Silvère Mercier

Entretien avec Silvère Mercier enregistré à la BPI à Paris, le 23 juillet 2013.

Silvère Mercier est chargé de la médiation et des innovations numériques à la Bibliothèque Publique d’Information, Centre Pompidou à Paris.
Bibliothécaire engagé pour la libre dissémination des savoirs, il est co-fondateur du collectif SavoirsCom1, Politiques des Biens communs de la connaissance.

Silvère Mercier. Portrait.

Internet, les blogs et le réseau des bibliothécaires

J’ai créé mon blog Bibliobsession en 2005 pour prendre du recul par rapport à mon activité professionnelle, documenter ce que j’essayais de faire, et expérimenter la publication numérique et les dispositifs de médiation. Au fur et à mesure, celui-ci est devenu un outil d’expérimentation pour me connecter à différentes communautés et diffuser des idées.

D’abord laboratoire pour construire et théoriser la question de la médiation dans les bibliothèques, le blog est devenu, au fur et à mesure, une voie pour poser les termes du débat dans une communauté professionnelle.

Il est vrai que les blogs de bibliothèque ont eu, au départ, une fonction pour l’appropriation des outils. C’était un moyen de tester un certain nombre de choses, et de mener une veille sur ce qui nous semblait intéressant.

Au fur et à mesure, les blogs, et notamment le mien, se sont transformés en des espaces pour porter une voix, généralement engagée, sur des thématiques visant à essayer de faire évoluer les pratiques des bibliothèques, et à repenser leur utilité sociale.

Génèse de SavoirsCom1.

Alors que les blogs émergeaient dans le secteur des bibliothèques, une poignée de blogueurs a fini par avoir plus d’audience que les associations professionnelles. Au point que celles-ci voyaient en certains blogueurs une forme de concurrence du point de vue de l’impact des publications.

Celles-ci on d’abord cherché, d’une certaine manière, à instrumentaliser cette force médiatique. Puis, une forme de complémentarité s’est mise en place. Les blogueurs se sont progressivement investis dans certaines associations professionnelles, en essayant de changer les choses de l’intérieur.

Ce fut mon cas, au début, notamment avec Lionel Maurel au sein d’un des seul lobby du secteur, l’Interassociation archives bibliothèques documentation (IABD).

Mais finalement, faute de moyens et du fait d’un positionnement que nous jugions trop sectoriel et restreint à la documentation des musées et des archives, nous n’avons pas poursuivi dans cette direction.

Nous avions envie de défendre des choses beaucoup plus larges que des enjeux purement sectoriels. Les biens communs nous ont permis de donner une assise à la dimension politique de notre action.

À partir de cette approche par les biens communs de la connaissance, nous avons fondé SavoirsCom1.

Transversalités et problématiques métiers.

Par les pratiques numériques, et notamment en écrivant via des blog à partir de nos préoccupations professionnelles, on en vient à susciter de l’intérêt et des envies dans d’autres corps de métier, et à poser un certain nombre d’enjeux.

Le web nous permet de nous saisir de grands enjeux politiques, tels que les échanges non marchands, les contenus libres, l’open data. Ce qui m’intéresse est de capter ces débats pour les réinjecter dans des problématiques métiers, dans le secteur des bibliothèques notamment.

SavoirCom1. Gouvernance par l’action.

Nous mobilisons SavoirsCom1 sur des aspects militants, lorsque des jeux de lobbying se mettent en place, sur lesquelles nous essayons d’avoir un impact.

Notre action se traduit par des formes assez classiques de lobbying institutionnel : contacts avec les parlementaires, campagnes médiatiques, mobilisations sur des sujets qui nous qui nous semblent importants.

C’est une manière d’utiliser les réseaux qui découlent directement du web. Naturellement, du fait de nos pratiques numériques, nous avions certains réflexes : publier, se connecter à d’autres blogueurs, avoir une organisation horizontale en réseau. À cet époque, ces pratiques étaient encore peu répandues et assez peu de gens, dans notre secteur professionnel,avaient conscience de l’impact que l’on peut avoir en se regroupant et en faisant du lobbying.

Ces pratiques ont commencé à poindre en 2005 chez les bibliothécaires. Nous les avons d’abord développées au travers l’IABD, puis nous sommes passés à quelque chose de plus large avec SavoirsCom1.

Dans le projet de SavoirsCom1, il y a aussi l’idée d’expérimenter une autre forme de gouvernance que la structuration associative. Nous voulions notamment éviter les écueils de la structure pyramidale et la manière dont les associations font toujours une différence entre ceux qui sont élus et les autres, avec finalement une rare reconnaissance de ceux qui font un travail dans les faits.

En créant SavoirsCom1, il nous a semblé extrêmement important de fonder un collectif complètement horizontal, où la valeur de chacun s’incarnerait dans les actions et la défense de nos idées.

Nous avons essayé de définir des règles de gouvernance. Ces règles valorisent notamment la réactivité.

Si l’on rejoint SavoirsCom1, qui n’est pas une association sectorielle, on défend des idées sur des thématiques assez précises, dont la liste figure dans le manifeste. Toute action est développée par rapport à ces points. Ce fonctionnement nous permet de mettre en place une gouvernance par l’action dans un contexte bienveillant.

SavoirCom1. Actions.

SavoirCom1. Manifeste.

Un manifeste est un acte politique qui oriente l’action.

Pour SavoirsCom1, le manifeste est une manière de se fixer des objectifs.

Il ne faut pas prendre SavoirsCom1 comme un organe de défense des biens communs. Personne n’a à défendre les biens communs. Les biens communs ne sont pas menacées, et justement ceux-ci se créent par l’action, à partir du moment où ils sont appropriés par des collectifs.

SavoirsCom1 concerne les politiques des biens communs de la connaissance. Cela veut dire que nous considérons qu’il y a un certain nombre de conditions de possibilité qui favorisent le développement et la pérennité des biens communs, et que ces axes doivent absolument être défendus, sans quoi il sera de plus en plus difficile de parler de biens communs et de les expérimenter.

La liste des axes, qui constituent le manifeste de SavoirsCom1, sont ce que nous estimons être les conditions de possibilité, de développement et de pérennisation des biens communs, pour lesquelles nous nous battons.

Par exemple, l’importance de la neutralité du net, des logiciels libres, des contenus ouverts, des ressources pédagogiques ouvertes, de l’open data, mais encore les enjeux liés aux données personnelles, ou l’importance des tiers-lieux, non pas parce qu’ils représentent une sorte de vague idée de cohésion sociale, mais parce que ce sont des lieux qui sont nécessaires au fait que les communautés se rencontrent, qu’elles puissent créer des communs informationnels et des réseaux locaux, qu’elles échangent des savoirs. Nous défendons les tiers-lieux en tant qu’ils représentent des lieux utiles aux biens communs.

D’autre part, étant donné que nous sommes liés aux services publics, nous nous intéressons aussi à la manière dont les politiques publiques de la culture et de l’information peuvent venir en appui à ces questions de biens communs.

Évidemment, l’intérêt de l’approche par les biens communs de la connaissance est aussi de dire que les usages marchands et non-marchands ne sont pas en opposition, mais s’articulent. C’est une manière de sortir d’une approche purement sectorielle et d’appréhender le rapport entre service public et secteur privé de manière plus subtile.

La fonction du manifeste de SavoirsCom1 est de consacrer la création d’un collectif, au sein duquel les membres s’entendent sur des idées de base, d’un point de vue politique. Ensuite, les membres agissent pour soutenir ces idées.

Finalement, les choses sont beaucoup plus claires comme ça, parce que nous savons où nous allons. À chaque fois qu’il y a une nouvelle proposition ou que quelqu’un voit une pétition sur internet, nous allons l’observer à la lumière du manifeste. Si nous jugeons que finalement, cette proposition est trop éloignée des idées qui ont été émises par le manifeste, alors SavoirsCom1 ne va pas s’engager, ce qui n’empêchera les membres de s’engager à titre individuel.

C’est notre manière de nous positionner sur un certain nombre de sujets et le manifeste est pour nous complètement lié à l’action. On aurait peut-être pu l’appeler autrement. Mais l’aspect politique du manifeste, et l’idée de cristalliser une sorte de mouvement, me plaisait bien.

Le manifeste de SavoirsCom1 a été créé quasiment en même temps que le réseau francophone des biens communs, qui concerne plus largement l’ensemble des biens communs.

En nous attachant à travailler, par SavoirsCom1, autour des biens communs de la connaissance, notre idée était de nous articuler à un mouvement plus global, incarné par le réseau francophone autour des biens communs, et à l’émergence de la thématique des biens communs en général.

Biens communs.

Un bien commun informationnel, ou bien commun de l’information, associe comme tous les biens communs trois éléments : une ressource, une communauté et les règles de gouvernance que cette communauté se donne pour entretenir, développer et pérenniser cette ressource.

À la différence des biens communs de la nature, les biens communs de la connaissance reposent sur l’information. Or, la caractéristique de l’information est d’être non rivale. Si je donne une graine à quelqu’un, je ne peux plus en bénéficier. À la différence d’une graine, je peux toujours bénéficier de l’information que je donne, car je la reproduis.

Les communs informationnel sont une catégorie particulière de biens communs. Cette catégorie ne nécessite pas d’entretenir des ressources rares, mais plutôt de développer des catégories de contenus ou d’informations qui doivent faire l’objet d’un développement. Une communauté de contenus comme Wikipédia, ou de code logiciel, doit se donner des règles pour continuer à exister, se développer et être entretenue.

Ce n’est donc pas l’information qui est un bien commun mais c’est plutôt la connaissance, c’est-à-dire ce que l’on tire et ce que l’on veut produire de cette information.

Par information, on entend donc tout type d’information, du code de logiciel jusqu’aux données.

Dans la manière dont nous envisageons la notion de biens communs, nous avons pour intention de dépasser la dimension d’accès à l’information pour investir la question son appropriation et de son appropriabilité.

Bibliographie des communs.

Enjeux des communs.

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