Frank Adebiaye
Entretien avec Frank Adebiaye enregistré à Paris le 19 septembre 2013. Issu d’une formation professionnelle en gestion et en comptabilité, Frank Adebiaye est aujourd’hui spécialiste du document numérique d’entreprise et de gestion. Il est par ailleurs auteur, typographe et à l’initiative de la fonderie libre Velvetyne. Frank Adebiaye. PortraitJe m’appelle Frank Adebiaye. Je suis né le 2 avril 1982. Je me suis plongé dans l’informatique depuis l’âge de 11 ans, en 1993. Cela fera 20 ans cette année. Dans le cadre de ces pérégrinations, je me suis initié aux arts graphiques, à la typographie. Puis dans ma formation professionnelle en gestion et en comptabilité, progressivement j’ai mellé ces différentes pratiques jusqu’à intégrer les différentes dimensions du document numérique. Aujourd’hui je me définirai comme un spécialiste du document numérique d’entreprise et de gestion, que je considère comme bien commun puisque ce type de documents sont les plus diffusés dans le monde. Ce sont des documents auxquels chaque personne doit faire face au cours de sa vie, en tant qu’émetteur et que récepteur. En s’intéressant à ton parcours, on découvre que tu as investi, au fil de ton expérience, différentes postures. De l’auteur à l’entrepreneur, peux-tu nous parler de ces différentes facettes qui te composent ? Au début, j’étais d’avantage le jouet des aléas de la vie. Il fallait trouver un travail, etc… Aussi mes pratiques de création se faisaient beaucoup plus en marge. C’était une sorte de refuge. J’avais plus, à ce moment là, une posture d’auteur, un peu poétique et marginale. Puis, au fur et à mesure que des champs se sont ouverts à moi dans mon quotidien, dans mes jours et pas seulement dans mes nuits, j’ai pu en faire une démarche plus construite et plus pérenne dans le temps. Cela a pu devenir une démarche entrepreunariale avec davantage de ramifications. Cela a commencé par de la création poétique. Puis les choses se sont liées les unes avec les autres. Mes pratiques se sont ouvertes de manière à intéresser d’autres personnes, tendant vers démarches de co-construction, et dépassant ainsi le statut d’une expression formelle très fermée, comme peuvent l’être des œuvres poétiques très closes. Peux-tu décrire les principales étapes qui ont incarnées ce changement ?
Et, puisque c’était un moyen d’exorciser mon quotidien, c’est devenu quelque chose de très expressif voire expressioniste. Puis, à un moment donné, l’émergence de cette pratique dans mon quotidien a fini par créer une rupture par rapport à mon environnement principal. Donc il a fallu passer à autre chose. Reconfigurer des choses en fonction de cela. À un moment donné, cela devient performatif.
Fort de cela, j’ai pu déployer une activité de création beaucoup plus en profondeur. C’est-à-dire non plus seulement utiliser des formes typographiques mais créer des formes typographiques. Ma pratique personnelle s’est ouverte au point de distribuer aux autres mes créations et de pouvoir rencontrer d’autres personnes qui avaient le même désir. Ce changement s’incarne notamment en la création de Velvetyne, une fonderie libre. Je me suis mis à échanger avec les acteurs du libre. J’avais déjà une pratique de Linux depuis 2002. C’est quelque chose qui est arrivé à mi-parcours de mon activité informatique. J’avais été initié à des logiciels comme Latex, qui sont des logiciels historiques dans l’histoire de l’informatique et du document. C’est comme cela que la notion de communauté est progressivement apparue. Au même titre que la typographie m’a fait davantage lire et écrire, je pense que l’aspect communautaire de cet informatique là me permet de davantage m’ouvrir aux autres. Il y a une prise sur le réel. C’est peut-être cela qui fait que l’on est d’un côté dans un bien ou dans une faculté privée ou privative, ou exclusive, puis que l’on bascule dans quelque chose de partagé et de commun.
À propos des communautés du libreJe suis issu de la culture du libre. Si je n’ai jamais réellement fréquenté les associations du logiciel libre, mais j’ai toujours porté un regard fasciné sur les forums et la façon dont se partagent les savoir-faire, parfois très techniques et précieux. Ce que je trouve remarquable, c’est en quelque sorte ce moment où Gulliver qui se met à la portée de Lilliput. C’est quelque chose qui est assez étonnant, et c’est une façon d’apprendre énormément en informatique, d’avoir une culture qui va bien au-delà de l’utilisation d’outils numériques, porté par la volonté d’en savoir toujours plus. À propos des modèles du libreJe pense qu’il est vraiment important de revenir au sens des mots. Le problème de cette ambiguïté entre libre et gratuit provient du terme anglais « free » qui désigne à la fois libre et gratuit. Le problème est de savoir ce qu’est un acte gratuit. Ce peut être un acte peu onéreux, mais ce peut être aussi un acte complètement arbitraire. Quand Stavroguine, dans Les Possédés de Dostoïevski, décide de tuer quelqu’un pour sauver le groupe, c’est un acte totalement gratuit. Il y a une sorte de désinvolture aussi dans le fait de faire des choses de manière gratuite. Le gage de qualité d’un logiciel libre, d’un format ouvert, de dispositifs et d’infrastructures interopérables, représentent une valeur économique importante et une grande utilité. Pour assurer la pérennité et l’intendance de ces dispositifs, il me paraît assez difficile de rendre cela totalement gratuit, c’est-à-dire mis en place au sein d’un système sans rémunération. Parce que cela nécessite du temps, de l’argent et des compétences, puis surtout un suivi. Tout cela est synallagmatique, c’est-à-dire qu’il y a un engagement dans les deux sens. Si l’on ne paie pas ou si l’on n’est pas payé, quelque part on est un peu engagé à rien. Mais à partir du moment où les gens veulent du suivi, une pérennité, si il n’y a pas d’engagement réciproque, je ne vois pas comment cela peut marcher. C’est comme vivre d’amour et d’eau fraîche, et à un moment donné se dire qu’il faut payer les factures. C’est d’une part la romance et après c’est le ménage. Ce sont deux temps différents. Ce sont deux étapes pour la vie. Vers l’hinterland éditorialÀ propos de Vers l’hinterland éditorial, par Frank Adebiaye, février 2013.
Si nous ne travaillons pas cette dimension, nous serons toujours en bout de course, dans une démarche de conversion, en fin de chaîne, pour les ports que sont Apple, Amazon, etc… Mais nous n’aurons pas travaillé notre arrière pays, le fond derrière, et l’on ne sera pas capable de le déployer. On sera pauvre. C’est comme si il y avait une concentration des emplois dans les zones côtières et qu’il n’y avait rien dans l’arrière pays. C’est ce que l’on voit dans les pays en voie de développement. Disons que l’on risque cette paupérisation extrême des contenus et des pratiques numériques si on ne cultive pas cet Hinterland. De l’art éditorialLe contexte dans lequel a été écrit Vers l’hinterland éditorial est un ensemble d’interventions que je faisais au Labo de l’Édition. On parlait des formats électroniques, des E-pubs, et de ce genre de chose. Mais je me dis que la question n’est pas de savoir si les gens vont lire en électronique ou si ils vont lire en papier. Le livre est un symbole qui va bien au-delà de la musique de ce point de vue là.
Il y a beaucoup d’hommes qui se résument à un seul livre, qui ne sont l’auteur que d’un seul livre. La question n’est donc pas de savoir si l’on veut investir dans un nouvel outil éditorial pour faire des livres électroniques.
Et de mon point de vue, pour placer un texte au cœur de la conversation, il faut certes réaliser une mise en page du texte, mais il faut aussi travailler avec les métadonnées, être capable d’identifier les contenus, de les faire converser les uns avec les autres, et donner la possibilité de rebondir sur des conversations.
C’est cette dimension que j’interroge au travers l’hinterland éditorial. Si l’on ne développe pas cette culture de son jardin, il n’y aura pas de possibilité de faire connaître des œuvres de plus en plus nombreuses, et dont on ne pourra justifier le nombre que par notre capacité à les mettre en réseau les unes avec les autres.
À échelle d’hommeIl y a un très bel ouvrage de Jun’ichirō Tanizaki, qui s’appelle l’Éloge de l’ombre, qui explique en quoi il y a, au Japon, une lumière particulière. Et, il se trouve aussi, dans ce livre, une recette de Sushi. Un souffle chaud à l’oreille. À propos de l’art de la citationJe suis particulièrement inspiré par la poésie. J’aime travailler avec des citations.
On ne peut accéder aux versions intégrales de ces textes que dans les bibliothèques, et le seul moyen de partager ces textes sous droit d’auteur est la citation. Ce partage, cette conversation autour d’un livre sont pour moi essentiels. Après chacun peut lire le livre in extenso de son côté, si il le souhaite. Je travaille avec les citations dans ma démarche de création typographique. Je ne mets pas en page les livres intégralement parce que je n’en ai pas le droit. Je vais davantage travailler sur les citations qui m’ont marquées, et mon message aura finalement plus d’impact. Je lis beaucoup de poésie. Cette forme touche à des choses dont je me sens proche, qui me marquent. J’aborde la poésie en considérant que quelqu’un me parle. Je considère que l’auteur est quelqu’un qui s’adresse à moi plutôt que quelqu’un que je vais lire, simplement, comme cela, pour le plaisir de tenir un livre entre mes mains.
Par exemple j’ai réalisé un travail graphique à partir de La ligne droite, chanson de Georges Moustaki, en hommage à lui. Je ne pouvais pas mettre en page toute la chanson, parce que les paroles étaient sous droits d’auteur. J’ai pris simplement quelques citations. C’est un très beau thème, un hommage à la personne aimée, emprunt de réalisme et d’espoir, absolument superbe. Par ailleurs la thématique graphique de la ligne droite, ou la non ligne droite, est intéressante. C’est amusant de travailler dessus.
Il y a un problème de digestibilité des choses.
C’est pourquoi ce travail sur la forme est important. En ce sens, je suis assez admiratif du travail des designers dans leur capacité à la concision. Ils font des choses qui sont extrêmement intenses, et extrêmement denses, du coup. La forme est optimisée. C’est du « sur-mesure ». C’est ce qui est admirable. SouverainetéCe travail est inspiré de La ligne droite de Georges Moustaki, qui est une chanson absolument admirable. J’ai utilisé une typo libre. Je trouvais que la forme était amusante. Cela faisait longtemps que je voulais faire cette affiche. J’ai mis tout de même 5 heures pour la faire car il fallait vraiment réaliser un travail sur chaque lettre pour que cela puisse coller. Mais j’étais assez content du résultat. Je voulais faire mon hommage à Moustaki.
Il y a quelque temps, dans un débat sur le mariage pour tous, il était dit que « faire des enfants, c’était quelque part ne pas savoir ce que l’on faisait ». Et je trouvais cela assez intéressant parce qu’il y a en effet une sorte de plongée dans l’inconnu. Faire quelque chose qui est infiniment commun à la nature humaine et puis qui va nous échapper un peu quelque part. Avoir un enfant n’est pas créer une copie conforme. Ce n’est pas juste une gloire de propriétaire, une nouvelle extension de moi-même. Ce n’est pas cela. C’est faire quelque chose qui nous dépasse.
On a du mal à lâcher, à accepter de perdre le contrôle, en particulier quand on est en situation de puissance. C’est pour cela que c’est aussi un enjeu politique important. Tous ceux qui ont des choses à perdre sont d’autant moins enclins à partager et à mettre au pot commun. Parce que cela veut dire que d’autres personnes pourront en profiter. Il y a un problème de souveraineté. Est-ce que les biens communs sont compatibles avec la souveraineté ? De la typographie
Quand je me suis mis à créer mes caractères typographiques, c’était pour répondre à de petites envies personnelles. Je voulais faire des ligatures pour la TVA, le hors taxe. Des choses qui n’existent pas dans les typo. Ce sont des idées de comptable de faire des choses comme cela. Je mets du Lenny Kravitz et je fais une typo. J’écoute du Aretha Franklin en boucle et je fais une typo. C’est un rythme, comme cela, qui vient. C’est comme lorsque j’écris un poème, c’est un mot qui me trotte dans la tête, et puis après je finis par faire quelque chose. Là, c’était une typo autour des Village People. J’ai écouté un album, Sex over the phone, et puis j’ai fait une typo. Les formes ne sont pas du tout calligraphiques. Créer de cette manière m’amuse beaucoup, et c’est déjà un bon critère. Un jour, je me suis dit que j’allais faire un caractère typographique dans un éditeur de texte. J’ai décidé de composer un n avec des n. C’est ce que j’appelle quelque chose de « super typographique », c’est-à-dire lorsque l’on utilise une typo pour faire un autre caractère. C’est assez amusant. Ceci est Aretha, en hommage et en image à Aretha Franklin. Cela me donne une idée de la couleur aussi. Je me disais : « c’est un peu soul d’avoir cette couleur chaude, ce rose, et ces formes complètement improbables. » Je mets Get it right et j’ai envie de danser. Faire danser les formes. Ce que je dis souvent, c’est que le meilleur bouquin sur la typo est sûrement Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle de Jean de La Bruyère (1688). Et en travaillant sur le livre de François Boltana, je me suis mis à penser :
Écosystème du libre dans le champ de la typographieJe travaille sur une cartographie du paysage de la typographie libre, en essayant de faire une liste exhaustive des typos libres et des fonderies libres dans le monde. Il existe à peu près une dizaine de fonderies libres dans le monde. Je peux en citer quelques unes. Il y a des studios qui utilisent des caractères libres, c’est le cas de Kontrapunkt, par exemple. La fonderie canadienne Practice Foundry produit des caractères libres très bien réalisés. The League of Moveable Type aux États-Unis fait également des choses assez intéressantes. Ce sont des officiers indépendants, mais il y en a d’autres, en Pologne par exemple avec Glukfonts qui produit des typos très expressives. Et puis, il y a deux autres choses. Il y a les dépôts, à l’image de l’initiative américaine Open Font Library, qui recensent les micro-acteurs de la typographie. Et puis il y a Google Fonts, qui vise à centraliser un certain nombre de fontes, et qui s’inscrit dans le travail de Google autour du document numérique partagé. Dans Google Drive et via les documents partagés de Google, on peut accéder aux polices de Google Fonts. Là-dessus, ils ont fait un travail d’intégration assez intéressants. Ils ont également fait un travail sur les API pour donner accès aux fontes, en partenariat avec Monotype d’ailleurs, ce qui prouve bien que le véritable objectif de Google est l’indexation du web, même si cela implique l’intégration de fontes de Monotype. Ils préfèrent cela que des images. C’est un peu une étape vers ce libre institutionnalisé. Il y a les fontes libres chez Google. Il y a, chez Adobe, le Adobe Source Sans Pro, le Source Code Pro, qui sont des fontes libres ad hoc. C’est pour Adobe l’occasion de faire une incursion dans le libre, histoire de voir. Même si par le passé, ils avaient la pression de la communauté LaTeX pour libéré l’Utopia, caractère dessiné par Robert Slimbach. Voilà, l’univers que je viens de décrire représente pour moi le libre institutionnalisé. Il y a, en fait, un peu deux univers ennemis. Des fonderies indépendantes, d’une part, et des espèces de dépôts comme Open Font Library, où des acteurs un peu isolés se fédèrent. Et puis d’autre part, des acteurs institutionnels au travers Google, Adobe, Mozilla. Plus quelques franc-tireurs. Ce qui est intéressant, c’est de voir des designers établis faire du libre. Spiekermann, qui en a fait dans le cadre institutionnel. Nina Stössinger, designer de caractères, qui a réalisé des caractères vraiment remarquables comme le FF Ernestine chez FontFont, ou encore un caractère libre en hommage à Marcel Duchamp nommé le Sélavy. Parfois, il semble donc que faire l’expérience d’un production libre soit aussi une tentative, une façon de se faire connaître.
Cela leur permet de goûter aux vertues du libre, sans pour autant installer Linux. Il est parfois plus clair de faire comprendre cette culture par ce biais qu’avec un système complètement à part comme Linux. C’est également une façon de travailler sur les formats, car il y a quand même la lame de font derrière, et l’enjeux de la standardisation. Je pense là à des initiatives comme l’Unicode, les formats comme OpenType et les formats d’édition comme UFO, l’initiative de Erik van Blokland et Tal Leming aux Pays-Bas, qui est basée sur le XML et qui tout à fait remarquable en terme de standardisation. Des ManifestesFrank Adebiaye, tu es l’auteur de plusieurs manifestes, peux-tu nous en parler ? Manifeste pour un art inconditionnel (janvier 2011) Manifeste post-typographique (mai 2011) Manifeste pour une société sans casse (août 2011) Manifeste post-réaliste (novembre 2011) Manifeste de la nouvelle Vogue (décembre 2011) Le Manifeste de la nouvelle vogue, celui-là, j’en suis très content car il s’agissait d’un projet consistant à capter l’air du temps. Un projet sur ZeitGeist, un ouvrage qui vise en fait à capter l’époque. Biens communs
On aura beau faire beaucoup de projets, il est avant tout nécessaire d’inscrire ces projets dans un temps commun, dans un agenda. Ce qu’il faut faire, on le met dans un agenda, et cet agenda s’inscrit dans un temps.
Après moi, le déluge. C’est ce qu’il se passe. Par exemple en politique, parce que les hommes politiques sont dans un temps électoral, les municipales, les rapports financiers semestriels voir trimestriels. C’est ce temps-là. Nous sommes enchâssés dans cette nasse. Et tant que l’on ne fixe pas les choses dans le temps, tant que l’on ne prend pas date, on ne peut pas dire que l’on va faire des choses communes.
Si l’on ne prend pas de temps pour les autres, il n’y a pas de bien commun.
Si il y a une crise du logement, c’est parce que les gens ne vivent plus ensemble. Au lieu d’avoir un F2 il faut deux F1, etc… Le point cardinalJe suis assez hanté par la figure littéraire de Michel Leiris. Je m’intéresse actuellement à un ouvrage magnifique qui s’appelle L’Âge d’homme. Michel Leiris est aussi l’auteur d’un texte intitulé Le point cardinal. AimerC’est la chose la plus difficile. Aimer c’est être capable de se transfigurer positivement pour quelque chose. On dit souvent que l’amour est proche de la foi. Pour revenir à cette notion de temps, aimer c’est se faire la promesse d’être meilleur. C’est faire la promesse à soi-même et aux autres d’être meilleur. De faire mieux. D’être une meilleure personne. C’est cela aimer. C’est d’une puissance considérable. C’est la chose la plus importante des quatres. Le cardinal des cardinaux, c’est aimer. C’est sûr. DéciderÀ un moment donné, il faut agir. Et là le rouge renvoie plutôt à Stendhal, et à l’œuvre Le Rouge et le Noir. Le Rouge est l’armée, et le Noir est l’église. FaireAvec la notion de faire, on reste pour moi dans la métaphore militaire.
Dans notre société contemporaine, nous sommes très encouragés à endosser cette posture. Il faut produire, il faut que les choses fonctionnent.
Cette ligne de démarcation, c’est l’armée et l’église. D’un coté, il y a ce que l’on est obligé de faire et de l’autre, ce à quoi l’on croit. Cette démarcation-là existe. Mais il faut faire. Car si l’on n’est pas capable de faire, cela veut dire que l’on n’est pas capable de défendre les siens, et c’est problématique. Donc il faut en passer par là. Moi je crois qu’aujourd’hui les premières années de la vie professionnelle sont une sorte de service militaire. Ce fut mon cas. On doit être une sorte de serpillère et puis faire la tâche parce qu’il faut en passer par là. J’affectionne tout particulièrement cette citation d’Ernst Jünger : « À la guerre on apprend à fond son métier mais les leçons se paient cher« .
PartagerLe partage, cela veut dire quoi ? Cela veut dire avoir une famille plus importante, avoir plus d’amis, avoir une communauté.
Pourquoi les gens, maintenant, accordent-ils plus d’importance à leur couple ou à leur vie personnelle qu’à leur travail ? Parce que la promesse de sociabilité et de partage leur paraît beaucoup plus authentique dans le cadre de leur vie personnelle que dans le cadre du théâtre des opérations qu’est l’entreprise moderne. Aristote disait « L’Homme est un animal social« . Chacun a son tempérament, mais le partage reste une nécessité.
Nous parlons trop de choses qui sont extérieures à nous, c’est-à-dire qui ne nous sommes pas consubstantielles.
Il est question de notre humanité. Si nous ne pouvons pas décider pour la Nature, en ce qui concerne notre propre condition, nous avons le choix. Alors peut-être faudrait-il que nous arrêtions de nous maltraiter nous-même ? Et, en cela, il faut prendre conscience que nous avons besoin de partage, en prenant en compte le temps, comme point cardinal. Il faut aller à l’essentiel. Nous n’avons pas la capacité d’être exhaustifs. Abonder dans l’instantLa question que je me pose, qui est de mon point de vue la question essentielle à se poser dans la vie est la suivante : si l’on devait quitter cette Terre, comme cela, à la fin de la journée, qu’est-ce qu’il faudrait avoir fait à tout prix ? Et en quoi ce que l’on est en train de faire, là, d’apprendre là, va nous permettre de le faire ? C’est cela pour moi la vraie question existentielle. Qu’est-ce qu’il faut avoir fait ?
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