Laboratoire d’écologie pirate
Carte d’identité du laboratoireCe laboratoire n’est affilié à rien. Nous revendiquons un espace libre pour prendre la distance nécessaire à la refondation de chantiers de recherche, impliquant des acteurs multiples et des habitants, des chemins de traverse, des savoirs locaux, des explorations sensibles, des expériences vécues, des luttes écologiques. Cet espace est libre mais situé. Nous cherchons des modes d’habiter écologiques, à l’échelle locale et globale, et nous travaillons à déterrer les savoirs qui en forment le substrat. Comment ? Par une enquête, pour l’instant, auprès d’un territoire rural marqué par différentes recherches au cours de son histoire, qu’elles se formulent en termes de pédagogies anthroposophes, d’instauration de communs, d’agricultures biologiques sans énergies fossiles ou sans vaccination, pour n’en citer que quelques-unes. Ce laboratoire est pirate dans le sens où il existe hors institutions, contrats, financements (à l’exception du site web pour la conception et la construction duquel nous avons bénéficié de l’aide du CNRS et du Laboratoire Dynamiques Sociales et Recomposition des Espaces – Ladyss). Il s’est ancré dans un lieu à partir duquel il est possible de renouveler les pratiques de recherche avec des acteurs, des habitants, des visiteurs, qui s’adjoignent au collectif selon des cercles et envies à géométrie variable, en toute liberté. L’inspiration commune est une écologie politique conçue comme une politique d’amitié avec la Terre, le vivant, ses habitants, pour préparer d’autres terreaux de vie et terres de recherche, des capacités de vivre par-delà l’effondrement. Le laboratoire est donc un lieu d’autonomisation et de déploiement d’une recherche trans-acteurs face à une société qui a conduit l’activité scientifique et technique à devenir le fuel d’une croissance économique hors sol. Les sciences sont en partie devenues « alien », étrangères à leur propre terre, servant une exploitation infinie des ressources planétaires et des formes de vie. Comment entrer en résistance scientifique, ou en dissidence ? Mener d’autres types de recherche ? Aller à la rencontre de celles qui existent indépendamment des porteurs institués ? Ce sont quelques questions initiales de ce collectif. Politique d’accueil du laboratoireLes membres de ce collectif sont réunis par les fils de l’amitié. Nous souhaitons étendre cette toile à celles, ceux qui sont intéressés par les questions d’habitats et de savoirs écologiques, et qui supportent mal l’instrumentalisation de la production (scientifique, artistique, agricole, artisanale, etc.) à des fins d’aliénation écologique. Un peu de lucidité nous fait avouer qu’il est difficile de penser des alternatives qui soient à la taille du désarroi politique, social, écologique, institutionnel et scientifique qui imprègne nos conditions d’existence. Nous ressentons la nécessité d’un afflux d’énergie collective,la nécessitéde construire de nouveaux climats sociaux, et de commencer localement, nous avons envie d’être portés par les emballements que procurent l’amitié, la rencontre, la découverte, les synergies des désirs de recherche, qui sont des ressources fondamentales pour ce collectif. Nous, chercheurs, enseignants, habitants, agriculteurs, artisans, artistes, journalistes, informaticiens, thérapeutes, etc., sommes attachés à une appréhension déhiérarchisée des modes de connaissance et d‘appréhension du réel. Nous pratiquons l’extra-disciplinarité pour apporter de nouvelles réponses, horizons de sens et pratiques quant aux façons de vivre, d’habiter, de se rencontrer et de chercher dans une écologie en crise. TrajectoirePoint ZéroQuatre chercheur.e.s décident, suite à une démission de la revue Écologie et Politique en 2015, de réfléchir à de nouveaux espaces et modalités d’expression d’une écologie politique. À l’époque, c’est-à-dire en 2015, il s’agit de proposer un nouveau type de laboratoire s’éloignant des sciences sociales et humaines telles qu’elles étaient conduites dans le champ académique, mais aussi des courants de recherche s’inscrivant dans le sillage d’un néo-marxisme. Nous voulions nous rapprocher des acteurs de la société civile engagés dans des mobilisations écologiques et plus largement en lutte pour d’autres conditions d’existence. Un premier manifeste a été rédigé, prônant l’instauration d’un laboratoire d’écologie politique, plus tardivement appelé Laboratoire d’Écologies Pirates (voir annexe). De nouvelles formes de recherche pouvent se constituer en marge des institutions. Certes, nous empruntons aux ressources des sciences sociales et humaines, mais nous en modifions également les processus et leurs finalités. Nos interrogations quant à ce que nous voulions inventer nous ont conduit à passer d’un Laboratoire d’Écologie Politique au Laboratoire d’Écologie Pirate, sachant que l’emploi de cette expression séduisante signifie l’hybridation d’une écologie politique, dénonçant l’exploitation inégalitaire des ressources planétaires et la dégradation généralisée des modes de vie, et de nouvelles manières de faire à l’écart de l’institutionnalisation des savoirs. L’enjeu de l’enquête située est apparu très vite comme une manière de se ressaisir des défis posés par la chute des socio-écosystèmes. Consolidation. amorçage de l’enquêteRegroupés en un premier temps en Provence, aux Arbories, puis dans un second temps dans l’Allier, à la Ferme de la Mhotte, des lieux tous deux empreints d’utopies collectives, nous en sommes venus à l’idée que seule la confrontation directe à une situation nous permettrait de nous mettre à l’écoute du territoire pour en déceler les formes et les potentiels écologiques. Nous avons décidé de prendre le temps d’expérimenter sur un territoire des façons inédites de faire enquête qui rencontrent les nécessités vécues ou les problèmes des acteurs locaux. Le groupe, de taille variable (entre 10 et 30 personnes) selon les rendez-vous (2 ou 3 par an)témoigne de la force de l’expérimentation collective et du désir que chacun de nous en a alors que nous sommes pris pour certains dans des dynamiques professionnelles astreignantes. On peut interroger les raisons d’une telle motivation. L’une d’elles est la nécessité, face au désastre écologique et politique, de continuer à faire sens, c’est-à-dire de tracer des trajectoires existentielles qui rendent compte de manières d’affronter la perspective catastrophique. Un deuxième enjeu, pour ceux qui sont dans le monde des enseignants-chercheurs, est l’envie collective d’interroger les enjeux de la recherche en sciences sociales et humaines avec plus de profondeur que ne le permet l’agenda dans lequel nous inscrivent les demandes prescriptives d’une recherche financée sur projet. Enfin, les valeurs que nous partageons, le désir d’action collective et bien d’autres liens encore, ajouté à l’idée de bannir la parole hiérarchisée et de privilégier l’hétérogénéité des personnes rassemblées, constituent un ressourcement. Pour se donner les moyens de chercher, à défaut de financements publics ou privés propres à une recherche sur projet, les personnes autofinancent leur participation au processus collectif, et témoignent d’un engagement moral et politique, une attention à autrui et à la situation au-delà des proclamations d’intention. Cet engagement auprès des autres, du territoire où se produit l’enquête et des habitants qui le peuplent, oblige à changer de posture pour embrasser des terrains d’investigation communs. Nous conduisons une série d’enquêtes en parallèle sur un même territoire, la ferme de la Mhotte et ses alentours. La Ferme est un lieu sorti de la propriété, où un groupe de personnes organise ensemble leurs usages pour faire émerger un projet social à la croisée du culturel, de l’agricole et du pédagogique. Où en sommes-nous ?La recherche s’est produite et continue de se produire. Elle donne lieu à des rencontres, à des élaborations de textes, de films, de prises de son. L’ensemble est hétéroclite, sinon à être tenu par l’intention même, comme en témoignent l’ouvrage et le film qui en seront les résultats. Des résultats sans doute modestes ou très modestes au regard de l’ambition initiale, à la hauteur du temps que chacun y consacre, mais qui incitent à continuer. De l’atterrissement à la stratégieL’intention première du laboratoire qui n’avait pas de sol a décidé d’un territoire d’essai, de mise à l’épreuve d’intuitions concernant la recherche. Elle s’est donnée un milieu, une aire d’atterrissage. Atterrir signifie pour nous mettre au travail une façon de faire de la recherche soucieuse d’une écoute et d’une disponibilité à l’égard des agentivités extrêmement variées d’un territoire, qu’elles soient sociales et/ou matérielles. Cela signifie observer, sentir, partager, prendre part, suivre les acteurs ou les traces et expérimenter en termes de restitution. Nous pistons des modes d’existence écologique. Mais pour quel impact politique ? L’enjeu du laboratoire d’écologie pirate est évidemment politique : apprendre à travailler autrement en recherche, au service d’une écologie territoriale, et participer à déployer des alternatives politiques à partir de pratiques assez silencieuses ou circonscrites. Pour certains acteurs du territoire, il est nécessaire de sortir de l’entre-soi et de potentialiser des enjeux micro-politiques sur un territoire. Dès lors, il faut encore les reconnaître, les soumettre à l’attention collective et les situer sur la place publique pour que d’autres s’en emparent. L’environnement local peut devenir public, être un espace de débats et de ressources pour affronter les changements écologiques enclenchés et à venir. De quelle durée doit être l’enquête pour que cette activation micro-politique puisse s’opérer ? Comment les chercheurs peuvent-ils servir à leur façon et aussi, selon leurs intérêts de recherche, de groupe de soutien à des luttes politiques locales, en ce qui concerne la démocratie sanitaire, thérapeutique, électrique et énergétique, écologique et sociale ? Créer un collectifLe collectif n’est pas une communauté. Ce n’est pas non plus un laboratoire structuré par un programme et orienté par des objectifs. C’est un espace ouvert, un temps donné, qui énonce d’abord des idées et qui explore un terrain de façon très libre, qui fait des expériences, avant de les partager avec les autres pour réfléchir ensemble, voir ce qui en sort. Le terrain ici, c’est un territoire situé autour de la Ferme de la Mhotte en Allier, qui a servi de lieu d’accueil pour le laboratoire pirate. Pour instaurer un contact avec le territoire, nous nous sommes d’abord exercés à marcher, à suivre des traces, à voir, à écouter, à sentir. On va dans un buisson, un petit bois, on suit une rivière asséchée. On se réveille tôt le matin et on écoute. On se tient immobile quelque part et on essaie de restituer ce que l’on croit percevoir. On rencontre un voisin, puis un autre, qui nous en indique d’autres encore. Les habitants du collectif sont en partie nos guides, ils nous introduisent à ce qui a de la valeur pour eux, ce qui les interroge, ce qui n’est pas résolu. De proche en proche, un territoire se découvre avec ses enjeux, souvent incarnés dans des formes de vie, des expériences locales concrètes. Il y a eu plusieurs sessions annuelles de rencontre, qui se sont effectuées sur une base volontaire. Du vécu et du matériel ont été accumulés, partagés, discutés. On peut commencer à réfléchir à des formes de restitution publiques de cette expérience, tout en la poursuivant, au même endroit. Nous nous sommes demandés s’il n’était pas préférable pour Écologie pirate de pluraliser les zones d’étude, d’aller rejoindre notamment des lieux de lutte écologique estampillés, plus géopolitiques, plus branchés sur d’autres réseaux. Pourtant, l’intensité que nous trouvons à la Mhotte derrière le silence apparent de ce territoire nous a convaincu de rester concentrés, de creuser, de suivre de manière fractale les luttes invisibles qui se déroulent pourtant en grand nombre et sous nos pieds. D’autre part, le collectif est ancré, des habitants l’animent et le renouvellent, le laboratoire a pris racine. Il faut enfin stabiliser une première manière de faire, de produire de la recherche, de l’enquête ; avant d’envisager de se déplacer. Pour aller plus loin :
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