Entretien avec Sylvie Dalbin, enregistré le 28 octobre 2013 à Paris.
Documentaliste scientifique entre 1984 et 1989, Sylvie Dalbin est consultante en organisation et ingénierie documentaires depuis 1989 au sein d’Assistance & Techniques Documentaires.
Dès 1986 alors documentaliste à EDF, Sylvie Dalbin travaille sur les questions d’indexation automatique et de recherche sur les contenus. Ses interventions dans les entreprises et les organisations portent aujourd’hui plus spécifiquement sur l’évaluation, les méthodes et les outils d’accès à l’information, incluant le management des référentiels de métadonnées et vocabulaires contrôlés.
Ces interventions conduisent à des missions dans le domaine des métiers et du développement des compétences des professionnels et des utilisateurs, en particulier sous la forme de conception d’action de formation et de tutorat à distance.
Les biens communs, ce sont avant tout une communauté. Le mot communauté ou collectif est toujours ambiguë.
Je participe à des actions localement dans mon quartier. Et je vois bien la difficulté des communautés à sortir de mécanismes d’organisation verticaux, basés sur la direction de quelques personnes qui décident et qui distribuent la bonne parole aux gens. Moi je n’appelle pas cela travailler collectivement.
Dès lors que l’on décide de travailler avec une communauté, cela veut dire qu’il y a un temps qui passe à la relation entre les gens. Ce temps ne peux pas être que du productivisme de travail. Ce temps d’attente, qu’il soit électronique ou physique, est un temps d’appropriation nécessaire.
La problématique réside donc dans la pensée du collectif. Je pense aussi que c’est une particularité française. On est tellement centralisé, parisianisme, mandarinat, élitisme. Cela transparait dans tout le fonctionnement de la vie, y compris de la vie associative. Il est vrai que les modalité de gouvernance et de travail en commun est différent que quand vous donnez quelque chose à raie à deux personnes qui vous redonne le résultat.
Cela rejoint des démarches comme celles des mouvement de l’économie sociale et solidaire, de la pédagogie, qui sont des démarches que l’on appelle pompeusement le participatif alors que c’est tout simplement le travail ensemble.
Je prendrais pour appui la logique associative, avec des règles énoncées, une loi qui la régie. En observant la diversité du monde des associations, il me semble important de s’intéresser, au-delà du statut, à ce que met en avant le commun, c’est-à-dire un regroupement de personnes qui, éventuellement, ne se seraient jamais côtoyées si il la nécessité de faire commun ne s’était pas posée.
Je prends l’exemple d’un village communiste ou socialiste de 800 habitants, dont les habitants, depuis quinze ans, avec leurs petits deniers, donnent de l’argent pour rénover l’église. Parce que l’église est le bien commun du village, tout le monde s’y est mis. Cet exemple démontrent que nous sommes régis par des logiques qui dépassent certainement toutes les règles que l’on se donne au départ.
Cette logique de communauté doit être travaillée, par le biais certainement de témoignages, de retours d’expérience, de manière à ce que nous devenions plus précis dans la maîtrise de ces enjeux. Très souvent, en ce qui concerne les communs de la connaissance, nous abordons tout de suite les problématiques sous l’angle de la technique, alors que nous pourrions aussi les aborder sous l’angle des modalités de relation. Il faudrait se tourner vers les centres de sociologie qui étudient ce genre de choses. Je suis en tout cas certaine qu’il y a des choses à faire pour nous aider à clarifier ces questions.
Pour reprendre l’exemple des associations, où l’on donne souvent des axes techniques et pratiques, on ne prend pas en considération l’état d’esprit dans lequel nous devons conduire nos actions.
La logique des communs réintroduit un soin particulier à travailler sur l’état d’esprit dans lequel nous devons conduire nos actions. Et je pense que c’est cela qui est essentiel, pour prévenir des enclosures.
Si les enclosures peuvent venir de l’extérieur, je pense qu’il y a aussi des biais à l’intérieur de la communauté. C’est pourquoi il faut aussi avoir des idées et des principes internes propres et ne pas mettre en avant que les risques externes.
Nous étions enferrés dans des clivages et des logiques de propriété. Les communs sont une sorte de troisième voie qui n’exclue pas le public ou le privé, mais qui se situe à côté.
Je pense qu’il faut se saisir du vocabulaire comme un facteur clé. Les mots ont de l’importance. Prenons le cas des termes « information » et « actualité ». Les professionnels de la communication ou les journalistes parlent d’ « information ». Pourtant ce qu’ils produisent est, selon moi, non pas de l’information mais de l’actualité. Les professionnels confondent l’information spécialisée, dont les gens ont besoin, et l’actualité. Dans les pays anglo-saxons, la différence est bien plus claire qu’en France en terme de vocabulaire.
Au cours de l’histoire, il y a eu des moments d’ouverture sur l’information, la connaissance et les savoirs de plus long terme à capitaliser de façon plus effective. Et puis, il y a quinze ans, notamment avec l’émergence d’internet, cette distinction entre information et actualité s’est effacée. Il y a eu des déperditions énormes.
Je trouve que l’approche de la gouvernance de nos savoirs informationnels par les communs est une solution intéressante. En effet, le problème qu’ont connus des tas de dispositifs provient du régime de propriété auquel appartient la connaissance, c’est-à-dire soit le privé soit l’État. Ce régime de propriété met en danger nos dispositifs de partage de la connaissance qui, du jour au lendemain, peuvent disparaître. Alors que si des collectifs d’utilisateurs, locaux ou thématiques, s’emparaient de ces communs, la continuité de leur gouvernance serait assurée.
Par exemple, il y a 7 ans, on a fusillé le centre de documentation du sport. Le fond documentaire s’est vu éparpillé. Et maintenant j’entends dire qu’on va le reconstruire parce que ce dispositif nous manque. En effet, dans tous les pays il y en a un. Pourquoi en France il n’y en aurait pas ? Il va être coûteux de remonter ce qui existait depuis 25 ans. Et ceci est un exemple. Ce phénomène de rupture, je l’observe en en permanence.
Dans le monde anglo-saxon, il y a une continuité de principe, malgré des restrictions budgétaires très fortes qui imposent une optimisation des dispositifs, des fermetures de services et autres mesures. Mais il existe une pérennité dans le temps, malgré les difficultés économiques. En France, nous faisons la révolution à chaque fois qu’un nouveau chef arrive. On fait table rase.
La valeur de nos métiers, dans le secteur de l’information, repose sur le lien et la continuité de nos démarches. On ne doit pas nous mélanger avec les actions boursières. Si les actions peuvent bouger, nous sommes garants de récupérer l’information produite par le passé pour poursuivre.
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