Sophie Ricard
Interview de Sophie Ricard, enregistré le 24 juin 2017 à la Sucrière à Lyon, France. Sophie Ricard est architecte, coordinatrice de l’Hôtel Pasteur et co-fondatrice de l’association collégiale l’Hôtel Pasteur à Rennes. Diplômée d’état depuis 2009, elle a été formée à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles ainsi qu’à la Faculté « La Sapienza » de Rome. Pensant que l’architecture est l’affaire de tous, et non une affaire réservée aux techniciens experts de la ville, elle s’engage aujourd’hui dans des projets incluant la capacité d’agir de chacun. A la suite de cette permanence qui a permis de réactiver une ancienne faculté des sciences inoccupée depuis une dizaine d’années, en plein centre ville en travaillant sur l’ouverture au public et l’appropriation par le faire, la Ville de Rennes a décidé de lancer une commande afin de réhabiliter l’entièreté du lieu et de continuer le travail mené jusqu’alors afin d’inventer l’Hôtel Pasteur, lieu non programmable, capable d’accueillir à fois le besoin immédiat d’une société en mouvement sur le temps long de l’expérimentation. La Société Publique Locale d’Aménagement Territoires Publics à été missionnée afin de l’assister à la maîtrise d’ouvrage. Chargée de mission par la SPLA, Sophie Ricard agit aujourd’hui en tant qu’architecte AMO afin d’accompagner la transformation du lieu, de continuer d’assurer son fonctionnement quotidien et d’inventer avec les envies et initiatives de chacun un nouveau mode de gouvernance partagé à venir. Je m’appelle Sophie Ricard. J’ai grandi en banlieue parisienne, à Rueil-Malmaison à côte à Nanterre. J’ai été habituée aux grands ensembles. J’ai habité ensuite à Saint-Denis. Mon père est urbaniste. Quand j’ai étudié l’architecture, le logement me passionnait. En faisant mes études d’architecture, je m’interroge et constate que notre enseignement est très éloigné de la commande, et très éloigné du fait que effectivement, l’acte de construire est un acte politique.
L’architecture ne peut relever que du plastique ou du technique. Il y a dans cet enseignement un problème. Je suis allée sur le terrain, au Val Fourré. J’ai rencontré des éducateurs de rue, des gens qui font un travail sur le devoir de mémoire, parce que des grands ensembles sont démolis du jour au lendemain et que les gens qui y habitent depuis 30 ans sont relégués aux quatre coins de la ville alors qu’ils ne connaissent pas ces quartiers là.
Je pars ensuite en Italie pendant un an. Je reviens, et je m’intéresse à Julien Beller qui travaille sur le camp du Hanul à Saint-Denis. Alors que je n’avais pas encore passé mon diplôme, je rencontre Patrick Bouchain , qui met en place à cette époque de balades urbaines. Je le rencontre donc à Aubervilliers sur le site de Bartabas.
Comment construire ensemble le grand ensembleIl se trouve qu’à ce moment là, il met en place ce fameux laboratoire qu’il appelle Comment construire ensemble le grand ensemble, ou comment dénormer le logement social. C’est précisément cela qui me passionnait, davantage que la reconversion de friches dédiées à la culture. Étant donné que je me questionnais sur le logement social, et qu’à ce moment précis les
Patrick Bouchain me parle du projet de Grand ensemble de Boulogne-sur-Mer. Ce projet naît d’une volonté politique. Frédéric Cuvillier, Maire de Boulogne-sur-Mer, tire la sonnette d’alarme. C’est une des premières grosses opérations ANRU, mais qui préfigure une énorme tabula rasa générale. Le Maire tire la sonnette d’alarme concernant une petite rue qui est vouée à la démolition par l’ANRU. Cette petite rue est devenue une zone de non-droit. Elle accueille des marins pêcheurs retraités qui sont tous en dessous du seuil de pauvreté, et vivent avec une retraite de 300 balles par mois. Elle accueille en même temps de gens du voyage qui se sont sédentarisés petit à petit dans ces maisons. Des gens qui se sont refilés petit à petit les maisons de mains à mains. Une rue finalement concentre cinq familles, avec la cousine, la grand-mère, la tante, etc… L’architecte nommé par l’État qui s’occupe du projet ANRU, à l’époque, dit qu’il faut démolir cette rue. Le taux de pauvreté est énorme. On ne sais pas qui sont ces gens. Il y a des faits divers pas possible. Il faut démolir. Patrick me parle du projet, de la méthode. Il me dit : Le Maire, qui ne sais plus quoi faire, nous dit : C’est un beau sujet, quelque part, dans cette grande tristesse.
Il faut que l’on y habite. « Parce que si tu n’y habites pas, Sophie, tu sera trop éloignée du besoin, de la commande, et surtout tu n’arriveras pas a comprendre quelles sont les personnes qui y habitent, quels sont leurs savoirs. Peut-être d’ailleurs qu’il y a très peu à faire pour redonner quelque chose à cette rue. » Je très heureuse, et j’ai envie d’y aller. C’est ce qui me manquait pendant toutes mes études. Cette expérience a été la plus forte, la plus riche, et a conforté en moi l’idée que faire de l’architecture, ce n’était pas forcément celle que l’on nous apprend à l’école.
En arrivant sur site, à partir du moment où l’on perd cette casquette d’expert (que je n’avais même pas, puisque je sortais de l’école et que je ne savais pas construire) et que l’on est devenu voisins et voisines, c’est là qu’on a pu vraiment tombé dans cette espèce d’objet du quotidien.
À partir du moment où nous avons pu parler du quotidien, du banal, là, nous avons pu reparlé d’architecture. Et pas de manière technique. Je cela que j’aime passionnément.
On construit pour construire, alors que nous héritons de tellement de choses. À l’époque des grands ensembles, il était inadmissible, effectivement, de voir que, même sans être en temps de guerre, on démolissait. À Boulogne-sur-Mer, nous nous somme demandé comment, dans de l’habitat social – qui est la chose la plus uniformisée, la plus contrainte, la plus assujettie par la norme aujourd’hui en France – dans une petite rue, qui justement est devenue une zone de non droit, c’est-à-dire de la plus grande et belle liberté, se réapproprier ces logements, qui n’étaient pas voués à l’appropriation ? Comment se réapproprier ses logements sans réintroduire de l’uniformisation ? Comment repartir de cette très grande pauvreté devenue finalement facteur de très grande liberté ? Le CCS, le premier bailleur, s’était totalement désintéressé de la question de l’entretien de ces maisons, mais avait mis – ce qu’on oublie aujourd’hui de faire – une assistante sociale, une concierge. Le rôle de concierge à l’Hôtel Pasteur vient de là. À l’époque où les Cités jardins et de nos grands ensembles ont été construit, le rôle de concierge était très fort. Pour moi, il est fondamental. Aujourd’hui, on a oublié, dans nos villes, cette personne qui fait le lien, et qui peu importe sa casquette. Le concierge fait le lien entre l’habitant et l’habité, c’est-à-dire le bailleur ou l’institution juridique publique qui entretient ces logements.
Hôtel PasteurPermis de faireLe permis de faire concerne justement les questions que l’on se pose, dans cet entretien, sur l’enseignement.
Sa genèse remonte à la Loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine promulguée en juillet 2016, à l’époque où Fleur Pellerin était Ministre de la Culture. Au sein de cette loi, Patrick Bouchain a écrit le Permis de faire, qui correspond à l’un des articles de la loi. L’idée était effectivement de proposer un permis d’expérimenter, qui aiderait certains maires de communes, dans des situations où le patrimoine est bloqué, d’outrepasser certaines réglementations ou normes, et d’expérimenter des projets du type de l’Université foraine , ou du projet de Grands ensembles de Boulogne-sur-mer. Il est important d’avoir un permis pour cela, pour aller plus loin après. Pour Partrick Bouchain, le Permis de faire est une manière d’expliquer que tous les projets qui ont été menés, tels que l’Université foraine, n’étaient pas issus d’une commande de maîtrise d’œuvre, mais proposaient une forme d’école du dehors, gratuitement, dont l’intention était de transmettre à la jeune génération, qui elle-même transmettrait à d’autres. C’est donc quelque part une école des situations, du dehors, sur un site où la problématique se pose, et où l’on met tous les acteurs ensemble. C’est précisément ce que l’on ne fait pas dans les écoles, ni dans le milieu professionnel.
Si au sein même de l’école, n’existe pas cet autre forme d’enseignement, alors cette manière d’agir restera toujours une exception. De cette réflexion est donc née l’idée de monter une chaire à Paris-Belleville. Pour Patrick Bouchain, l’idée de cette chair est de travailler avec d’autres, et pas uniquement des experts en charge de fabriquer la ville ou de la dessiner. C’est bien ouvert à tous, et d’ailleurs, c’est issu de l’Université foraine, de la permanence
Le permis de faire est donc une réflexion sur la manière dont on déplace le sujet. Le sujet n’est pas donné au départ, et on s’autorise à reprendre le temps de se questionner.
Riches de plein de choses, nos sociétés évoluent, mais en même temps, nous avons désappris à faire, à expérimenter, à reprendre le temps, et à se dire que peut-être le sujet que nous questionnons n’est pas bon.
ConfianceSymboliquement, un des objets les plus importants de l’Hôtel Pasteur, à Rennes, est la clé, qui finalement incarne la confiance.
Dans cette société qui ne fait plus confiance, nous essayons de dire l’inverse. Il faut refaire confiance, et ça marche. Cela peut marcher. Réversibilité de l’architectureLa question de la réversibilité de l’ architecture est une notion très forte. Elle vient, je pense, après la question du rapport à l’autre et de la confiance, d’où naît l’hospitalité.
Nous nous sommes desappropriés ce champ, et c’est dramatique.
Agilité
Il s’agit de faire en sorte que cela fasse école ailleurs.
Valeur d’usageLa notion de valeur d’usage est celle qui me paraît maintenant importante, et celle sur laquelle on essaie de travailler.
CommunsAu travers l’expérience de l’Hôtel Pasteur, nous interrogeons la notion de communs. Philippe Le Ferrand y a d’ailleurs fait un travail sur la question du nous, de ce qui fait communauté ou pas, et sur la question du vocabulaire.
Ce double sens me semble important, et nous souhaitons le conserver. C’est pour cela que nous avons décidé de nous appeler L’Hôtel.
À ce moment donné, on rencontre l’autre, et ce nous existe à travers justement la possibilité de faire.
Certains on envie d’être accompagnés, et d’autres pas du tout. Ils ont juste besoin d’un terrain pour faire. Et respectons cela. Je me réfère moins au mot communs qui me semble, comme le mot tiers-lieu, être devenu un mot balise pour tout le monde, et qui décrit des réalités très différentes.
Cela engendre un espèce d’espace commun. Ce que j’appelle la chose publique, ou un bien commun. Tout le monde doit se sentir propriétaire de cette chose là, puisque effectivement tout le monde lui donne une valeur d’usage. Et j’aimerais que l’on continu à travailler là-dessus. Cette question du partenariat public-privé-communs me semble très intéressante. Je pense que, ce qui est important, est de toujours se dire qu’il faut trouver des endroits où l’on est capable de se retrouver, de se rassembler.
Il y a différentes façons de se rassembler. On se rassemble dans un lieu, des communautés se rassemblent sur des réseaux, etc. L’essentiel est de pouvoir avoir un endroit pour le faire. L’endroit n’est pas le lieu. Je parle bien d’endroit, immatériel ou matériel.
Je trouve que le mot communauté est un très beau mot. Celui-ci a été décrié par les politiques, parce qu’ils le confondent avec communautarisme.
Car l’Hôtel Pasteur est bien la ressource d’une communauté. Quand la collectivité publique nous dit qu’elle met 10 millions d’euros ça appartient donc à la collectivité, il ne faut pas oublier les 10 millions d’euros viennent de nous tous. Nous avons également oublié le sens du mot collectivité publique.
Il est important de remettre ces choses à plat, et de ne pas avoir peur. C’est ce que nous avons fait à L’Hôtel Pasteur, vis-à-vis des élus. Nous n’avons pas eu peur d’affirmer qui nous étions, et qu’il fallait nous soutenir sans nous tordre. Et, dans tous les cas, je pense que persiste un vrai problème de sémantique. Il faut que l’on se réapproprie notre vocabulaire et notre langue, car celle-ci est chargée de sens. Il faut se réapproprier des mots qui sont chargés de sens, sans avoir peur de les brandir. Je n’ai pas peur de dire que je ne veux pas qu’apparaisse le mot démocratie participative dans le projet de l’Hôtel Pasteur.
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