Régionales de Santé pour organiser la médecine de ville.
Les médecins, les infirmiers, les pharmaciens et tous libéraux doivent s’organiser autour d’une communauté pour définir un projet de santé qui constituent en quelque sorte un commun. Cette communauté va privilégier certaines organisations, tisser des relations avec certains hôpitaux publics pour développer des parcours de santé spécifiques au regard des enjeux de santé régionaux. La communauté des professionnels de santé va devoir mettre en place des relations cohérentes pour être en mesure de soigner et de sauver des vies. Cette communauté, constituée de médecins libéraux, de salariés, de membres d’association et de société privées et de cliniques, va devoir s’administrer indépendamment des structures qui emploient les différentes entités qui la constitue. Comment faire en sorte que les praticiens et les professionnels de santé puissent rester à la commande, sans que le système soit rigidifié par les mégastructures qui les emploient ou qu’ils représentent ?

C’est le travail du juriste que d’utiliser tous les outils à sa disposition pour faire en sorte qu’une communauté d’usage puisse définir ses propres règles, et protéger ces mécanismes d’une bureaucratie qui en ferait un anti-commun.

Républicain

Le mot républicain a pour moi une connotation philosophique, plus que politique. C’est même de la philosophie politique. En tout cas c’est quelque chose qui est très important pour moi.

La République, ce sont les institutions, mais c’est aussi l’idée selon laquelle les individus peuvent s’élever socialement et s’émanciper.

La République, c’est aussi l’idée que les individus sont capables d’abandonner leurs origines et toutes leurs conditions pour s’abandonner à la chose publique. C’est être capable de défendre un intérêt supérieur à son propre intérêt, être capable de voir qu’il y a quelque chose de commun à l’humanité, c’est-à-dire à la communauté des citoyens. Être citoyen.

Effectivement, le républicanisme aujourd’hui est en voie d’extinction. Dans les années 90, Marcel Gauchet avait publié un article, paru dans le Nouvel Obs, sur les oppositions entre le démocratisme et le républicanisme.
Si notre République est en voie de démocratisation, une communauté de citoyens en démocratie peut parfaitement devenir passive. C’est ce qui se passe aujourd’hui. Les citoyens sont des consommateurs qui ne sont plus acteurs de leur destin collectif. Tout est délégué à l’entreprise, à l’homme politique ou à un sauveur providentiel incarné par l’élu. Les citoyens n’ont plus envie de se prendre en charge, d’être autonomes

La citoyenneté, c’est-à-dire la souveraineté du citoyen et l’autonomie, nécessite une forme d’acceptation à être acteur et contributeur du service public. Il s’agit d’accepter de ne pas être passif et d’être l’instrument et l’outil de la réalisation de la chose publique.

Dans les communs, tels qu’on les appréhende aujourd’hui, on peut redéfinir un républicanisme permettant que chacun soit conscient qu’il est un maillon d’une chaîne infinie d’individus tous solidaires et responsables. Chacun doit faire sa part.

Je pourrais citer John Fitzgerald Kennedy qui disait : « N’attendez pas du pays ce qu’il vous demande, mais demandez-vous ce que vous devez faire pour votre pays« . L’idée ici consisterait à dire que chaque personne doit contribuer, parce que chaque personne a une place qu’elle définit en toute autonomie au sein de relations sociales.

Chaque citoyen doit construire son émancipation à l’endroit de sa contribution à la République. C’est à cet endroit que je définis un commun, par la construction de cette communauté de citoyens.

Pionnier

À l’heure actuelle, un important travail universitaire est engagé autour des communs, dans différentes disciplines telles les sciences sociales ou le droit.

Je me souviens encore d’un projet subventionné par Ministère de la Justice pour financer des laboratoires de recherche qui s’intéressent aux communs. Le commanditaire étant le Ministère de la Justice, cela signifie que ces financements engagent des recherches dans le champ du droit judiciaire.

Je peux me tromper, mais malgré le foisonnement de cette question là, je ne vois pas de réflexion en droit public sur les biens communs. Et comme je disais précédemment, le droit de propriété privé défini en négatif tout autre type de bien.

Si l’on réinterroge la propriété privée et que l’on décide de reconsacrer le droit d’usage, alors il est évident que le droit administratif doit se saisir de la notion de bien commun, et doit développer une doctrine, à la manière dont la doctrine du service public a été développée au XXème siècle.

Je pense que le XXIème siècle sera celui d’une doctrine des biens communs, construite par le droit administratif des biens communs.

Effectivement, il va falloir se poser la question de l’existence de biens qui n’appartiennent à personne, mais qui doivent être les éléments nécessaires à l’exercice des libertés fondamentales, comme le disaient les italiens au sein de la Commission Rodotà.

Sans air pour respirer, nous ne pouvons pas vivre. Sans accès à de l’eau potable, nous ne pouvons pas vivre non plus. Si nous ne pouvons pas vivre, nous ne pouvons pas exercer notre liberté le citoyen.

Si nous ne pouvons pas aller dans la rue parce qu’on nous interdit de manifester, alors nous ne pouvons pas exercer nos libertés démocratiques de citoyens. Si nous ne pouvons pas accéder à internet et accéder à la connaissance universelle, parce que tout est breveté, alors nous ne pouvons pas nous émanciper de notre condition. Nous sommes soumis à un brevet. Nous ne pouvons pas cultiver ce que nous souhaitons, parce que la semence où l’animal en notre possession a été breveté. Toutes ces enclosures suppriment nos libertés d’usage. Notre liberté de consommation, notre droit à vivre selon nos propres règles en autonomie mais dans un cadre de souveraineté partagée avec l’ensemble de la communauté des citoyens.

Le XXIème siècle sera le siècle où le droit public (droit administratif) va véritablement devoir prendre à bras le corps ces notions.

Je sais que beaucoup de juristes en droit informatique s’y intéressent beaucoup, notamment parce que les droits de propriété intellectuelle sont un enjeu central de leur travail.

Actuellement, les juristes se livrent à une véritable guerre des droits, à commencer par la lutte entre le droit continental et le droit de common law.  Et les européens sont en train de perdre cette bataille.

Le droit de common law est un droit casuistique qui permet aux juges de pouvoir définir que l’argument de celui qui a payé le plus est l’argument juridique valable. Il faut absolument empêcher les grandes entreprises de rentrer dans cette logique. Les tribunaux arbitraux, qui sont en train d’être mis en place dans les traités internationaux, suppriment tout esprit de souveraineté du citoyen. Ceux-ci suppriment même la liberté. 

Pour illustrer ces enjeux, on peut citer l’exemple d’internet. Aujourd’hui, l’ensemble des data centers se trouvent en Californie. Cela signifie que nous sommes tous soumis, par nos actes de consommation par internet sur Ebay ou autre plateformes, au droit commercial de Californie. Comment justifier cela ? Aujourd’hui, notre liberté fondamentale de citoyen, qui consiste en la possibilité de saisir un juge judiciaire français en cas de conflit commercial, est atteinte. Les traités internationaux violent la souveraineté nationale et notre liberté fondamentale à pouvoir saisir un juge à proximité.

Le droit public lui-même est aujourd’hui dépossédé. Le droit public doit se réveiller. Les juristes doivent se réveiller. C’est quand nous n’aurons plus de libertés que nous allons les regretter. 

Je dis toujours que le Conseil d’État est le petit juge incompris, qui a protégé beaucoup plus de de libertés fondamentales au XXème siècle que la Cour de cassation. En effet , la Cour de cassation a quand même participé à la rédaction des lois du régime de Vichy, alors que le Conseil d’État a quand même reconnu des libertés fondamentales, et notamment de droit de propriété et la responsabilité de l’État quand le droit propriété n’était pas consacré.

Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont leur part de responsabilité dans la défense des libertés fondamentales et les publicistes doivent développer une doctrine pour agir et pour permettre aux citoyens de reprendre en main leur destin.

Service public

Le droit administratif des biens communs est lié à l’histoire du service public à la française.

Au début du XXème siècle, il n’existait que trois grands types d’administrations en France : la commune, le département et l’État. Bien qu’existaient ces trois entités, c’est essentiellement la commune qui administrait les citoyens.
Dans ce contexte, et dès lors que la gestion des biens communs va être industrialisée, on va en faire un service public. On va créer des intercommunalités de projets, qui vont gérer l’approvisionnement en eau potable, l’assainissement, l’éclairage électrique, et même l’électricité, les chemins de fer, les transports en commun, etc.

La construction du service public à la française va reposer sur une dynamique où les grands services publics vont enclore certains biens communs pour lesquels l’administration va s’ériger en gestionnaire.

L’eau est un des cas les plus éloquents en la matière. Avec la loi NOTRE (loi no 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République) et la loi MAPAM (loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles), on a explosé la répartition de la compétence de l’eau entre tous les niveaux des collectivités publiques, au point que même les juristes et techniciens doivent s’y reprendre à trois reprises pour savoir quelle est la différence entre la police de l’eau des eaux pluviales urbaines – qui relève de la compétence du département – et la police de l’assainissement – qui relève de la compétence de l’intercommunalité. Cela concerne le même caniveau, mais ne relève pas du même service publique

De la même manière, on utilise les mêmes tuyaux d’approvisionnement en eau potable pour alimenter les foyers que pour le système de défense extérieure contre les incendies. Ces deux services ne relèvent pourtant pas des mêmes compétences. Dans le premier cas, c’est du ressort d’un service public délégué à des entreprises privées, dans le second cas, c’est la responsabilité de la police du maire.

D’ailleurs, dans le cas du service public délégué à des entreprises privées, les services publics vont être l’alliance objective entre l’État et le marché et déposséder les citoyens de l’usage de leur droit. C’est ce qu’Elinor Ostrom a décrit en Amérique latine avec la dépossession d’usages des communautés indigènes qui n’avaient plus d’accès à l’eau des puits parce que l’État avait délégué une concession à des entreprises. Quelque chose qui était gratuit et géré par la communauté se voit gérée par l’entreprise et devenir payant. Considérant que le marché est plus efficace dans l’allocation de la ressource, on va déposséder les citoyens.

On peut prendre un autre exemple au travers les quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Au lieu de considérer que la réduction des gaz à effet serre est un commun, et que tous les producteurs doivent ensemble définir des règles pour réduire, ensemble et de concert, la production des gaz à effet de serre, on va faire un marché avec les quotas. Et en réalité, ce marché des quotas de l’Union européenne ne marche absolument pas, car ceux-ci sont modiques sous prétexte de crise. Alors que l’on devrait payer environ 100 euros par tonne de gaz à effet de serre pour que ces quotas soient efficaces, aujourd’hui la taxe s’élève à 0,1 centimes. Les quotas ne fonctionnent pas. Nous avons créé des anti-communs.

Autrefois, on parlait d’économie mixte pour désigner des situations où l’État intervenait dans le privé. Maintenant, c’est le privé qui intervient dans l’État. Ces politiques publiques partenariales qui se mettent en place pour gérer les ressources sont des anti-communs. C’est en réaction à ces anti-communs que les citoyens vont se révolter, s’insurger, et définir des actions plus ou moins violentes en lutte contre ces éléments en France.

Les luttes de Sivens, Notre-Dame-des-Landes, EuropaCity s’érigent contre une politique partenariale conduite entre les aménageurs et les institutions publiques à toutes les échelles. Ces politiques promeuvent une forme d’aménagement qui dépossède le citoyen de son droit à s’exprimer. Il faut utiliser de nouveaux outils juridiques en la matière.

On pourrait aussi citer à cet égard l’Affaire du siècle, une campagne de justice climatique en France initiée par quatre associations (Fondation pour la nature et l’homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France) le 17 décembre 2018 visant à saisir la justice administrative pour inaction de l’État en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Il n’est pas normal que l’on soit obligé de saisir le juge alors que cette affaire concerne un commun environnemental et devrait relever de la chose publique.

L’Italie a connu au début du XXIème siècle des révoltes violentes à Naples sur la délégation du service public de l’eau. De ce conflit est née la Commission Rodotà, qui redéfinira le bien commun comme l’exercice d’une liberté fondamentale

Alors que dans le même temps, l’Union européenne va adopter la fameuse Directive concessions, reprenant le modèle de la délégation service public à la française au niveau européen.
Les États eux-même vont se révolter, à l’image de la Slovénie qui va constitutionnaliser le service de l’eau, affirmant que le service public de l’eau ne peut être exécutée que par des personnes publiques. Constitutionnellement parlant, et même si le droit européen s’applique, pour contrer cette obligation de transposition et ne pas appliquer cette directive européenne qui oblige à créer des anti-communs dans gestion publique de l’eau, la Slovénie a verrouillé le dispositif en consacrant son principe au plus haut niveau dans ses valeurs fondamentales, c’est-à-dire en l’inscrivant dans sa Constitution, l’échelon le plus haut dans la pyramide des normes, au-dessus des traités internationaux.

Par contre, et c’est la beauté d’un droit administratif des biens communs en devenir, on pourrait imaginer que la fameuse Commission consultative des services publics locaux (CCSPL), qui se prononce sur le mode de gestion entre public et le privé, pourrait devenir une Commission des usagers du service public de l’eau. Au lieu de se prononcer uniquement en avis consultatif, celle-ci pourrait comme à Naples contrôler que le service public de l’eau, géré par le public ou le privé, réponde effectivement à un besoin des citoyens.
Il s’agit de faire en sorte que les citoyens puissent contrôler les structures publiques comme privées, qui ensemble, doivent remplir l’intérêt général en tant qu’administration. Il s’agit de faire en sorte que les libertés fondamentales des citoyens, comme le droit à l’eau, prime sur le droit de l’institution à l’administrer cette eau. Ce droit des citoyens doit primer sur la capacité de l’administration à décider de la manière dont l’eau va être gérée (que cela concerne la gestion directe ou la délégation. En tant que citoyen, nous devons avoir notre mot à dire.

Le service public doit devenir un service contributif.

Contribution

Le droit français connaît depuis très longtemps la notion de collaborateurs occasionnels du service public, qui permet à un citoyen de se voir considérer a posteriori comme agent public. Quand bien même ce citoyen n’aurait pas été fonctionnaire ou rémunéré, il aura contribué à l’exercice d’un intérêt général et sera reconnu par l’administration comme grâce à cette notion de collaboration occasionnels. C’est le cas des sauveteurs en mer par exemple.

C’est une jurisprudence qui est parfois mal interprétée certains hommes politiques, qui confondent le statut d’usager collaborateur occasionnel avec celui d’agent. Cette confusion resurgit actuellement au travers l’exemple des mères voilées dans le cadre de l’accompagnement scolaire. Les mères sont des usagers, c’est pourquoi les règles de neutralité du service public ne s’appliquent pas à ces femmes. Un usager n’est pas soumis à la neutralité du service public, alors que les agents le sont.

De plus en plus de services publics vont devenir contributifs pour répondre à un intérêt général. Que cela concerne des enjeux de solidarité entre générations, des services comme l’application Sauv Life mise en face à Paris, ou encore un réseau de covoiturage entre citoyens d’une même commune, comme aux Molières dans l’Essonne.

L’administration va utiliser ces plateformes et ces applications pour demander à ce que les services d’intérêt général soient pris en charge directement par le citoyen. C’est l’avenir du service public. Les services ne seront plus fléchés vers des agents fonctionnaires mais portés par l’ensemble des citoyens.

Dans la perspective d’un usage des plateformes par les administrations, il est important d’opérer la distinction entre l’uberisation d’un service public et la mise en commun d’un service public, que j’appelle un commun administratif.

L’uberisation repose sur l’économie collaborative de base, comme dirait Michel Bauwens. C’est à dire que l’utilisateur de la plateforme ne peut que évaluer et noter (rating) mais ne définit pas les règles.
Alors que dans le cas d’un service public mis en commun, le citoyen utilisateur doit être aussi contributeur, c’est-à-dire contribuer à la définition des règles. S’il ne peut pas contribuer directement, il incombe à l’administration de faire en sorte d’imaginer un ensemble de dispositifs pour lui permettre de s’exprimer et de prendre part à la décision. Dans le cas où le citoyen ne peut pas être décisionnaire, cet avis doit être le plus contraignant possible pour l’administration.

La République française a consacré la souveraineté des élus. En France, un conseil municipal ne peut pas être contraint, même s’il décide de faire une délibération. On a vu un exemple de cette situation de souveraineté dernièrement à Grenoble, où s’est engagé une forme de référendum d’initiative citoyenne à partir d’un droit de pétition citoyenne. En effet, le conseil municipal ne se saisissant pas de telle question alors que celle-ci représentait 10% du collège électoral, la ville et le maire s’est engagé à faire un référendum local. Mais le Tribunal administratif de Grenoble l’a rejeté.

Pour autant, on peut imaginer d’autres dispositifs, comme c’est le cas dans certaines communes. Par exemple, s’est mis en place aux Molières une Constitution de ville. (Voir aussi ici)

Cette constitution est un engagement moral des élus. Si des hommes politiques, des élus d’administration, des dirigeants décident de mettre en place ce type de dispositifs, l’imprégnation de la classe politique va se faire progressivement, jusqu’à arriver au Parlement qui votera des lois pour faire en sorte que les citoyens puissent avoir avis délibératif , et non plus uniquement consultatif. C’est une forme de participation à une redéfinition du service public en commun.

Le service public au XXème siècle s’est fait avec le socialisme municipal. Je pense que des listes municipalistes, par exemple, pourraient faire ce que les socialistes ont fait au niveau des communes, puis au niveau du Parlement, en développant petit à petit des règles.

Dans le cadre du socialisme municipal, la définition des règles a été rendue possible grâce à la redéfinition service public par Léon Duguit et Maurice Hauriou deux grands théoriciens du droit public français au début du XXème siècle sur la notion du service public. Le débat entre ces deux écoles de pensée a permis à un conseiller d’État et à des hommes politiques de définir ensemble des règles juridiques sur le service public.

Si l’avenir du droit administratif des biens communs doit exister, c’est parce que l’ensemble des citoyens, des élus et des juristes auront réussi à développer leur propre doctrine. Une doctrine administrative dégagée soit par le juge administratif, soit par le parlement, soit par la pratique administrative des décisions prises par les administrations locales.

Et en effet, concernant ce dernier point, le service public industriel et commercial, par exemple, n’existe que parce que les administrations ont décidé de faire des boucheries municipales. Rien n’était prévu par la loi pour dire que les communes pouvaient gérer les boucheries. C’est l’innovation administrative pratique et sur le terrain qui a forcé le juge à définir ces règles. 

Le droit administratif des biens communs doit s’inscrire dans cette mouvance. Le droit administratif des biens communs doit être capable, à partir de sa doctrine, d’expérimenter des cas pratiques.

Il faut prendre le risque politique d’expérimenter le droit administratif des biens communs.

Il faut prendre le risque de contentieux, sur lesquels le Conseil d’État tranchera. À partir de cette nouvelle jurisprudence, les juristes trouveront de nouveaux outils pour contourner les potentielles interdictions et atteindre les mêmes objectifs, en s’appuyant sur d’autre fondement juridique. C’est par ce mécanisme qu’évolue la loi, qu’évoluent les règles.

Il faut un service public contributif, participatif et expérimentatif,

Ce service public doit toujours être à la satisfaction de l’usager. Le citoyen doit être satisfait et conscient de son rôle à jouer dans la fabrique du service public, par le vote mais aussi par une action.

C’est par l’initiative de terrain qu’une doctrine s’établira, autour de laquelle se construiront des jugements, et autour de laquelle des hommes politiques voteront des délibérations et des lois. C’est par cet effet de mouvement, de va-et-vient entre le terrain, le parlement et le juge qui formeront un trilogue, que les lois et les société évolueront, selon une vision qui permettra au citoyen d’être acteur de son destin.

Pour aller plus loin :

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