En mai 2013, Knowtex a poussé le portail du 51 rue Colmet-Lépinay à Montreuil. Scène d’un chantier où s’opère la progressive métamorphose d’une ancienne usine en lieu de créativité et de solidarité. À cette adresse s’ouvriront en octobre prochain les portes de Simplon.co.
Un nouvel espace pour accueillir une fabrique accélérée d’entrepreneurs digitaux et sociaux, ouverte prioritairement aux jeunes issus de la diversité, des quartiers populaires et aux jeunes filles.
Accélérateur mais aussi lieu de rencontres, de collaborations et d’interfaçage d’événements, ce Think+Do Tank participe, dans le maillage des structures comme ICI Montreuil, Cifacom & Hetic, au renouveau de l’écosystème d’innovation à Montreuil.
Nous nous sommes entretenus avec Erwan Kezzar, co-fondateur de la structure, sur sa vision et les enjeux du projet.
Génèse du projet
Simplon.co est né de la rencontre de quatre parcours singuliers convergeant autour d’une même intention : innover en matière de web et de technologies avec pour leitmotiv d’ouvrir très directement ces pratiques à ceux qui en ont moins l’opportunité, décloisonnant ainsi cet écosystème professionnel.
Constitué par Erwan Kezzar, Andrei Vladescu-Olt, Victor Defontaine et Frédéric Bardeau, le projet porte une identité profondément emprunte des expériences sociales et humaines traversées par ses créateurs.
Erwan Kezzar nous raconte ces « mains tendues » qui l’ont aidé à se réaliser au fil de son parcours. Aujourd’hui reconnaissant, il s’emploie à rendre ce qu’on lui a offert à des jeunes qui en ont besoin à leur tour aujourd’hui. C’est en ce sens qu’il mène, dans le cadre de sa mission de Délégué régional
du Réseau des Entretiens de l’Excellence, des actions de transmission et des ateliers-métier auprès des jeunes collégiens et lycéens.
Victor Defontaine est un autodidacte passionné qui voit le développement web comme un jeu. Andrei Vladescu, veilleur et visionnaire, a été formé, comme Erwan Kezzar, au CELSA.
Ensemble ils fondent d’abord en 2010 l’agence de web et de consulting Takative, dédiée au développement de sites pour les TPE, PME, grandes marques, startups et associations.
En octobre 2012, la rencontre avec le rappeur et entrepreneur Nadir Greany permet au collectif d’investir un nouvel espace de travail à Simplon, dans le 18ème arrondissement parisien. Ce lieu conditionne de nouvelles capacités de réflexion et d’action pour le collectif qui multiplie au cours des derniers mois discussions, rencontres, hackathons. Se développent alors de nouveaux imaginaires, nourris par certains constats et l’observation de pratiques et de formats émergeant en Europe et aux États-Unis.
De nouveaux modèles au profit de l’économie sociale et solidaire
Le projet Simplon.co trouve son inspiration à l’international au travers l’émergence de plusieurs phénomènes :
- l’explosion des besoins en développeurs notamment en Ruby and Rails.
- le succès de nouveaux formats d’accompagnement et de méthodologies éprouvées aux États-Unis. Erwan Kezzar cite notamment en ce sens DevBootcamp, formation accéléree au développement web, initiée par Shereef Bishay, et qui en 9 semaines intensives forme des développeurs en mettant en place des méthodologies de prototypage rapide permettant de minimiser les risques pour les entrepreneurs.
- l’émergence de nouveaux modèles de financement des startups à l’instar de YCombinator.
- La multiplication des projets d’économie social et solidaire révélant de forts besoins au niveau software dans les pays en voie de développement.
Innover par la diversité
De là naît l’idée de développer un projet combinant ces aspects :
prendre le vent de modèles de formation éprouvés et émergeant
pour en faire bénéficier à des populations en marge de ces écosystèmes professionnels.
Au sein de l’écosystème actuel des accélérateurs de startups, la singularité du projet réside donc principalement dans sa capacité à se décloisonner des stéréotypes en contournant les processus de sélection qui « assèchent » la diversité.
Créant ainsi des points de contact entre l’écosystème des professionnels du web peu facile d’accès et une population excentrée par rapport à ce milieu de production,
cette démarche permet d’ouvrir des canaux alternatifs laissant s’exprimer d’autres types de profils, à l’initiative de projets de nouvelles natures et puisant leur potentiel d’innovation de la capacité d’analyse singulière de leurs concepteurs.
Impulser une nouvelle dynamique aux mouvements de l’éducation informelle
Simplon.co appartient donc à cette génération de structures portées par de jeunes entrepreneurs immergés dans les nouvelles technologies et susceptibles d’apporter une nouvelle dynamique aux démarches menées depuis des dizaines d’années par les associations historiques de l’éducation informelle.
On pensera notamment à la démarche de François Taddeï au travers le Festival Paris-Montagne, à celle d’Alain Berestetsky qui a longtemps dirigé la Fondation 93, un des premiers centres de culture scientifique technique et industrielle en France, situé et actif dans le département de Seine-Saint-Denis, ou encore à des acteurs comme Cap Sciences.
C’est probablement à ce point de jonction, là où convergent ces générations, que se dessine le devenir de l’éducation informelle.
Simplon.co à Montreuil
Les axes alors définis, le projet s’incarne quelques mois plus tard, en mars 2013, lorsque le collectif prend la décision de louer un espace à Montreuil. Localisation stratégique, ce choix permet simultanément de positionner le projet dans un environnement proche de sa cible et au cœur d’un écosystème d’innovation préexistant.
En mai 2013, la société Simplon.co est créée, l’association se met en place, la constitution d’un écosystème de collaborateurs associatifs (Le Cercle J à Rosny par exemple), de partenaires et de sponsors largement amorcée, les démarches de recrutement déjà lancées, avec le soutien des missions locales pour l’identification des publics. Projet pour l’instant autofinancé et aidé par concours bancaire, Simplon.co tisse progressivement son réseau par des rencontres et des synergies tant dans les domaines de la communication que dans le domaine du développement web (La Conf, événement parisien dédié au développement Ruby and Rails)
Acteur singulier dans le paysage des accélérateurs à l’entrepreneuriat
Simplon.co incarne le premier accélérateur situé en dehors de la petite ceinture au sein d’un écosystème francilien composé principalement de quatre grands acteurs : Le Camping, Spark Microsoft, 50Partners, The Family.
Ne disposant pas encore de cadre fédératif, ces structures d’accélération s’implantent progressivement sur le territoire, marquant une seconde vague de transformation de l’écosystème du web-entrepreneuriat, au sein d’un maillage d’acteurs préexistant, arrivés ces quatre dernières années dans un courant de multiplication des espaces de coworking et des cantines, soutenus par des associations professionnelles et pépinières (Mutinerie, Le Laptop, etc…).
De l’accélérateur à l’incubateur
Fabrique accélérée de développeurs web, Simplon.co s’ouvre donc aux porteurs de projets numériques sociaux et solidaires, en se tournant prioritairement vers les débutants et les profils sous-représentés dans l’entreprendrait et le web (les filles notamment). Et ce de manière rémunérée, sur critères sociaux, pour ceux qui ont des ressources financières insuffisantes.
En octobre 2013, une première équipe de 24 candidats recrutés débutera sous forme de 6 mois d’amorçage en contrat pro rémunéré.
Le recrutement, conditionné par une maîtrise de l’anglais s’articule en deux étapes. Le succès à des tests en ligne permettant l’obtention de badges puis la réalisation une vidéo de pitch conditionnent la possibilité de candidater. Cette candidature est ensuite à soumettre par mail pour le 1er Juillet 2013.
Ensuite, le dispositif d’incubation s’envisagera de manière flexible : certains projets pourront être portés par Simplon.co, d’autres par d’autres pépinières, et certains encore pourront être directement lancés avec l’aide d’investisseurs.
L’équipe des 24 entrepreneurs sera encadrée de deux formateurs techniques, Andrei et Victor, et suivie par plusieurs mentors, dont certains recrutés parmi les participants à la formation eux-même.
Plus largement, Simplon.co pourra proposer des services d’incubation, des formations, rencontres, interventions à tout porteur de projets éducation et/ou équipe de suivi de scolarisation (ESS) pour qui le code est un moyen nécessaire à l’aboutissement du projet.
Intentions. Méthodologie. Formats.
La singularité du projet réside également en ses méthodologies de transmission. Avec pour dessein d’expérimenter différents formats d’apprentissage et de mise en œuvre de projets, l’équipe met à l’épreuve différents dispositifs (formation accélérée à distance, Remote Pair Programming), entretient un dialogue continu avec d’autres bootcamps. En ce sens, des ateliers démarreront dès cet été pour commencer à former des jeunes au-delà du cercle des jeunes sélectionnés au lancement.
L’équipe envisage par ailleurs la pédagogie dans sa dimension « méta ». Erwan Kezzar insiste sur l’engagement mutuel que la formation sous-tend, et souligne la responsabilité et le devoir pour les apprenants d’endosser également le rôle de formateur. Entrainant à la prise de parole, à la communication, le projet incarne donc l’ambition d’un apprentissage embrassant des domaines beaucoup plus larges que le seul développement web.
En donnant les clés à ses apprenants afin qu’ils deviennent eux-même formateurs, l’équipe entend créer des ouvertures, disséminer la connaissance et les savoirs-faire au-delà de sa sphère immédiate.
À l’image de DevBootcamp, l’apprentissage par ces formats implique de la part des participants un travail d’auto-documentation indispensable pour rendre possible la réplication des processus et pour créer les conditions de « collaboration massive ».
« Scratch your own itch » mentionne enfin Erwan Kezzar. La formation vise aussi à favoriser d’emblée une certaine autonomie, à développer la dimension auto-critique de ses apprenants.
« Technology is neither good nor bad, it is what we do with it »
Si le projet constitue par essence une plateforme de recherche sur les nouveaux usages du numérique, il implique un regard et un positionnement moral sur les technologies. « On créer une sorte de dojo » souligne Erwan Kezzar en amenant l’idée d’une certaine forme « d’éthique dans l’action » intégrée au projet de Simplon.co.
Par Sylvia Fredriksson. Le 31 mai 2013.
|