Simon Sarazin
Entretien avec Simon Sarazin enregistré le 5 avril 2017 à Saint-Étienne (France) en collaboration avec Yann Heurtaux dans le cadre de L’Expérience Tiers-Lieux – Fork The World Biennale Internationale Design 2017. Je suis Simon Sarazin. Je travaille essentiellement depuis Lille depuis à peu près six ans. J’ai travaillé à différents endroits, mais je me suis recentré sur Lille notamment après un passage par la Cantine où j’ai découvert ce qu’était le coworking. Petit à petit, nous avons découvert la question des lieux, que l’on pouvait également penser de manière libre, ou en tout cas avec plus ou moins les mêmes ingrédients que ceux qui font le succès des logiciels libres ou la connaissance libre. Simon Sarazin et Yann Heutaux lors de l’exposition « L’expérience Tiers-Lieux – Fork The World ». Contribution à la Biennale Internationale Design 2017. Saint-Étienne (France). CC BY NC SA Sylvia Fredriksson 2017. Le réseau des Tiers Lieux Libres et Open SourcePeut-on considérer la communauté des tiers-lieux comme un réseau ? Comment s’organise-t-elle ? Je suis membre d’une communauté sur Lille autour des tiers-lieux. À Lille, la communauté des tiers-lieux et l’ensemble des espaces se fédèrent bien au niveau régional. Nous commençons à avoir des méthodes, des principes de fonctionnements, du budget, tout en gardant une horizontalité et une ouverture assez forte. C’est encore le début, mais nous essayons vraiment de nous mettre en réseau et de partager des ressources entre nous. Cela commence à se constituer, et c’est de plus en plus costaud.
Moi, je reviens à Saint-Étienne parce que j’ai plein d’amis ici. Mais je pense qu’avoir de l’outillage, et savoir exactement ce que l’on peut produire ensemble, nous aidera à fédérer un réseau national ou francophone des tiers-lieux libres et open source, c’est-à-dire pensés comme des communs. Les initiatives des tiers-lieux à LilleÀ Lille, un collectif autour de l’innovation sociale essaie de soutenir des expérimentations. Il y a 2 ou 3 ans, nous avons soutenu, suite aux Roumics, l’émergence d’un collectif autour des tiers-lieux, avec un petit budget. Chaque année, avec 2 ou 3 personnes qui sont pilotes sur ce budget là, nous organisons des rencontres régulières qui réunissent tous les acteurs des tiers-lieux, en essayant de documenter ces travaux. Plus récemment, a émergée l’idée d’identifier quelles étaient les ressources que l’on produisait dans chaque lieu, ou que l’on avait besoin de produire, et qui pouvaient du coup être mutualisées. Je pense par exemple au système de tickets de gestion des espaces de coworking, ou comment monter un tiers-lieu, la documentation pour apprendre à gérer un espace de travail partagé collectivement, des contacts d’assureurs. Il y a de nombreuses ressources de ce type.
Ce qui est notamment assez intéressant, c’est que plusieurs institutions suivent cette communauté, dont des élus qui veulent monter leur propre lieu et qui, du coup, s’inspirent des fonctionnements ouverts. Un autre exemple récent est celui de la Métropole de Lille qui va lancer un appel à projet, et avec qui nous avons collaboré.
Il est intéressant de savoir que le réseau des tiers-lieux dans le Nord n’a pas encore reçu de financements publics, ce qui nous permet de proposer un modèle de financement, plutôt que l’institution n’impose ces modèles classiques. C’est donc une bonne occasion de travailler entre nous sur certaines briques avec davantage de moyens. Cet appel à projets étant permanent, il y aura aussi un soutien aux projets qui se montent, avec une sollicitation à contribuer à la communauté.Ce sont des choses qui, je pense, vont un peu accéléré la fédération sur le territoire.
Par exemple, plutôt que faire adhérer un lieu à une fédération (1000 euros par lieu), il s’agit de dire que chaque lieu s’engage à mettre 1000 euros à la fédération locale, et que cela donne au lieu des droits de vote sur les communs et les ressources qui vont être proposés. L’enjeu est que le fonctionnement reste bien collectif, plutôt que la fédération décide pour tout le monde. Si cela fonctionne bien localement, on pourra peut-être le déployer à un niveau national. Le réseau des communs à LilleÀ Lille, la question des communs elle a été traitée 1 ou 2 ans après la question des tiers-lieux. Suite à cela, une communauté s’est montée spécifiquement autour de la question des communs, qui allait plus large, c’est-à-dire qui recouvrait autant la question des lieux que les enjeux liés au logiciel, à la connaissance.
On croise des gens dans les deux réseaux, et les fonctionnements sont très proches. Si la communauté des tiers-lieux se retrouve autour d’apéros et de temps de travail réguliers, l’assemblée des communs effectue un point collectif toutes les 2 semaines sous la forme d’un repas ensemble. Ces moments d’échanges perrmettent de partager sur la gouvernance et les orientations que prend le groupe. Puis, toutes les 2 semaines suivantes, un temps contributif permet de travailler sur les communs produits, ou sur de la mise en réseau.
Par exemple, nous développons une structure juridique pour héberger les marques, des outils pour pouvoir facturer tout en reversant aux communs, ou encore des outils pour recevoir de l’argent quand les sociétés veulent contribuer à différents communs sans avoir besoin que chaque commun ait à construire sa propre structure financière.
L’assemblée des communs à LilleL’objectif de l’Assemblée des communs est de relier les acteur des communs qui n’ont pas aujourd’hui d’espace où partager. Cela recouvre les gens qui font de l’agriculture et qui travaillent sur les semences paysannes comme ceux qui font du logiciel libre, qui travaillent sur la connaissance ouverte ou encore qui montent des espaces de travaillent ouverts qu’ils gèrent ensemble.
Le rôle de l’assemblée est également de penser la Chambre des communs, une deuxième structure dédiée à gouverner, vis-à-vis des communs, l’argent qui vient du public comme du privé. La Chambre des communs a son fonctionnement propre, mais c’est bien l’Assemblée des communs qui va être en mesure de développer cette brique-là. Au niveau de l’Assemblée des communs comme de la Chambre des communs, il y a plein de choses à faire. Mais le premier objectif est déjà de donner de l’espace pour travailler sur ces problématiques-là, et de favoriser la réplication.
De même pour la Legal Service For Commons, structure juridique dont je parlais précédemment. Nous l’avons nommé la L1, c’est-à-dire qu’il peut y avoir une L2 si une deuxième structure se met en place à Lille, ou une ST1 si une structure similaire se monte à Saint-Étienne par exemple.
Nous avons de super documentateurs à Lille, qui, comme à Saint-Étienne, écrivent beaucoup. Quel est le canal principal qui rassemble cette documentation ? Le principal canal qui rassemble la documentation des Assemblées des communs est le Wiki des communs.On y décrit ce qui se passe avec les assemblées des communs. Un tchat a été mis en place également.
Ces réflexions sont propres aux communs, et un peu différentes des échanges que nous pouvons développer à Lille autour des Tiers-Lieux. Combien de personnes contribuent-elles à l’Assemblée des communs à Lille ? Aujourd’hui, le groupe de l’assemblée des communs de Lille est constitué d’un noyau dure de 15 à 20 personnes. Pour l’instant, ce n’est pas un réseau qui est censé devenir énorme. C’est un réseau qui doit vérifier que d’autres projets avancent, qui ont leur propre fonctionnement et leur propre autonomie. On ne sait pas trop ce que cela va devenir après. Récemment, nous avons défini une charte que nous avons nommé Charte des pratiques.
Quels sont les liens entre l’Assemblée des communs de Lille et les initiatives similaires dans d’autres villes ? Les échanges existent entre les différentes Assemblées des communs du fait que la documentation de se fait sur les mêmes espaces numériques. Aussi, les actions des autres sont visibles par tous. Nous sommes ainsi tous plus ou moins en lien. Il y a parfois des différences de nom entre les initiatives. Par exemple, à Lyon, l’initiative se nomme Fabrique des communs. Mais finalement, c’est pareil. Peu importe le nom si les mêmes travaux sont menés.
Il y a plein de territoires où la question de mise en lien avec d’autres initiatives sur d’autres territoire se pose. De la même manière, beaucoup de territoires s’interrogent sur la manière de relier leurs lieux. On a des réseaux de tiers-lieux partout, des makerspaces, des fablabs.
Cette mise en lien va se faire au fur et à mesure. Il faut juste réussir à s’identifier. Tout comme dans le réseau des tiers-lieux, il y a des réseaux partout. Certains sont en coopératives, d’autres en collectifs très ouverts ou d’autres encore en collectifs plus structurés. Finalement nous avons tous le même rôle et il est extrêmement riche de réussir à se relier. Assemblées des communs. Bonnes pratiquesÀ Lille, lorsque nous avons démarré, nous étions deux ou trois personnes. Puis de plus en plus de gens sont venus.
On début, nous avons même un peu forcé les choses. Nous venions, et nous nous mettions en action au travers des ateliers et des espaces de contribution. Certains appelaient d’autres personnes pour qu’elles les rejoignent dans ces actions.
Nous avons mis en place des temps de discussion au travers par exemple un repas partagé régulier. Dans ce cadre, nous partageons les nouvelles. C’est assez calme et agréable.
Design de la contribution
En dehors des rencontres collectives, nous avons mis en place un rendez-vous régulier, 1 fois par mois, où nous consacrons une journée de travail, voire 48 heures pendant lesquelles nous partons à la campagne tous ensemble.
Nous pensons même qu’il faudrait un lieu quasiment dédié pour se retrouver. La Myne (Manufacture des Idées et Nouvelles Expérimentations), à Villeurbanne, incarne d’ailleurs assez bien cette idée. On a l’impression que tous les gens qui s’y retrouvent travaillent en parallèle sur différents projets de communs, et pas sur des business fermés ou propriétaires.
EssaimageComment mieux interagir au sein de la communauté francophone dans sa totalité, à l’échelle mondiale ? Je pense qu’il est difficile d’aboutir à quelque chose de suffisamment construit pour que l’on puisse après connecter avec tous les autres. As-tu des exemples de groupes d’individus, en dehors de la France, qui ont manifesté leur intérêt pour vos travaux ? En Belgique, une démarche similaire existe autour des Assemblées des communs, et nous nous entraidons. La mise en réseau des tiers-lieux localement n’est pas encore mûre. Notre propre expérimentation n’est pas assez stabilisée et aboutie pour essaimer. Ou alors, peut-être que nous ne savons pas décider de nous arrêter à une étape, et avec l’aide d’un designer, remettre au clair l’étape pour la rendre appropriable et pour passer à la suivante.
Pour cela, nous nous appuyons réseaux ayant acquis de l’expérience notamment autour des communs. Je pense par exemple à la une structure juridique dont le conseil d’administration est composé de personnes comme Florence Devouard qui a été présidente de la Wikimedia Foundation de 2006 à 2008. |
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