Entretien avec Léa Eynaud enregistré le 14 novembre 2014 à La Paillasse Paris dans le cadre de l’École des communs.
Léa Eynaud. Portrait
Je suis doctorante en sociologie à l’EHESS et débute une thèse sur la question de la réappropriation des communs en ville.
J’ai commencé mes études en science et politique de l’environnement à Sciences Po et à l’université Pierre-et-Marie-Curie à Jussieu et également à l’Université libre de Berlin. J’avais travaillé sur les jardins partagés. Je comparais Paris et Berlin.
À Berlin, quand je parlais avec les acteurs et les activistes des jardins partagés, s’était posée la question du dialogue entre la question de la réappropriation de l’espace urbain, telle qu’elle avait lieu au travers des jardins partagés, et la notion de communs.
J’ai commencé à m’intéresser à cela, à lire les travaux d’Elinor Ostrom, et me suis rendue compte qu’il y avait des cercles d’activistes, notamment sur internet, autour de la notion de communs, dans différents pays, dans différentes langues, et qui avaient aussi produit tout un tas de travaux empiriques sur la mise en œuvre concrète d’activités qui avait très aux communs.
De là, est partie l’idée de voir comment se forgeait cette notion, à la fois dans le discours de ces différents acteurs, au sein de leurs revendications politiques et dans leurs pratiques concrètes sur le terrain. J’ai circonscrit mon sujet à la ville, bien que l’on parle fréquemment des communs en lien avec les pêcheries, l’Artique ou encore le monde du numérique, des bibliothèques et de la connaissance. Que se passe-t-il concrètement dans les villes et dans l’espace urbain, dans des lieux qui sont aussi des espaces de rencontre comme les fablabs mais aussi les jardins partagés. C’est ce que j’ai souhaité étudier.
Ethnométhodologie
Plus j’avance dans mes études, et plus j’ai envie que mon approche soit qualitative. Je m’intéresse davantage aux perceptions qu’ont les gens du monde qui les entoure et à comprendre ces visions du monde plutôt que d’essayer de les quantifier, ou même de les généraliser.
Ce qui m’intéresse c’est la pluralité des regards sur le monde, et la façon dont ces différentes visions dialoguent.
Mon hypothèse repose sur l’idée que si l’on mène une observation de terrain, on peut apporter quelque chose à la recherche. Les recherches ethnographiques sur le long terme ne se pratiquent plus beaucoup. Les temps de recherche durent en général 3 ou 4 ans.
Beaucoup de recherches se déploient par le biais d’interviews, pratique que je vais mettre en œuvre.
Pour étudier les communs, je souhaite adopter une posture d’observation des manières de faire, des gestes quotidiens et de tous les problèmes qui se posent. Dans le cadre d’observations participantes, il s’agira également de traduire le ressenti de l’expérience vécue de l’intérieur.
À Berlin, je voyais les choses de l’extérieur et j’avais à l’époque trop peu de temps pour réaliser ma recherche. Cependant, j’ai observé qu’un mouvement alternatif s’y exprime, dans beaucoup d’aspects de la culture berlinoise, et cela se traduit dans les jardins. Les gens sont très alternatifs dans leurs pratiques, leur façon de se vêtir, mais aussi dans leurs opinions politiques. Il existe un côté très contestataire à Berlin, alors que les pratiques que j’ai observé en France étaient beaucoup plus institutionnelles.
Thèse
Lors de mes premières recherches, j’ai tenté d’observer dans quelle mesure les idées innovantes, qui naissent dans les jardins partagés, pouvaient se pérenniser, à la fois sur le plan de l’occupation de l’espace public mais aussi sur le plan de l’écologie. Il s’agissait de voir également comment ces pratiques pouvaient essaimer, y compris jusqu’aux institutions et à la municipalité.
Maintenant, ce que j’observe, c’est une constellation d’acteurs, qui peuvent avoir plus ou moins explicitement quelque chose à voir avec les communs, et qui contribuent de diverses manières à leur donner forme. Il s’agit pour moi d’identifier les processus qui permettent de faire commun, penser le commun et lui donner forme, aux travers de pratiques, de revendications politiques, de publications.
Il y a toujours, dans les communs, une notion de négociation entre différents acteurs regroupés autour de problèmes différents et qui essaient de s’entendre. C’est ce processus de négociation qui donne forme au commun.
Peut-être le commun n’est-il que l’agencement de compromis puisqu’ils impliquent la collectivité, et que nous ne sommes jamais tous pleinement d’accord ?
Les communs se pensent par-delà la notion de propriété et selon l’idée du faisceau de droits. Il s’agit de s’entendre sur les droits des uns et des autres, et leurs limites. Cela implique une négociation.
Nous sommes plusieurs et nous devons nous répartir les droits sur l’objet.
Processus
Je cherche à regarder le processus de définition des communs comme un objet en tant que tel. Aussi, définir les communs semble un peu paradoxal de ce point de vue là. Cependant, si je devais définir les communs, je dirais que c’est la rencontre d’une ressource, d’une communauté et d’un ensemble de règles que la communauté aura édictées collectivement. Au travers cette notion de règles s’établit l’idée de processus, qui m’intéresse.
Les communs ne seraient pas quelque chose de figé mais un processus que l’on construit ensemble.
Dans le cadre d’une réflexion sur les communs, la notion d’abondance m’intéresse. On s’interroge souvent pour savoir comment imaginer une croissance infinie sur une planète dont les ressources sont finies. Ce qui est très juste par ailleurs. Au sein de ce cheminement de pensée, la réflexion sur les communs redonne crédit à l’idée de l’abondance. Il ne s’agit plus de parler de croissance mais d’abondance. Il y a abondance sur cette planète.
La pensée des communs réintroduit cette idée positive et stimulante d’abondance, qui invite à l’action et redonne espoir. Si nous sommes capables de repenser les choses autrement, nous pourrons nous rendre compte que la Terre recèle de mille ressources. Il faut juste leur laisser l’espace pour se déployer.
Pierre Dardot, Christian Laval. Commun
Le livre Commun, Essai sur la révolution au XXIe siècle (La Découverte, 2014) de Pierre Dardot et Christian Laval déploie une analyse sur le langage et une pensée philosophique déployée dans 3 cultures (en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne). Cet ouvrage a beaucoup apporté à ma recherche.
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